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07/12/2021 | FRANCE | N°20DA01728

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 07 décembre 2021, 20DA01728


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 6 novembre 2020 et un mémoire enregistré le 29 octobre 2021 qui n'a pas été communiqué aux autres parties, la société CE Trois Rivières, représentée par Me Hélène Gelas, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 31 août 2020 par lequel le préfet de l'Aisne a rejeté sa demande d'autorisation unique pour construire et exploiter un parc éolien composé de huit aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Any-Martin-Rieux, Leuze et Martigny ;

2°) de lui

octroyer l'autorisation sollicitée en l'assortissant, en tant que de besoin, des prescriptio...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 6 novembre 2020 et un mémoire enregistré le 29 octobre 2021 qui n'a pas été communiqué aux autres parties, la société CE Trois Rivières, représentée par Me Hélène Gelas, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 31 août 2020 par lequel le préfet de l'Aisne a rejeté sa demande d'autorisation unique pour construire et exploiter un parc éolien composé de huit aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Any-Martin-Rieux, Leuze et Martigny ;

2°) de lui octroyer l'autorisation sollicitée en l'assortissant, en tant que de besoin, des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ;

3°) à titre subsidiaire, de lui octroyer l'autorisation sollicitée et d'enjoindre au préfet de l'Aisne de fixer, s'il y a lieu, les prescriptions techniques nécessaires dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ou, à défaut, d'enjoindre au préfet de l'Aisne de délivrer l'autorisation sollicitée et de fixer, s'il y a lieu, les prescriptions techniques nécessaires dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale, notamment son article 15 ;

- le décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 relatif à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, notamment son article 12 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Eustache, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Eléonore Kerjean-Gauducheau représentant la société CE Trois Rivières.

Une note en délibérée présentée par la société CE Trois Rivières a été enregistrée le 24 novembre 2021.

Considérant ce qui suit :

1. La société CE Trois Rivières a déposé le 30 novembre 2016 une demande d'autorisation unique aux fins de construire et d'exploiter un parc éolien composé de huit aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Any-Martin-Rieux, Leuze et Martigny. Par un arrêté du 31 août 2020, le préfet de l'Aisne a rejeté cette demande.

Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :

2. Aux termes de l'article 12 du décret du 2 mai 2014 susvisé : " I. - Le représentant de l'Etat dans le département rejette la demande d'autorisation unique en cas de désaccord consécutif aux consultations menées conformément aux 2° et 3° du II de l'article 10. / Ce rejet est motivé par l'indication des éléments mentionnés dans ce ou ces désaccords. / II. - Le représentant de l'Etat dans le département peut rejeter la demande pour l'un des motifs suivants : / 1° Le dossier reste incomplet ou irrégulier à la suite de la demande mentionnée à l'article 11 ; / 2° Le projet ne permet pas d'atteindre les objectifs mentionnés à l'article 3 de l'ordonnance du 20 mars 2014 susvisée ; / 3° Le projet est contraire aux règles qui lui sont applicables. / Ce rejet est motivé ".

3. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté attaqué que celui-ci comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Il mentionne notamment les caractéristiques des trames bocagères environnantes, décrit les espèces avifaunistiques qui sont présentes dans la zone d'implantation du projet et à ses abords, se prononce sur l'efficacité des mesures d'accompagnement envisagées par le pétitionnaire et relève que les atteintes à l'environnement ne sauraient être prévenues par des prescriptions particulières. Par suite, le moyen tiré d'un défaut de motivation doit être écarté.

Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :

4. Aux termes du I de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ".

5. Pour rejeter la demande d'autorisation environnementale sollicitée par la société CE Trois Rivières, le préfet de l'Aisne s'est fondé sur des risques excessifs d'atteinte à des espèces d'oiseaux et de chiroptères présents dans la zone d'implantation du projet et à ses alentours.

6. En premier lieu, le préfet de l'Aisne a estimé que le Milan noir, le Milan royal, le Traquet motteux et quatre espèces de chiroptères, à savoir le Murin à oreilles échancrées, le Murin de Bechstein, l'Oreillard roux et le Grand murin, étaient présents dans la zone d'implantation du projet ou à proximité.

7. Toutefois, le préfet et la ministre en défense ne font valoir que des considérations générales sur l'observation de ces espèces à une échelle départementale ou régionale, sans apporter d'éléments précis et circonstanciés sur les éventuels habitats et zones de nichage ou de gagnage de ces espèces dans les aires pertinentes d'analyse, alors qu'il résulte de l'étude d'impact environnementale produite par la pétitionnaire que ces espèces sont rares voire absentes dans la zone d'implantation et à ses alentours. Par suite, la demande d'autorisation ne pouvait être à bon droit refusée sur le fondement de risques excessifs d'atteinte aux espèces d'oiseaux et de chiroptères mentionnées au point précédent.

8. En deuxième lieu, le préfet de l'Aisne s'est également fondé, dans l'arrêté attaqué, sur les risques excessifs d'atteinte aux cigognes noires qui nichent aux alentours.

9. Il résulte de l'instruction et notamment de l'étude d'impact que cette espèce d'oiseau, qui a été classée en " danger " dans la liste rouge des oiseaux nicheurs de France métropolitaine et en " danger critique d'extinction " dans les départements de l'Aisne, de la Somme et de l'Oise, niche dans les espaces boisés et s'alimente dans les cours d'eau et zones humides situés dans un rayon de 10 kilomètres autour de son nid. Sur ce point, l'autorité environnementale a également indiqué dans son avis n° MRAe 2018-2832 que " les zones d'alimentation pour cette espèce varient d'une année sur l'autre en fonction des conditions climatiques et il est donc essentiel de préserver un habitat favorable à cette espèce sans éléments perturbateurs, comme le sont les éoliennes, dans un rayon d'une dizaine de kilomètres autour de la [zone de nidification] ".

10. Si l'étude d'impact relève que plusieurs cigognes noires nichent dans la forêt domaniale de Saint-Michel à 6 kilomètres au nord de la zone d'implantation du projet et que cette espèce a été observée au-dessus de cette zone, elle en conclut cependant que les survols sont épisodiques et que " la zone de la vallée du Ton située au sud des éoliennes n'apparaît pas comme une zone d'intérêt particulier pour les cigognes noires de la forêt Saint Michel ". Pour autant, compte tenu de la localisation de la vallée du Petit Gland, qui serpente dans la forêt Saint Michel et ses alentours, la pétitionnaire a supprimé les six aérogénérateurs qu'elle projetait initialement d'implanter à proximité de cette vallée, de sorte que son projet définitif ne comporte plus que les aérogénérateurs E 7 à 9 et E 10 à 14 situés plus au sud de la forêt Saint Michel, à environ 1 500 mètres de la vallée du Ton.

11. Or il résulte des travaux conduits, notamment en 2020, par la Société pour l'étude et la protection de la nature en Thiérache (SEPRONAT), dont les résultats ne sont pas sérieusement contestés et que l'étude d'impact reconnaît ne pas avoir exploités, qu'en raison de l'augmentation de la population des cigognes noires qui nichent dans la forêt Saint-Michel et de la récurrence des périodes de sécheresse, ces oiseaux ont élargi leurs zones de gagnage à l'ouest et au sud de leur nid, notamment en direction de Bucilly à 2,7 kilomètres des éoliennes E7 et E8 et en direction de Leuze à 2 kilomètres des éoliennes E 10 et E 11 au sein de la vallée du Ton. La SEPRONAT en conclut que " ces deux zones de gagnages sont fréquemment utilisées pendant la période de migration des cigognes noires. Celles-ci volant entre 40 et 150 mètres d'altitude en fonction du relief mais surtout des courants ascendants lorsqu'ils sont présents. Ainsi la ZIP se situe entre la zone de gagnage de Leuze et la zone de nidification mais aussi sur un axe potentiel de vol avec l'emprunt de courants ascendants pour les allers-retours de la zone de gagnage de Bucilly/Eparcy et la zone de nidification ". La SEPRONAT relève également que " lors de la période de migration postnuptiale, il s'avère que la zone de gagnage de Leuze sert aussi de zone pour les haltes migratoires de cette espèce. En effet, une observation de deux individus en halte migratoire s'alimentant à environ 600 mètres de l'éolienne 9 a été réalisée ".

12. L'utilisation de la vallée du Ton comme " zone de nourrissage " est corroborée par une note établie en février 2019 par l'Office national des forêts qui a étudié la localisation et l'évolution des populations nichant dans la forêt Saint-Michel, ainsi que par les études conduites pour la construction du parc éolien de La Tirroye dans les communes de Bucilly et d'Eparcy, lesquelles relèvent des " transits réguliers et nourrissage en particulier aux abords du Ton ".Par ailleurs, si la requérante soutient qu'un projet de parc éolien a été autorisé au sein de la même zone dans le territoire de la commune de Landouzy-la-Ville, ce parc est cependant plus éloigné des zones de nidification et de gagnage des cigognes noires localement identifiées et il n'est pas situé entre ces deux zones à la différence du projet litigieux.

13. Il résulte de ce qui précède que, dans les circonstances particulières de l'espèce, eu égard à la proximité et à la localisation des zones de nidification et de gagnage des cigognes noires localement identifiées, de part et d'autre de la zone d'implantation du projet, ce dernier, bien qu'il ne comporte pas lui-même de zone humide ou boisée, présente des risques élevés d'atteinte à cette espèce.

14. Si, pour réduire les risques de collision et d'effet barrière à l'encontre des cigognes noires, la pétitionnaire a ramené le nombre d'aérogénérateurs de quatorze à huit comme indiqué ci-dessus, prévu un espacement plus important entre certains d'entre eux et proposé d'installer un système dénommé " Safewind " de vidéosurveillance couplé à un dispositif d'effarouchement, qui n'a toutefois pas encore fait l'objet d'une évaluation indépendante et fiable, il ne résulte pas de l'instruction que de telles mesures soient susceptibles de réduire à un niveau acceptable les risques élevés d'atteinte à cette espèce eu égard à la gravité de la menace d'extinction qui pèse sur elle. Il ne résulte pas non plus de l'instruction que d'autres mesures d'évitement, de réduction ou de compensation de ces risques soient envisageables dans les circonstances particulières de l'espèce.

15. Dès lors qu'il résulte de l'instruction qu'en se fondant sur les seuls risques d'atteinte aux cigognes noires localement identifiées, le préfet de l'Aisne aurait pris la même décision que celle attaquée, la requérante n'est pas fondée à soutenir que cette dernière méconnaîtrait les dispositions précitées de l'article L. 181-3 du code de l'environnement. Par suite, les conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées et, par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société CE Trois Rivières est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société CE Trois Rivières et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera transmise, pour information, au préfet de l'Aisne et aux communes de Leuze, Martigny et Any-Martin-Rieux.

N°20DA01728

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20DA01728
Date de la décision : 07/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

44-02 Nature et environnement. - Installations classées pour la protection de l'environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Stéphane Eustache
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : CABINET LEFEVRE PELLETIER ET ASSOCIES ET CGR LEGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-12-07;20da01728 ?
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