Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 24 février 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Elle avait également demandé d'enjoindre sous astreinte à l'autorité préfectorale de lui délivrer une carte de séjour temporaire, portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement, ou à titre subsidiaire, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa situation, dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement.
Par un jugement n° 2101650 du 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 24 février 2021 et a enjoint à l'autorité préfectorale de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale ", dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 5 novembre 2021 sous le n° 21DA02594, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes de Mme B....
Il soutient que c'est à tort que le jugement contesté a considéré que le refus d'admission au séjour portait une atteinte excessive à sa vie privée et familiale, par suite cette décision était fondée. Il renvoie, s'agissant des autres moyens, à son mémoire en défense de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2022, Mme B..., représentée par Me Cécile Madeline, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle fait valoir que :
- la décision de refus de titre méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 et l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision est également entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur de fait et traduit un défaut d'examen de sa situation ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- cette décision est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision de refus de titre ;
- elle viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée ;
- cette décision est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision de refus de titre.
Mme B... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 14 avril 2022.
II. Par une requête, enregistrée le 5 novembre 2021 sous le n° 21DA02595, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour qu'il soit ordonné le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Rouen du 14 octobre 2021.
Il soutient que le moyen tiré de l'absence d'atteinte excessive à la vie privée et familiale par la décision du 24 février 2021 constitue un moyen sérieux justifiant l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen et par suite son sursis dans cette attente.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2022, Mme B..., représentée par Me Cécile Madeline, conclut au rejet de la requête et de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle fait valoir que le moyen soulevé par le préfet ne constitue pas un moyen sérieux de nature à justifier l'annulation du jugement, la décision de refus de titre ayant méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mme B... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle par décision du 14 avril 2022.
La clôture de l'instruction a été fixée au 15 avril 2022 à 12 heures par décision du 1er avril 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., de nationalité marocaine, est entrée en France, la dernière fois, le 4 décembre 2015. Elle a demandé le 4 septembre 2018 son admission exceptionnelle au séjour. Le préfet de la Seine-Maritime a refusé d'examiner sa demande par décision du 14 février 2019. Elle a formé un recours gracieux contre cette décision par courrier du 11 mai 2020. Le préfet de la Seine-Maritime a rejeté cette demande par arrêté du 24 février 2021, portant également obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixation du pays de destination. Saisi par Mme B..., le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté et a enjoint à l'autorité préfectorale de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale ", dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Par une première requête, le préfet de la Seine-Maritime relève appel de ce jugement du 14 octobre 2021. Par une seconde requête, il demande que soit ordonné le sursis à exécution de ce même jugement.
Sur la jonction :
2. Les requêtes, enregistrées sous les nos 21DA02594 et 21DA02595, tendent respectivement à l'annulation et au sursis à exécution du même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Rouen :
3. Aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance - 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sécurité publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. En l'espèce, Mme B... a épousé à Paris, le 14 décembre 2000, M. C... D..., ressortissant syrien, titulaire d'une carte de résident permanent, valable jusqu'au 21 février 2031. Si l'intéressée s'est maintenue sur le territoire français en situation irrégulière après l'expiration de son dernier visa, le 17 novembre 2016, elle justifiait en première instance être entrée régulièrement sur le territoire français au moyen de visas de court séjour à entrées multiples qui lui ont été délivrés successivement depuis le 22 mars 2012. Le couple établissait également, en première instance, qu'il a résidé dans un logement commun à compter au moins du 23 décembre 2015 et justifiait de sa vie commune depuis cette date. Le préfet ne peut donc pas alléguer que la vie commune est récente et s'il soutient qu'elle n'est pas avérée, il n'apporte aucun élément allant à l'encontre des pièces produites par Mme B... en première instance. Le couple a eu également deux enfants nés en France, respectivement le 3 août 1999 et le 22 juillet 2010. L'ainé est titulaire d'un titre de séjour pluriannuel valable jusqu'au 7 septembre 2022, travaille en contrat à durée indéterminée à plein temps et est marié à une ressortissante française. Le cadet est scolarisé en cours moyen deuxième année pour l'année 2020-2021. Si le préfet fait valoir qu'il pourrait suivre sa scolarité en français au Maroc, cet enfant est né en France et y a effectué la totalité de sa scolarité. Par ailleurs, il ressort des pièces produites en première instance que la mère de l'intéressée et sa sœur résident également à Rouen. Enfin, l'intéressée produisait, en première instance, des certificats médicaux attestant que l'état de santé de son mari nécessitait sa présence à ses côtés. Si Mme B... avait également produit une promesse d'embauche en contrat à durée indéterminée à Paris alors qu'elle réside à Rouen, le préfet ne saurait se prévaloir de cette seule pièce pour établir qu'elle ne justifie pas de la nécessité de sa présence aux côtés de son mari. Il résulte de tous ces éléments que, bien que Mme B... se soit maintenue en situation irrégulière sur le territoire français à l'expiration de son visa, le préfet de la Seine-Maritime a porté une atteinte excessive à sa vie privée et familiale et a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en rejetant sa demande d'admission au séjour. Par suite, le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 24 février 2021 et lui a enjoint de délivrer à l'intéressée une carte de séjour temporaire " vie privée et familiale ".
Sur la demande de sursis à exécution :
5. La cour rejetant par le présent arrêt les conclusions du préfet de la Seine-Maritime tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen du 14 octobre 2021, les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont donc privées d'objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les frais d'instance :
6. Mme B... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Madeline, avocate de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat, le versement à Me Madeline de la somme de 1 400 euros au titre du dossier n° 21DA02594. Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée sur le même fondement dans le dossier n° 21DA02595.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime présentée dans le dossier n° 21DA02594 est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins de sursis présentées par le préfet de la Seine-Maritime dans le dossier n° 21DA02595.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 400 euros à Me Madeline au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme A... B... épouse D... et à Me Madeline.
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 28 avril 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Denis Perrin, premier conseiller,
- M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 mai 2022.
Le rapporteur,
Signé : D. Perrin
La présidente de chambre,
Signé : G. BorotLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
C. Huls-Carlier
N°s 21DA02594, 21DA02595 2