La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/12/2021 | FRANCE | N°20DA01741

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 09 décembre 2021, 20DA01741


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler la décision implicite, née le 24 janvier 2018, par laquelle la société Orange a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et, d'autre part, de condamner la société Orange à lui verser la somme de 386 439,92 euros augmentée des intérêts capitalisés.

Par un jugement n° 1800929 du 24 août 2020, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :
>Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 novembre 2020 et le 5 novembre 2021, M. A... B...,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler la décision implicite, née le 24 janvier 2018, par laquelle la société Orange a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et, d'autre part, de condamner la société Orange à lui verser la somme de 386 439,92 euros augmentée des intérêts capitalisés.

Par un jugement n° 1800929 du 24 août 2020, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 novembre 2020 et le 5 novembre 2021, M. A... B..., représenté par Me Maillot, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision implicite, née le 24 janvier 2018, par laquelle la société Orange a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

3°) de condamner la société Orange à lui verser la somme de 386 439,92 euros augmentée des intérêts moratoires à compter de l'introduction de la demande indemnitaire préalable, soit le 24 novembre 2017, avec capitalisation de ces intérêts dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil à l'issue d'un délai d'un an ;

4°) de mettre à la charge de la société Orange la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

- le décret n° 72-420 du 24 mai 1972 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., technicien d'installation titulaire à France Télécom, exerçait des fonctions de développeur d'informatique jusqu'au 1er octobre 2005, date à laquelle il a été affecté en tant que chargé d'affaires dans le groupe boucle locale Dieppe-Le Havre, sur le site de Capuchet, dans le cadre d'une réorganisation de service ayant impliqué la suppression de son poste. Il a été placé en congé de maladie ordinaire durant trois semaines en décembre 2005, dix-neuf jours en mai 2006 et sept jours en juin 2006. Le 29 juin 2006, il a fait un malaise sur son lieu de travail, suivi d'un arrêt de travail et a été placé en congé de longue durée du 30 juin 2006 au 29 décembre 2010 pour une grave dépression. Il a, en outre, été victime d'un syndrome coronarien aigu en décembre 2010. Par une décision du 12 décembre 2006, prise après avis du conseil de discipline du 28 novembre 2006, le directeur territorialement compétent de France Télécom a prononcé à son encontre une sanction d'exclusion temporaire de vingt-quatre mois pour indiscipline, service non fait et insubordination. Par jugement du 5 mars 2009, le tribunal administratif de Rouen, après avoir estimé que les faits reprochés étaient établis et constitutifs de fautes de nature à justifier une sanction, a annulé la sanction prononcée comme manifestement disproportionnée. M. B... s'est alors trouvé placé, successivement, en position de congé de longue maladie puis de congé de longue durée. Par décision du 11 mai 2010, son congé de longue durée a été, après avis du comité médical de France Télécom, prolongé du 30 décembre 2009 au 29 décembre 2010, à plein traitement, pour une période de " 6 mois + 6 mois ". Par jugement du 28 mai 2013, le tribunal administratif de Rouen a rejeté la requête de M. B... tendant à l'annulation de cette dernière décision. Parallèlement, celui-ci a demandé, le 17 septembre 2009, la reconnaissance de l'imputabilité au service d'un accident survenu le 29 juin 2006. Par jugement du 28 mai 2013, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision refusant de reconnaître une telle imputabilité. Le 20 novembre 2017, M. B... a adressé à la société Orange une demande, reçue le 24 novembre 2017, tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle et à la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait d'agissements de harcèlement moral et de discrimination. Le silence gardé par l'employeur sur ces demandes a fait naître une décision implicite de rejet. Par un jugement du 24 août 2020, le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande de M. B... tendant, d'une part, à l'annulation de la décision rejetant implicitement sa demande de protection fonctionnelle et, d'autre part, à la condamnation de la société Orange à lui verser, en réparation des préjudices résultant selon lui des agissements susmentionnés, la somme de 386 439,92 euros, augmentée des intérêts légaux capitalisés. M. B... relève appel de ce jugement.

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ". Aux termes de l'article 2 du décret du 24 mai 1972 portant statut particulier du corps des techniciens des installations de télécommunications : " Les techniciens exercent la responsabilité d'activités relevant de leur spécialisation. Ils sont chargés, au sein d'une équipe, de l'exploitation technique et de la maintenance des installations et équipements. Ils peuvent assurer des tâches de conduite, surveillance et contrôle des installations techniques et être amenés à contrôler les interventions et travaux de maintenance de prestataires de service sous contrat. Ils peuvent en outre exercer leurs activités dans le secteur de la formation, le secteur commercial et celui de la recherche ainsi que dans les activités concurrentielles. Les chefs techniciens coordonnent et contrôlent les activités d'une équipe de techniciens et d'aides-techniciens. Ils peuvent en outre exercer, parmi les activités des techniciens, celles relevant d'une responsabilité, d'une technicité et d'une complexité plus importantes. ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé. En outre, pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique mais, dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions du fonctionnaire justifié par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

4. M. B... soutient avoir fait l'objet de pressions et de harcèlements de la part de la direction de France Télécom, devenue la société Orange, en rappelant que ce n'est qu'en octobre 2004 que sa nomination officielle à la fonction de concepteur développeur informatique a enfin été reconnue, qu'il a été muté en 2005 d'office et sans médiation sur le site du Capuchet dans des fonctions de chargé d'affaires qui ne correspondaient pas à ses compétences en informatique et ne figurent pas dans le référentiel de classification des fonctions au sein de France Télécom de 1992. Il indique qu'il a été nommé dans un poste à Paris à plus de quatre heures de transports en commun de son domicile au 1er janvier 2012. Il relève également qu'un cadre, avec lequel il n'avait aucun lien hiérarchique, lui a reproché de ne pas être docile, cette provocation engendrant une altercation et qu'une première sanction, d'avertissement, lui a été notifiée par le directeur des relations humaines qui aurait tenu un discours brutal et humiliant. Il souligne avoir connu de nombreux arrêts de travail et avoir eu un malaise le 29 juin 2006, reconnu par un jugement, devenu définitif, du tribunal administratif de Rouen comme étant imputable au service, le contraignant à un arrêt de travail d'une durée totale de cinq ans pour une grave dépression nerveuse avec idées suicidaires. Il indique qu'il n'a pas fait l'objet de notations pour la période allant de 1993 à 2012, que des retenues injustifiées ont été faites sur son salaire et qu'il a fait l'objet d'une mesure d'exclusion temporaire annulée par jugement du tribunal administratif de Rouen. Il note que son employeur ne l'a pas accompagné humainement dans son évolution professionnelle, marquant ainsi une volonté latente de le déstabiliser en vue de le révoquer, et dénonce une politique d'entreprise selon lui anxiogène.

5. Il ressort des termes mêmes de l'article 2 précité du décret du 24 mai 1972 que les fonctions de chargé d'affaires, de développeur informatique et de concepteur-développeur applicatif entrent dans les attributions des techniciens des installations, et que les techniciens peuvent exercer leurs activités dans le secteur commercial sans nécessité de rattachement aux activités de techniciens des installations de télécommunication. Les pièces du dossier établissent que le changement d'affectation de M. B... en 2005 résulte d'une réorganisation dans l'intérêt du service. Postérieurement au 1er janvier 2006, il a fait l'objet d'une affectation provisoire, comme il le relève d'ailleurs dans sa requête, et non d'une mutation disciplinaire. M. B... ne produit aucun élément relatif à des demandes qu'il aurait adressées à fin de reconnaissance de son grade, de sa reconnaissance professionnelle et du non-respect des formes attachées au reclassement des agents publics. Aucune pièce du dossier ne permet de remettre en cause le bien-fondé de l'avertissement du 2 novembre 2005 et du blâme du 10 janvier 2006 infligés à l'intéressé alors que M. B... a, par courriel du 31 janvier 2006, présenté ses excuses pour son comportement irrespectueux, lequel, contrairement à ce qu'il soutient en appel, ne se limitait pas à un simple écart de sa part s'agissant d'un problème de recherche d'emploi. Le jugement du 5 mars 2009 du tribunal administratif de Rouen, devenu définitif, bien qu'ayant annulé la sanction d'exclusion d'une durée de vingt-quatre mois pour disproportion, a toutefois relevé que les faits reprochés d'indiscipline, de service non fait et d'insubordination étaient matériellement établis et de nature à justifier une sanction. La société Orange ne prendra d'ailleurs pas de nouvelle sanction. S'agissant des huit retenues sur traitement pour absence de service fait du 19 au 23 juin et du 26 au 28 juin 2006, elles concernent une absence irrégulière, M. B... ayant refusé de s'installer dans son bureau au sein de son nouveau service et s'étant absenté pour les besoins de sa recherche d'emploi et de son dossier de validation des acquis de l'expérience, sans solliciter d'autorisation d'absence de son employeur. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... aurait été livré à lui-même dans les nouvelles fonctions qui lui avaient été attribuées. L'absence de notation alléguée pendant plusieurs années, quoiqu'illégale, ne démontre pas de volonté de le discriminer ou de le harceler. Aucune pièce du dossier n'indique que l'intéressé était, par ailleurs, le seul agent dans cette situation et il n'est pas soutenu que cette absence de notation lui aurait fait perdre une chance de déroulement de carrière plus rapide. Si la décision du 7 juillet 2010 par laquelle France Télécom a rejeté la demande de M. B... tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service du malaise sur le lieu de travail survenu le 29 juin2006 a été annulée par le tribunal administratif de Rouen, elle ne constitue pas un agissement susceptible de procéder d'un harcèlement moral. La décision du 11 mai 2010 le plaçant en congé de longue durée du 30 décembre 2009 au 29 décembre 2010, conformément à la décision de la commission de réforme, a fait l'objet d'un jugement, devenu définitif, du tribunal administratif de Rouen, en date du 28 mai 2013, rejetant la requête de l'intéressé. Celui-ci n'établit pas plus que cette décision serait illégale. M. B... reconnaît avoir été affecté au 1er janvier 2012 dans des fonctions informatiques et promu au grade II-3 au 1er septembre 2011, puis au grade III-2 au 1er janvier 2013 des cadres de 2e niveau de France Télécom.

6. Enfin, si M. B... se prévaut du jugement du 20 décembre 2019 par lequel le tribunal correctionnel de Paris a condamné la société Orange à une peine maximum de 75 000 euros d'amende et déclaré coupables, ses dirigeants, du chef de harcèlement moral intentionnel, aucune pièce du dossier ne démontre que M. B... aurait été victime d'un tel " harcèlement moral organisé " dirigé à son encontre.

7. En se bornant à faire référence aux mêmes éléments factuels que ceux énumérés et analysés aux points précédents, M. B... n'apporte, pas plus en appel qu'en première instance, d'éléments de fait susceptibles de faire présumer une discrimination quelconque dont il aurait été l'objet de la part de son employeur.

8. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que M. B... ait été victime d'agissements répétés de harcèlement moral exercés à son encontre, au sens des dispositions précitées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, et qu'ainsi les premiers juges n'aient pas tiré les conséquences des pièces qui leur ont été soumises s'agissant des faits de harcèlement moral dont il allègue avoir fait l'objet. Dès lors, les agissements reprochés par l'appelant ne présentent pas le caractère d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration. Par suite, les prétentions indemnitaires au titre des préjudices subis du fait du harcèlement moral allégué par M. B... doivent être rejetées. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite du 24 janvier 2018 par laquelle la société Orange a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle doivent également être rejetées.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme au titre des frais exposés par la société Orange et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société Orange au titre de dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la société Orange.

2

N° 20DA01741


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20DA01741
Date de la décision : 09/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-07-10-005 Fonctionnaires et agents publics. - Statuts, droits, obligations et garanties. - Garanties et avantages divers. - Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : SCP DELVOLVE GUILLAUME ET ANTOINE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-12-09;20da01741 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award