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10/05/2022 | FRANCE | N°21DA00857

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 10 mai 2022, 21DA00857


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 22 mai 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires des Hauts-de-France a rejeté son recours administratif préalable obligatoire dirigé contre la sanction de placement en cellule disciplinaire d'une durée de vingt jours prononcée à son encontre le 24 avril 2018 par le président de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil.

Par un jugement n° 1811283 du 19

février 2021, le tribunal administratif de Lille a fait droit à sa demande.

Proc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 22 mai 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires des Hauts-de-France a rejeté son recours administratif préalable obligatoire dirigé contre la sanction de placement en cellule disciplinaire d'une durée de vingt jours prononcée à son encontre le 24 avril 2018 par le président de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil.

Par un jugement n° 1811283 du 19 février 2021, le tribunal administratif de Lille a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 avril 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Lille.

Il soutient que :

- l'administration pénitentiaire pouvait transmettre le compte-rendu d'incident du 4 avril 2018 anonymisé au tribunal administratif dès lors que le moyen soulevé par M. D... était stéréotypé, le tribunal aurait dû faire usage de ses pouvoirs d'instruction et solliciter une mesure supplémentaire d'instruction pour que ce document soit produit ;

- les autres moyens soulevés par M. D... devant les premiers juges ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2022, M. A... D..., représenté par Me David, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 3 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le moyen soulevé par le ministre de la justice n'est pas fondé ;

- il déclare reprendre ses moyens soulevés en première instance.

M. D... a obtenu le maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 mai 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2016/343/UE du 9 mars 2016 ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Muriel Milard, première conseillère,

- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 6 avril 2018, le président de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil a infligé à M. D... une sanction de vingt jours de mise en cellule disciplinaire. Cette décision a été confirmée le 22 mai 2018 par le directeur interrégional des services pénitentiaires des Hauts-de-France, sur recours administratif préalable obligatoire formé par l'intéressé. Le ministre de la justice relève appel du jugement du 19 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a fait droit à la demande de M. D... tendant à l'annulation de cette décision.

Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :

2. Aux termes de l'article R. 57-7-13 du code de procédure pénale : " En cas de manquement à la discipline de nature à justifier une sanction disciplinaire, un compte rendu est établi dans les plus brefs délais par l'agent présent lors de l'incident ou informé de ce dernier. L'auteur de ce compte rendu ne peut siéger en commission de discipline. " Aux termes de l'article R. 57-6-9 du même code : " (...) L'autorité compétente peut décider de ne pas communiquer à la personne détenue, à son avocat ou au mandataire agréé les informations ou documents en sa possession qui contiennent des éléments pouvant porter atteinte à la sécurité des personnes ou des établissements pénitentiaires. "

3. Par le jugement du 19 février 2021 contesté, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision rejetant le recours préalable obligatoire formé par M. D... à l'encontre de la décision lui infligeant une sanction de vingt jours de mise en cellule disciplinaire pour un vice de procédure ayant privé l'intéressé d'une garantie, après avoir estimé que le compte-rendu d'incident rédigé le 4 avril 2018 à 9 h44 ne comportait ni les nom et prénom de l'agent des services pénitentiaires qui l'avait rédigé, ni même son numéro de matricule, mais uniquement sa qualité de surveillant ainsi que les initiales " J-M " et " D ". Toutefois, il résulte des dispositions précitées de l'article R. 57-6-9 du code de procédure pénale que l'administration peut, pour préserver la sécurité de ses agents, ne pas communiquer l'identité de l'auteur du rapport d'incident. En outre, le compte-rendu d'incident du 4 avril 2018 à l'origine de la procédure disciplinaire, mentionne les initiales J. M. D, surveillant et il a pour seul objet de permettre, par application des articles R. 57-7-14 et R. 57-7-15 du code de procédure pénale, de mettre en mesure le chef d'établissement d'apprécier l'opportunité de poursuivre la procédure disciplinaire. Ainsi, la circonstance que le requérant ne puisse identifier le rédacteur du compte-rendu d'incident est sans incidence sur la légalité de la décision dès lors que l'intéressé a bénéficié des garanties de la procédure contradictoire et qu'il est établi que l'agent en cause n'a pas siégé dans le cadre de la commission de discipline. Il s'ensuit que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé, pour ce motif, la décision de rejet du recours préalable formé par M. D... contre la sanction qui lui a été infligée le 6 avril 2018 par le président de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil.

4. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel de l'ensemble du litige, d'examiner les autres moyens de la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Rouen.

Sur les autres moyens de la demande :

5. En premier lieu, aux termes de l'article R. 57-7-14 du code de procédure pénale : " A la suite de ce compte rendu d'incident, un rapport est établi par un membre du personnel de commandement du personnel de surveillance, un major pénitentiaire ou un premier surveillant et adressé au chef d'établissement. (...) L'auteur de ce rapport ne peut siéger en commission de discipline. (...) ". Il ressort des pièces du dossier que le rapport d'enquête mentionne clairement le nom de Mme ..., premier surveillant et elle comporte sa signature. En outre, la décision prise sur le rapport d'enquête, a été signée par M. C..., directeur adjoint du centre pénitentiaire et elle comportait de manière lisible son nom. L'intéressé disposait d'une délégation de compétence consentie le 3 avril 2018, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs spécial du Pas-de-Calais du 11 avril 2018, l'habilitant à prendre les décisions d'engager des poursuites disciplinaires concernant les personnes détenues.

6. En deuxième lieu, il ressort du compte-rendu de la commission de discipline que celui-ci comporte les noms et signatures du président de cette commission, de l'assesseur pénitentiaire et de l'assesseur extérieur, dûment habilité à siéger à cette commission par une décision du président du tribunal de grande instance de Béthune du 22 janvier 2015. Ces mentions permettent de s'assurer de la régularité de cette commission. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de cette commission doit être écarté.

7. En troisième lieu, il ressort du rapport d'enquête que M. D... a refusé de s'exprimer sur les faits qui lui étaient reprochés et sur le choix ou non d'un avocat pour l'assister à la commission de discipline. L'administration pénitentiaire doit ainsi être regardée comme ayant mis M. D... à même d'être assisté d'un avocat, ce qu'il n'a pas demandé. En outre, si la décision en litige mentionne que cette commission s'est réunie le 4 avril 2018 au lieu du 6 avril 2018 à 15 heures, cette simple erreur de plume est sans incidence sur la régularité de la procédure dès lors que le délai de vingt-quatre heures nécessaire à M. D... pour préparer sa défense a été respecté, la procédure relative aux faits constatés le 4 avril 2018 au matin lui ayant été communiquée le 5 avril à 10 h50.

8. En quatrième lieu, si les sanctions disciplinaires encourues par les personnes détenues peuvent entraîner des limitations de leurs droits et doivent être regardées de ce fait comme portant sur des contestations sur des droits à caractère civil au sens des stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la nature administrative de l'autorité prononçant les sanctions disciplinaires fait obstacle à ce que les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales soient applicables à la procédure disciplinaire dans les établissements pénitentiaires. Par suite, M. D... ne saurait utilement invoquer, à l'encontre de la décision contestée, la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il en est de même du moyen tiré de la méconnaissance de l'article 13 de la même convention dès lors que l'ensemble des voies de recours offertes à la personne détenue dans le cadre des procédures de référé, dont celles relatives au référé suspension et au référé liberté, lui garantit le droit d'exercer un recours effectif, susceptible de permettre l'intervention du juge en temps utile, alors même que son exercice est par lui-même dépourvu de caractère suspensif.

9. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 de la directive UE 2016/343 du 9 mars 2016 : " Présentation des suspects et des personnes poursuivies / 1. Les États membres prennent les mesures appropriées pour veiller à ce que les suspects et les personnes poursuivies ne soient pas présentés, à l'audience ou en public, comme étant coupables par le recours à des mesures de contrainte physique. " Il est constant que ces dispositions ne s'appliquent qu'aux personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales, ce qui n'est pas le cas en l'espèce dès lors que la décision en litige inflige à M. D... une sanction disciplinaire. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté comme inopérant.

10. En sixième lieu, M. D... soutient que son état de santé mental se dégrade de jour en jour et qu'il est incompatible avec son placement en cellule disciplinaire. S'il produit un premier certificat médical établi le 4 juillet 2016 par un médecin psychiatre du centre hospitalier de Chateauroux précisant que sa santé mentale se dégrade de jour en jour et trois autres établis les 3 mars 2017, 9 mars 2018 et 15 juin 2018 par un médecin psychiatre du centre hospitalier de Lens, ceux-ci, non circonstanciés, se bornent à émettre un avis défavorable au maintien à l'isolement. Dans ces conditions, au vu des seuls éléments médicaux produits, il n'est pas établi qu'à la date de la décision en litige, l'état de santé de M. D... était incompatible avec son placement en cellule disciplinaire pour une durée de vingt jours.

11. Enfin, il ressort des pièces du dossier, en particulier du compte-rendu d'incident, que le 4 avril 2018, M. D... a détruit le mobilier, le lavabo, les systèmes électriques, l'interphonie, la fenêtre de sa cellule et le matériel de sécurité. La matérialité des faits n'est pas contestée et ces faits sont constitutifs de fautes du premier degré au regard des dispositions des articles R. 57-7-1 du code de procédure pénale. Dès lors, eu égard à la gravité des faits reprochés, la sanction de placement de vingt jours en cellule disciplinaire n'apparaît pas disproportionnée.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 22 mai 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires des Hauts-de-France a confirmé la sanction prononcée le 24 avril 2018 par le président de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil. Il convient donc de prononcer l'annulation de ce jugement et de rejeter la demande de première instance de M. D... et ses conclusions d'appel tendant à l'application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1811283 du 19 février 2021 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Lille et ses conclusions d'appel tendant à l'application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, à M. A... D... et à Me Benoit David.

Délibéré après l'audience publique du 26 avril 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,

- Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,

- Mme Muriel Milard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mai 2022.

La rapporteure,

Signé : M. B...La présidente de chambre,

Signé : A. Seulin

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N°21DA00857


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA00857
Date de la décision : 10/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: Mme Muriel Milard
Rapporteur public ?: M. Baillard
Avocat(s) : DAVID

Origine de la décision
Date de l'import : 06/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-05-10;21da00857 ?
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