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10/02/2022 | FRANCE | N°20DA00131

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 10 février 2022, 20DA00131


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux demandes successives, la société de droit polonais Ruta Trans SP Zoo a demandé au tribunal administratif de Lille, notamment, d'une part, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés, au titre de la période du 1er janvier 2011 au 30 juin 2012, pour une somme de 661 114 euros en droits et 154 417 euros de pénalités, d'autre part, de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme de 820 031 euros au titre des rapp

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux demandes successives, la société de droit polonais Ruta Trans SP Zoo a demandé au tribunal administratif de Lille, notamment, d'une part, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés, au titre de la période du 1er janvier 2011 au 30 juin 2012, pour une somme de 661 114 euros en droits et 154 417 euros de pénalités, d'autre part, de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme de 820 031 euros au titre des rappels de taxe sur la valeur ajoutée assortis de pénalités mis à sa charge pour la période du 1er janvier 2011 au 30 juin 2012.

Par un jugement n° 1702269, 1800611 du 27 novembre 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 janvier 2020 et 7 juillet 2020, la société Ruta Trans SP Zoo, représentée par Me Dantcheff, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, de lui accorder la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter la rectification en prenant en compte les éléments comptables transmis et l'auto-liquidation de la taxe, sous déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant les achats, et de réduire les pénalités aux intérêts de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la convention signée le 20 juin 1975 entre la France et la Pologne tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sauveplane, président assesseur,

- les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société de droit polonais Ruta Trans SP Zoo a pour activité la location de camions avec chauffeurs, le transport routier national et international de marchandises et le commerce de gros et de détail de pièces détachées et accessoires pour automobiles. Elle a pour gérant et unique associé M. A... B..., qui est également gérant de l'EURL Distrinoves, société de droit français de transport routier national et international. A la suite d'investigations menées dans le cadre des dispositions de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale a considéré que la gestion de la société Ruta Trans SP Zoo était réalisée par M. B... à partir des locaux de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Distrinoves, situés en France. En conséquence, le service a estimé que la société Ruta Trans SP Zoo disposait en France d'un établissement pour lequel il a engagé une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013, période étendue jusqu'au 31 mars 2014 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. A l'issue de cette vérification de comptabilité, l'administration a notifié à la société Ruta Trans SP Zoo des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, pour un montant de 515 531 euros en droits et pénalités, au titre de la période du 1er janvier 2011 au 30 juin 2012, et une amende de 4 500 euros pour défaut de présentation d'une comptabilité informatisée. La société Ruta Trans SP Zoo relève appel du jugement du 27 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires et de l'amende ainsi mise à sa charge pour défaut de présentation d'une comptabilité informatisée.

Sur le principe de l'imposition de la société en France :

2. D'une part, aux termes du I de l'article 209 du code général des impôts : " (...) les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions. / (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions que ne sont passibles de l'impôt sur les sociétés que les seuls bénéfices réalisés dans des entreprises exploitées en France ou dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions. Les bénéfices réalisés par une entreprise ayant son siège hors de France sont imposables en France, notamment lorsqu'ils résultent d'opérations constituant l'exercice habituel en France d'une activité. Cette condition est réputée remplie, notamment, lorsque l'entreprise dont le siège est situé hors de France exploite en France un établissement stable.

4. D'autre part, aux termes de l'article 5 de la convention fiscale franco-polonaise du 20 juin 1975 : " 1. Au sens de la présente convention, l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. / 2. L'expression " établissement stable " comprend notamment : a) Un siège de direction ;/ b) Une succursale ; / c) Un bureau d'affaires commerciales ; / d) Une usine ; / e) Un atelier ; / f) Une mine, une carrière ou tout autre lieu d'extraction de ressources naturelles ; / g) Un chantier de construction ou de montage dont la durée dépasse douze mois. / (...) ". En outre, aux termes du 4. du même article : " Une personne agissant dans un Etat contractant pour le compte d'une entreprise de l'autre Etat contractant autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant, visé au paragraphe 5, est considérée comme " établissement stable " dans le premier Etat si elle dispose dans cet Etat de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, à moins que l'activité de cette personne ne soit limitée à l'achat de biens ou de marchandises pour l'entreprise. ".

5. Au cours des années d'imposition en litige, la société Ruta Trans SP Zoo, qui a pour gérant et unique associé M. B..., a réalisé des prestations pour le compte de la société Distrinoves, établie en France et dont M. B... est le gérant. La gestion opérationnelle de la société Ruta Trans SP Zoo était assurée en France par M. B... et son épouse, notamment en ce qui concerne les questions relatives au personnel, à la logistique et à la gestion administrative, comptable et commerciale. Ces derniers disposaient seuls des pouvoirs sur les comptes bancaires de la société Ruta Trans SP Zoo, tant en France qu'en Pologne. Si la société Ruta Trans SP Zoo avait son siège social en Pologne et y était inscrite au registre des sociétés polonaises, elle n'y disposait que d'un comptable et d'une employée, lesquels n'avaient pas en charge la direction opérationnelle de la société. En outre, de nombreux documents écrits en polonais à l'en-tête de la société font état du nom et des coordonnées en France des époux B.... L'activité de transport de la société en Pologne était inexistante et, jusqu'au 30 juin 2012, elle était domiciliée dans un appartement d'habitation en Pologne. Dans ces conditions, la société Ruta Trans SP Zoo doit être regardée comme ayant disposé, au cours des années d'imposition en litige, d'un établissement stable en France, au sens des dispositions précitées du I de l'article 209 du code général des impôts et de l'article 5 de la convention fiscale franco-polonaise du 20 juin 1975. C'est donc à bon droit que l'administration fiscale a considéré que la société Ruta Trans SP Zoo était imposable en France au titre des exercices 2011 et 2012.

Sur la régularité de la procédure :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales : " Sont taxés d'office : / (...) / 3° aux taxes sur le chiffre d'affaires, les personnes qui n'ont pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elles sont tenues de souscrire en leur qualité de redevables des taxes ; / (...) ".

7. La société Ruta Trans SP Zoo, ayant un établissement stable en France, était tenue de déposer les déclarations de chiffre d'affaires afférentes à son activité. Or, il est constant que la société n'a pas déposé ces déclarations fiscales ni régularisé sa situation dans les trente jours à compter de la mise en demeure qui lui a été adressée, le 23 avril 2014, par l'administration. Dès lors, c'est à bon droit que l'administration a mis en œuvre la procédure de taxation d'office.

8. En second lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires n'est consultée que dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire. Or, la société Ruta Trans SP Zoo ayant fait l'objet, à bon droit, ainsi qu'il a été dit au point précédent, d'une procédure de taxation d'office, elle n'a été, par suite, privée d'aucune garantie prévue par la loi. La procédure de contrôle était arrivée à son terme, l'administration a pu, à bon droit, mettre en recouvrement les impositions litigieuses les 15 septembre et 31 octobre 2016.

Sur le bien-fondé des impositions :

9. Au titre de la période en litige, la société Ruta Trans SP Zoo avait pour seul client la société Distrinoves. La vérification de comptabilité dont cette société a fait l'objet a permis à l'administration d'établir le montant des recettes encaissées par la société Ruta Trans SP Zoo et, par suite, de déterminer le montant de la taxe sur la valeur ajoutée dont elle était redevable.

10. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. ". Aux termes de l'article 259 du même code : " Le lieu des prestations de services est situé en France : / 1° Lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel et qu'il a en France : / a) Le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France auquel les services sont fournis ; / b) Ou un établissement stable auquel les services sont fournis ; / c) Ou, à défaut du a ou du b, son domicile ou sa résidence habituelle ; / (...) ".

11. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la société Ruta Trans SP Zoo disposait en France d'un établissement stable au titre des années d'imposition en litige. En conséquence, l'administration a pu estimer, en application des dispositions précitées des articles 256 et 259 du code général des impôts, que cette société était assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée en France. Dès lors, la société Ruta Trans SP Zoo n'était pas en situation de pouvoir facturer, hors taxes, les prestations de services qu'elle a réalisées pour le compte de la société Distrinoves. C'est donc à bon droit que l'administration a rappelé la taxe sur la valeur ajoutée collectée sur les prestations facturées hors taxes à la société Distrinoves.

12. La société requérante soutient être victime d'une double imposition. Toutefois, si la société Distrinoves a auto-liquidé la taxe sur la valeur ajoutée sur les factures établies hors taxes par la société Ruta Trans SP Zoo, il est constant que la taxe sur la valeur ajoutée collectée n'a pas été versée au Trésor public par cette société dès lors que ses factures étaient rédigées hors taxes, ni au demeurant par la société Distrinoves, en raison précisément de l'auto-liquidation par cette dernière de la taxe sur la valeur ajoutée. Par suite, contrairement à ce que soutient la société requérante, celle-ci ne peut être regardée comme " ayant payé la taxe sur la valeur ajoutée en France via la société Distrinoves ". Dès lors, le rappel de taxe sur la valeur ajoutée en litige ne constitue pas une double imposition.

Sur les pénalités :

13. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : / a. 10 % en l'absence de mise en demeure ou en cas de dépôt de la déclaration ou de l'acte dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ; / (...) ".

14. L'administration a fait application aux droits en litige de la majoration de 10 % prévue au a. du 1. de l'article 1728 du code général des impôts. Or, il est constant que la société Ruta Trans SP Zoo n'a pas déposé de déclaration de chiffre d'affaires, malgré une mise en demeure. Par conséquent, c'est à bon droit que l'administration a appliqué aux droits en litige la majoration de 10 % prévue par ces dispositions.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ruta Trans SP Zoo n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. L'Etat n'étant pas partie perdante à l'instance, les conclusions de la société Ruta Trans SP Zoo tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Ruta Trans SP Zoo est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ruta Trans SP Zoo et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée à l'administrateur général en charge de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

N°20DA00131 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20DA00131
Date de la décision : 10/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôt sur le revenu - Établissement de l'impôt - Taxation d'office.

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées - Taxe sur la valeur ajoutée - Personnes et opérations taxables - Territorialité.


Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Mathieu Sauveplane
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SELARL ACDA

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-02-10;20da00131 ?
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