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24/05/2022 | FRANCE | N°21DA00550

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 24 mai 2022, 21DA00550


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 9 février 2018 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a prolongé son placement à l'isolement au-delà d'une durée de deux ans pour la période du 10 février 2018 au 6 mai 2018.

Par un jugement n° 1802341 du 12 novembre 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 novembre 2020, M. C..., représenté par M

e Benoît David, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 9...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 9 février 2018 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a prolongé son placement à l'isolement au-delà d'une durée de deux ans pour la période du 10 février 2018 au 6 mai 2018.

Par un jugement n° 1802341 du 12 novembre 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 novembre 2020, M. C..., représenté par Me Benoît David, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 9 février 2018 de la garde des sceaux, ministre de la justice prolongeant son placement à l'isolement au-delà d'une durée de deux ans ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'une irrégularité tenant à l'absence de précision suffisante du sens des conclusions du rapporteur public ;

- il est entaché d'une erreur de droit quant à la nature du contrôle exercé sur la décision de prolongation d'un placement à l'isolement qui est entier et non restreint ;

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que son état psychique était compatible avec son maintien à l'isolement ;

- la décision en litige a été signée par une autorité incompétente ;

- elle est entachée d'une motivation insuffisante ;

- elle méconnaît le droit de toute personne à la vie, protégé par les stipulations de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et elle constitue un traitement inhumain et dégradant, en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la même convention ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation.

Par une ordonnance du 1er avril 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 avril 2022.

Un mémoire en défense du garde de sceaux, ministre de la justice a été enregistré le 4 mai 2022, après la clôture de l'instruction.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 janvier 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret n° 2008-689 du 9 juillet 2008 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Muriel Milard, première conseillère,

- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C..., incarcéré depuis le 27 janvier 2004, a fait l'objet de transferts d'établissements pénitentiaires et de plusieurs décisions de placement à l'isolement depuis 2006, notamment à son arrivée au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil, le 16 août 2016. Il relève appel du jugement du 12 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 9 février 2018 de la garde des sceaux, ministre de la justice, prolongeant son placement à l'isolement au-delà d'une durée de deux ans pour la période du 10 février 2018 au 6 mai 2018.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé des conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne (...) ".

3. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, pour l'application de ces dispositions et eu égard à leurs objectifs, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir. La communication de ces informations n'est toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision.

4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que les parties ont été mises en mesure de savoir, par l'intermédiaire du système informatique de suivi de l'instruction, que le rapporteur public conclurait au " rejet au fond " de la requête introduite par M. C... devant le tribunal administratif de Lille. Eu égard aux caractéristiques du litige, cette mention indiquait de manière suffisamment précise le sens de la solution que le rapporteur public envisageait de proposer à la formation de jugement. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté.

5. En second lieu, le moyen tiré de ce que les premiers juges ont entaché leur jugement d'une erreur de droit quant à la nature de leur contrôle relève du bien-fondé du jugement et non de sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

6. En premier lieu, M. C... réitère ses moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte en litige et de l'insuffisance de motivation. Cependant, il n'apporte pas en appel d'éléments nouveaux de fait ou de droit de nature à remettre en cause l'appréciation portée par les premiers juges sur ces moyens. Par suite, il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges aux points 5 et 6 du jugement attaqué, de les écarter.

7. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. " et aux termes de l'article 3 de cette convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "

8. D'autre part, aux termes de l'article 726-1 du code de procédure pénale : " Toute personne détenue, sauf si elle est mineure, peut être placée par l'autorité administrative, pour une durée maximale de trois mois, à l'isolement par mesure de protection ou de sécurité soit à sa demande, soit d'office. (...) Le placement à l'isolement n'affecte pas l'exercice des droits visés à l'article 22 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, sous réserve des aménagements qu'impose la sécurité (...) ". L'article R. 57-7-68 du même code dispose que : " Lorsque la personne détenue est à l'isolement depuis un an à compter de la décision initiale, le ministre de la justice peut prolonger l'isolement pour une durée maximale de trois mois renouvelable. / La décision est prise sur rapport motivé du directeur interrégional saisi par le chef d'établissement selon les modalités de l'article R. 57-7-64. / L'isolement ne peut être prolongé au-delà de deux ans sauf, à titre exceptionnel, si le placement à l'isolement constitue l'unique moyen d'assurer la sécurité des personnes ou de l'établissement. / Dans ce cas, la décision de prolongation doit être spécialement motivée ". Aux termes de l'article R. 57-7-73 du même code : " Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures de prolongation, il est tenu compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité ou de sa vulnérabilité particulière, et de son état de santé (...). ".

9. Si M. C..., qui a été maintenu à l'isolement depuis le 6 février 2018, soutient que son état de santé mental se dégrade de jour en jour et qu'il est incompatible avec son placement à l'isolement, les certificats médicaux qu'il produit établis les 15 février et 4 juillet 2016 par un médecin psychiatre du centre hospitalier de Châteauroux précisant que l'intéressé souffre d'une dépression " suite à un problème familial ", et des 3 mars 2017 et 9 mars 2018 émanant d'un médecin psychiatre du centre hospitalier de Lens, se bornent en des termes non circonstanciés à émettre un avis défavorable au maintien à l'isolement de l'intéressé. Les autres certificats médicaux datés des 8 septembre et 29 septembre 2016 faisant état de douleurs au niveau du rachis lombaire ne sont pas de nature à établir que l'état de santé de M. C... était, à la date de la décision contestée, incompatible avec son isolement. En outre, l'avis émis le 6 février 2018 par le médecin de l'unité sanitaire du centre pénitentiaire, saisi dans le cadre de la procédure au terme de laquelle la décision en litige a été prise, se borne à indiquer de manière générale " que l'isolement prolongé peut provoquer de graves troubles de la santé somatique et psychique ", sans toutefois donner de précisions sur l'état de santé mental de M. C.... Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de la décision en litige, l'état de santé de M. C... était incompatible avec la prolongation de son isolement pour une durée de trois mois alors en outre, que l'intéressé bénéficie, conformément aux dispositions de l'article R. 57-7-62 du code de procédure pénale, du droit au maintien de ses liens familiaux par téléphone, courrier et visites, d'une heure quotidienne de promenade, dispose du droit d'écouter la radio et de regarder la télévision, d'un droit d'accès à la bibliothèque de l'établissement et peut voir au moins deux fois par semaine le médecin de l'unité sanitaire, utiliser les équipements sportifs du centre et suivre des cours par correspondance. Il n'est ainsi pas soumis à un isolement sensoriel et social total. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, malgré la durée cumulée de sa mise à l'isolement, la décision en litige ne saurait être regardée comme exposant, à la date à laquelle elle a été prise, M. C... à un traitement inhumain et dégradant. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut, dès lors qu'être écarté.

10. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C..., incarcéré en 2004 et libérable le 31 mai 2042, a été condamné à vingt-trois peines d'emprisonnement dont notamment une d'une durée de quinze ans pour des faits de meurtre, d'infractions sur la législation sur les armes et une de six ans pour évasion avec arme et violence aggravée. Il est inscrit au répertoire des détenus particulièrement signalés depuis le 1er février 2006 et exécute ses peines au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil où il a été transféré, le 16 août 2016, à la suite d'un incident grave intervenu le 21 juillet 2016 au centre pénitentiaire de Saint-Maur, au cours duquel M. C... a projeté depuis le toit du préau de la cour de l'établissement des parpaings en direction des membres de l'équipe régionale d'intervention et de sécurité intervenus après qu'il se fut retranché derrière un muret. A son arrivée au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil, il a été immédiatement placé à l'isolement. Compte tenu de l'amélioration de son comportement et de la demande qu'il a formulée, il a rejoint le régime de détention ordinaire le 28 août 2017 et a été placé aux ateliers le 20 septembre 2017. Toutefois, malgré cette tentative de gestion en détention ordinaire, de nombreux incidents sont survenus ainsi qu'il résulte de la synthèse des observations produites par la ministre, ce qui a entraîné son placement à l'isolement pendant une durée supérieure à deux ans. Il ressort également des pièces du dossier que le 6 février 2018, l'intéressé a fait preuve d'un comportement inapproprié, agressif, et revendicatif. Le juge d'application des peines a émis, le 7 février 2018, un avis favorable à la prolongation de l'isolement de l'intéressé, cet isolement demeurant en l'état l'unique moyen de garantir la sécurité des personnels de l'établissement. Dans ces conditions, compte tenu de la gravité des incidents relevés, du comportement de M. C... et des menaces répétées proférées contre les personnels pénitentiaires, la garde des sceaux, ministre de la justice a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation décider de la prolongation de l'isolement de M. C..., pour une durée de trois mois.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au garde des sceaux, ministre de la justice et à Me Benoît David.

Délibéré après l'audience publique du 10 mai 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Muriel Milard, première conseillère,

- Mme Anne Khater, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mai 2022.

La rapporteure,

Signé : M. B...La présidente de la formation de jugement,

Signé : A. Chauvin

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N°21DA00550


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA00550
Date de la décision : 24/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Chauvin
Rapporteur ?: Mme Muriel Milard
Rapporteur public ?: M. Baillard
Avocat(s) : DAVID

Origine de la décision
Date de l'import : 31/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-05-24;21da00550 ?
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