Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2013 à 2015.
Par un jugement n° 1701643 du 2 mai 2019, le tribunal administratif d'Amiens a réduit la base de l'impôt sur le revenu de M. et Mme B... au titre des années 2013 à 2015 dans la limite de 25 000 euros par an et les a déchargés des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre de ces mêmes années dans la mesure de la réduction des bases d'imposition ainsi prononcée.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 juin 2019 et 21 octobre 2019, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1, 2 et 3 du jugement du 2 mai 2019 du tribunal administratif d'Amiens ;
2°) de remettre à la charge de M. et Mme B... les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu dont ils ont été déchargés par le jugement attaqué ;
3°) de prescrire le reversement de la somme de 1 500 euros mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les travaux en cause ne relèvent pas des travaux de grosses réparations au sens des articles 605 et 606 du code civil mais présentent le caractère de travaux de rénovation assimilables à une reconstruction ;
- à supposer même que les travaux en cause constitueraient, en tout ou partie, des travaux de grosse réparation au sens des articles 605 et 606 du code civil, les éléments produits par M. et Mme B... ne permettent pas de déterminer le montant des grosses réparations ; la note d'architecte du 9 septembre 2011 produite en première instance mentionne un " aménagement d'une habitation dans une ancienne grange ", ce qui tend à contredire la qualification de travaux de grosse réparation.
Par un mémoire en défense, enregistré les 27 septembre 2019, et un mémoire, enregistré le 21 février 2022, qui n'a pas été communiqué, M. et Mme C... B..., représentés par Me Froehlich, demandent, d'une part, le rejet de la requête présentée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, d'autre part, que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le seul point restant en litige concerne les travaux entrepris, lesquels ont incontestablement la nature de gros travaux et sont donc déductibles sur le fondement des dispositions du 2° quater du II de l'article 156 du code général des impôts ;
- l'administration n'est pas fondée à refuser l'application de cet avantage fiscal au motif que des travaux futurs et éventuels aboutiraient à terme à la création d'une maison d'habitation, et constitueraient donc une véritable reconstruction ; il s'agit là de simples spéculations dénuées de tout fondement car neuf ans après les travaux, aucun changement d'affectation n'a eu lieu ;
- ils avaient produit, en réponse à une demande de l'administration, les documents justifiant la nature et l'importance des travaux en cause.
Par une ordonnance du 19 janvier 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 28 février 2022.
Par une communication en date du 25 janvier 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions de la requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance tendant à ce que la cour prescrive le reversement, par M. et Mme B..., de la somme de 1 500 euros mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Sauveplane, président rapporteur,
- les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B... ont fait l'objet d'un contrôle sur pièces à l'issue duquel l'administration fiscale a notamment remis en cause le caractère déductible des charges afférentes aux travaux effectués par eux en qualité de nus-propriétaires d'un ensemble immobilier situé sur la commune de dans l'Aisne, qu'ils avaient déduites du montant de leurs revenus sur le fondement des dispositions du 2° quater du II de l'article 156 du code général des impôts. En conséquence, l'administration fiscale les a assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre des années 2013 à 2015 en suivant la procédure de redressement contradictoire. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève appel du jugement du 2 mai 2019 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif d'Amiens a réduit les bases imposables à l'impôt sur le revenu assignées à M. et Mme B... au titre des années 2013 à 2015 dans la limite de 25 000 euros par an et les a déchargés des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre de ces mêmes années dans la mesure de la réduction des bases d'imposition ainsi prononcée.
Sur les conclusions d'appel du ministre :
2. Il résulte de l'instruction que M. B... a consenti une donation de l'usufruit d'un ensemble immobilier à sa fille par acte notarié du 22 décembre 2009. En 2010, il a effectué des travaux sur ces mêmes biens à hauteur de 177 491,08 euros hors frais de maîtrise d'œuvre et a déduit le montant des charges y afférentes du montant de son revenu annuel, sur plusieurs années, dans la limite de 25 000 euros par an, sur le fondement des dispositions du 2° quater du II de l'article 156 du code général des impôts, pour un montant total de 150 000 euros. Pour remettre en cause les déductions de charges de leur revenu global ainsi effectuées par les contribuables et rehausser leur revenu imposable, l'administration fiscale s'est fondée sur la circonstance que les travaux réalisés par M. et Mme B... présentaient, selon elle, le caractère de travaux de reconstruction ayant pour objet d'aménager la grange en habitation et qu'à ce titre, les charges supportées par les contribuables ne pouvaient pas donner lieu à déduction.
3. Aux termes de l'article 156 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " L'impôt sur le revenu est établi d'après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal. Ce revenu net est déterminé eu égard aux propriétés et aux capitaux que possèdent les membres du foyer fiscal désignés aux 1 et 3 de l'article 6, aux professions qu'ils exercent, aux traitements, salaires, pensions et rentes viagères dont ils jouissent ainsi qu'aux bénéfices de toutes opérations lucratives auxquelles ils se livrent, sous déduction : / (...) / II. Des charges ci-après lorsqu'elles n'entrent pas en compte pour l'évaluation des revenus des différentes catégories : / (...) / 2° quater. Sur option irrévocable du contribuable entraînant renoncement à leur prise en compte pour l'évaluation de ses revenus fonciers, les dépenses effectivement supportées par les nus-propriétaires au titre de travaux payés en application de l'article 605 du code civil, lorsque le démembrement de propriété d'un immeuble bâti résulte de succession ou de donation entre vifs, effectuée sans charge ni condition et consentie entre parents jusqu'au quatrième degré inclusivement. Ces dépenses peuvent être déduites dans la limite annuelle de 25 000 euros. La fraction des dépenses excédant cette limite peut être déduite, dans les mêmes conditions, au titre des dix années suivantes ; / (...) ". Aux termes de l'article 605 du code civil : " L'usufruitier n'est tenu qu'aux réparations d'entretien. / Les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire, à moins qu'elles n'aient été occasionnées par le défaut de réparations d'entretien, depuis l'ouverture de l'usufruit ; auquel cas l'usufruitier en est aussi tenu. ". Aux termes de l'article 606 du même code : " Les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières. / Celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier. / Toutes les autres réparations sont d'entretien. ".
4. En vertu de ces dispositions, l'impôt sur le revenu est établi sous déduction de déficits fonciers correspondant à des travaux effectués par les nus-propriétaires en application des articles 605 et 606 du code civil, lesquelles mettent à la charge du nu-propriétaire les grosses réparations, c'est-à-dire celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières et celui des murs de soutènement et de clôture.
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction et, notamment, des mentions des factures des entreprises (PSEUDO)A...(/PSEUDO) et (PSEUDO)D...(PSEUDO) adressées à M. et Mme B... pour un montant de 154 682,06 euros, que les travaux en cause ont concerné la maçonnerie des murs, la charpente et la couverture du bâtiment. Toutefois, la fourniture et la pose de fenêtres de toit de type " vélux ", les châssis, les stores d'occultation et volets roulants de ces fenêtres, à concurrence d'un montant de 12 944,40 euros TTC, qui est inclus dans ce montant de 154 682,06 euros, ne présentent pas le caractère de grosses réparations à la charge du nu-propriétaire. Il y a donc lieu de les distraire des dépenses éligibles et de ramener à 141 737,66 euros le montant éligible des travaux faisant l'objet des factures des entreprises A... et D.... Par ailleurs, les frais de maîtrise d'œuvre, d'un montant total de 18 610,27 euros, sont au nombre des dépenses éligibles et doivent être ajoutés au montant éligible des factures des entreprises A... et D.... Dès lors, le montant total des dépenses se rattachant aux travaux de grosses réparations au sens des articles 605 et 606 du code civil, et qui sont donc éligibles, s'élève à 160 347,93 euros et reste supérieur au montant de 150 000 euros déduit par M. et Mme B... de leurs revenus imposables.
6. En deuxième lieu, la circonstance, avancée par l'administration, que les factures adressées par les entreprises Mat et Scierie Moderne de la Thiérache, n'étant pas libellées à l'attention de M. et Mme B... mais à celle de la SCEA de (PSEUDO)E...(/PSEUDO), ne pourraient pas être prises en compte, n'est pas de nature à établir le bien-fondé des impositions dont les premiers juges ont accordé la décharge aux intéressés dès lors que, ainsi qu'il a été dit précédemment, le montant total des dépenses éligibles de 160 347,93 euros reste supérieur au montant de 150 000 euros déduit par les requérants de leurs revenus imposables.
7. Enfin, à supposer que les travaux en cause s'intègreraient dans une opération future de reconstruction ou d'agrandissement, les dépenses afférentes à ces travaux restent déductibles dès lors que les travaux en cause sont dissociables de cette opération éventuelle de reconstruction ou d'agrandissement.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a réduit la base imposable à l'impôt sur le revenu de M. et Mme B... au titre des années 2013 à 2015 dans la limite de 25 000 euros par an et prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu correspondant à la réduction en base ainsi prononcée. Par voie de conséquence, les conclusions du ministre de l'économie, des finances et de la relance tendant à ce que la cour prescrive le reversement par M. et Mme B... de la somme de 1 500 euros mise à la charge de l'Etat par les premiers juges sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, en tout état de cause, être rejetées.
Sur les conclusions de M. et Mme B... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante à l'instance, la somme de 1 500 euros à verser à M. et Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. et Mme B... la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à M. et Mme C... B....
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
Délibéré après l'audience publique du 31 mars 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Christian Heu, président de chambre,
- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mai 2022.
Le président, rapporteur,
Signé : M. SauveplaneLe président de chambre,
Signé : C. HeuLa greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°19DA01413 2