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10/05/2022 | FRANCE | N°20DA01714

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 10 mai 2022, 20DA01714


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 4 mai 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a prolongé son placement à l'isolement.

Par un jugement n° 1808697 du 19 juin 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 novembre 2020 et le 23 novembre 2021, M. C..., représenté par Me Benoit David, demande à la cour :

1°) d'annul

er ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 4 mai 2018 du garde des sceaux, ministre de la justic...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 4 mai 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a prolongé son placement à l'isolement.

Par un jugement n° 1808697 du 19 juin 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 novembre 2020 et le 23 novembre 2021, M. C..., représenté par Me Benoit David, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 4 mai 2018 du garde des sceaux, ministre de la justice prolongeant son placement à l'isolement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce que la minute du jugement ne comporte pas la signature du président de la formation de jugement et du greffier ;

- il est également entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision en litige a été signée par un auteur incompétent ;

- elle est entachée d'une motivation insuffisante ;

- elle méconnait le droit de toute personne à la vie, protégé par les stipulations de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et elle constitue un traitement inhumain et dégradant, en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la même convention ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 octobre 2021, le garde de sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 octobre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi du 14 novembre 2020 en son article 1er autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, modifié par l'article 2 de la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le décret n° 2008-689 du 9 juillet 2008 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Muriel Milard, première conseillère,

- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., incarcéré depuis le 27 janvier 2004, a fait l'objet de transferts d'établissements pénitentiaires et de décisions de placement à l'isolement régulières depuis 2006. L'intéressé est inscrit au répertoire des détenus particulièrement signalés depuis le 1er février 2006 et exécute ses peines au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil depuis le 16 août 2016. Il relève appel du jugement du 19 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 4 mai 2018 du garde des sceaux, ministre de la justice, prolongeant son placement à l'isolement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. " Aux termes de l'article 12 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles devant les juridictions de l'ordre administratif : " Par dérogation aux articles R. 741-7 à R. 741-9 du code de justice administrative, la minute de la décision peut être signée uniquement par le président de la formation de jugement. "

3. Il ressort des pièces du dossier que si la minute du jugement mis à disposition le 19 juin 2020 après une audience tenue le 5 juin 2020, n'a pas été signée par le rapporteur ni par le greffier d'audience, elle comporte la signature du président de la formation de jugement, conformément aux dispositions de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 précitée. La circonstance que l'expédition notifiée au requérant ne comporterait pas cette signature est sans incidence sur la régularité du jugement. Le moyen tiré de l'irrégularité en raison du défaut de signature de la minute du jugement doit, par suite, être écarté.

4. En second lieu, le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient entaché leur jugement d'une erreur manifeste d'appréciation relève du bien-fondé du jugement et non de sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement et la légalité de la décision du 4 mai 2018 :

5. En premier lieu, M. C... réitère ses moyens tirés de l'incompétence de l'auteur et de l'insuffisance de motivation de la décision contestée. Cependant, il n'apporte pas en appel d'éléments nouveaux de fait ou de droit de nature à remettre en cause l'appréciation portée par les premiers juges sur ces moyens. Par suite, il y a lieu de les écarter, par adoption des motifs retenus aux points 4 et 5 du jugement contesté.

6. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 726-1 du code de procédure pénale : " Toute personne détenue, sauf si elle est mineure, peut être placée par l'autorité administrative, pour une durée maximale de trois mois, à l'isolement par mesure de protection ou de sécurité soit à sa demande, soit d'office. (...) Le placement à l'isolement n'affecte pas l'exercice des droits visés à l'article 22 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, sous réserve des aménagements qu'impose la sécurité (...) ". L'article R. 57-7-68 du même code dispose que : " Lorsque la personne détenue est à l'isolement depuis un an à compter de la décision initiale, le ministre de la justice peut prolonger l'isolement pour une durée maximale de trois mois renouvelable. / La décision est prise sur rapport motivé du directeur interrégional saisi par le chef d'établissement selon les modalités de l'article R. 57-7-64. / L'isolement ne peut être prolongé au-delà de deux ans sauf, à titre exceptionnel, si le placement à l'isolement constitue l'unique moyen d'assurer la sécurité des personnes ou de l'établissement. / Dans ce cas, la décision de prolongation doit être spécialement motivée. " Aux termes de l'article R. 57-7-73 du même code : " Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures de prolongation, il est tenu compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité ou de sa vulnérabilité particulière, et de son état de santé (...) ".

7. D'autre part, aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi " et aux termes de l'article 3 de cette convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "

8. M. C..., qui a été maintenu à l'isolement depuis le 4 mai 2018, soutient que son état de santé mental se dégrade de jour en jour et qu'il est incompatible avec son placement à l'isolement. S'il produit un premier certificat médical établi le 4 juillet 2016 par un médecin psychiatre du centre hospitalier de Chateauroux précisant que sa santé mentale se dégrade et trois autres établis les 3 mars 2017, 9 mars 2018 et 15 juin 2018 par un médecin psychiatre du centre hospitalier de Lens, ceux-ci, non circonstanciés, se bornent à émettre un avis défavorable au maintien à l'isolement. Les autres certificats médicaux datés du 8 septembre 2016 et du 29 septembre 2016 faisant état de douleurs au niveau du rachis lombaire ne présentent aucun caractère probant permettant d'établir que l'état de santé de M. C... est incompatible avec l'isolement. Par ailleurs, la circonstance qu'un autre certificat médical d'un médecin psychiatre du centre hospitalier de Lens précise le 16 mars 2018 que M. C... ne montre plus aucun signe d'agressivité et d'impulsivité et qu'il " ne [me] semble pas dangereux ", ne permet pas plus d'établir cette incompatibilité. En outre, l'avis émis le 8 avril 2018 par le médecin de l'unité sanitaire du centre pénitentiaire, saisi dans le cadre de la procédure au terme de laquelle la décision en litige a été prise, se borne à préciser " que l'isolement prolongé peut provoquer de graves troubles de la santé somatique et psychique ". Dans ces conditions, au vu des seuls éléments médicaux produits, il n'est pas établi qu'à la date de la décision en litige, l'état de santé de M. C... était incompatible avec la prolongation de son isolement pour une durée de trois mois. Par ailleurs, M. C... bénéficie, conformément aux dispositions de l'article R. 57-7-62 du code de procédure pénale, du droit au maintien de ses liens familiaux par téléphone, courrier et visites, bénéficie d'une heure quotidienne de promenade, dispose du droit d'écouter la radio et de regarder la télévision, d'un droit d'accès à la bibliothèque de l'établissement et peut voir au moins deux fois par semaine le médecin de l'unité sanitaire, utiliser les équipements sportifs du centre et suivre des cours par correspondance. Il n'est ainsi pas soumis à un isolement sensoriel et social total. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, malgré la durée cumulée de sa mise à l'isolement, la décision en litige ne saurait être regardée comme exposant, à la date à laquelle elle a été prise, M. C... à un traitement inhumain ou dégradant. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut, dès lors qu'être écarté.

9. Enfin, il ressort des pièces du dossier que M. C..., incarcéré en 2004 et libérable le 31 mai 2042, a été condamné à vingt-trois peines d'emprisonnement dont notamment une d'une durée de quinze ans pour des faits de meurtre, d'infractions à la législation sur les armes et une autre de six ans pour évasion avec arme et violence aggravée. Il a été transféré, le 16 août 2016, au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil à la suite d'un incident grave intervenu le 21 juillet 2016 au centre pénitentiaire de Saint-Maur, où il a projeté des parpaings en direction des membres de l'équipe régionale d'intervention et de sécurité intervenus après qu'il se fut retranché derrière un muret du préau de la cour. Malgré une tentative de gestion en détention ordinaire le 28 août 2017, de nombreux incidents sont survenus, ce qui a entraîné son placement à l'isolement durant une durée cumulée, à la date de la décision, de sept ans, deux mois et sept jours. Il ressort également des pièces du dossier qu'aux mois de mars et avril 2018, l'intéressé a détruit le mobilier, le lavabo, les systèmes électriques, la fenêtre de sa cellule et le matériel de sécurité après avoir fait preuve en 2017 d'un comportement inapproprié et revendicatif et avoir eu une influence défavorable auprès de ses co-détenus. Le juge d'application des peines a émis, le 13 avril 2018, un avis favorable à la prolongation de l'isolement de l'intéressé " au vu des déclarations de l'intéressé, des incidents récents et des menaces de mort proférées ". En outre, le conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation précise que M. C... " ne cesse de se complaire dans une attitude virulente " et que le maintien de l'intéressé en isolement " est plus qu'indispensable ". Dans ces conditions, compte tenu de la gravité des incidents relevés, du comportement de M. C... et des menaces répétées proférées contre les personnels pénitentiaires, le ministre de la justice a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, décider de la prolongation de l'isolement de M. C..., pour une durée de trois mois.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Doivent être rejetés, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au garde des sceaux, ministre de la justice et à Me Benoit David.

Délibéré après l'audience publique du 26 avril 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,

- Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,

- Mme Muriel Milard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mai 2022.

La rapporteure,

Signé : M. B...La présidente de chambre,

Signé : A. Seulin

La greffière,

Signé : A.S. Villette La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N°20DA01714


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20DA01714
Date de la décision : 10/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: Mme Muriel Milard
Rapporteur public ?: M. Baillard
Avocat(s) : DAVID

Origine de la décision
Date de l'import : 06/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-05-10;20da01714 ?
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