Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Société à responsabilité limitée (SARL) Valeurs et Conseils a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge de l'amende qui lui a été infligée en application de l'article 1740 du code général des impôts, pour un montant de 185 187 euros.
Par un jugement n° 1705094 du 5 juillet 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 septembre 2019, la SARL Valeurs et Conseils, représentée par Me Maton, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de cette amende d'un montant de 185 187 euros ou, à défaut, de réduire le montant de cette amende à la somme de 93 864 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- Le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Sauveplane, président-assesseur,
- les observations de Me Maton, avocat de la SARL Valeurs et Conseils,
- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Valeurs et Conseils, qui exerce une activité de conseil en opération de défiscalisation dans les départements d'outre-mer, de courtier en assurance de personnes et d'intermédiaire en négociation de prêts immobiliers, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration a constaté des incohérences entre les dates d'acquisition des équipements, les factures attestant de l'acquisition des équipements, l'absence de justification de la livraison effective de ces équipements et l'absence de justification de la réalité des contrats d'exploitation. L'administration a, en conséquence, infligé à la SARL Valeurs et Conseils l'amende prévue à l'article 1740 du code général des impôts, au titre de l'année 2011, pour un montant de 185 187 euros, qui a été mis en recouvrement le 1er juillet 2015. La SARL Valeurs et Conseils relève appel du jugement du 5 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette amende.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que la juridiction relevant du Conseil d'Etat, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...) ".
3. En premier lieu, le Conseil constitutionnel, par une décision n° 2014-418 QPC du 8 octobre 2014, a, dans ses motifs et son dispositif, déclaré conforme à la Constitution l'ancien article 1756 quater du code général des impôts, dont les dispositions sont substantiellement identiques à celles de l'article 1740 du code général des impôts.
4. En second lieu, si la SARL Valeurs et Conseils soutient que les dispositions de l'article 1740 du code général des impôts méconnaissent les principes d'indépendance et d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 en ce que n'est pas organisée, au sein de l'administration, la séparation des fonctions de poursuite et de jugement, il ne saurait toutefois être déduit des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que le pouvoir d'infliger une amende serait réservé à une administration non soumise au pouvoir hiérarchique du ministre et au sein de laquelle serait respectée une séparation des fonctions de poursuite et de " jugement " conforme aux principes d'indépendance et d'impartialité. En particulier, si le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 016-616/617 QPC du 9 mars 2017, a rappelé que les autorités administratives indépendantes doivent respecter, lorsqu'elles infligent une sanction, les principes d'indépendance et d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen desquels résultent une indépendance hiérarchique et une séparation des fonctions de poursuite et de " jugement ", il ne saurait être déduit de cette décision que l'exigence d'indépendance hiérarchique et de séparation des fonctions de poursuite et de " jugement " s'étendrait à l'administration fiscale lorsqu'elle inflige une sanction sur le fondement des dispositions du code général des impôts.
5. Par suite, la question soulevée ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SARL Valeurs et Conseils, le moyen tiré de ce que l'article 1740 du code général des impôts porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et, notamment, à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 doit être écarté.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6§3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
6. D'une part, aux termes de l'article 1740 du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsque l'octroi des avantages fiscaux prévus par les articles 199 undecies A, 199 undecies B, 199 undecies C, 217 undecies et 217 duodecies est soumis à la délivrance d'un agrément du ministre chargé du budget, dans les conditions définies à ces articles, toute personne qui, afin d'obtenir pour autrui les avantages fiscaux susmentionnés, a fourni volontairement à l'administration de fausses informations ou n'a volontairement pas respecté les éventuels engagements pris envers elle est redevable d'une amende égale au montant de l'avantage fiscal indûment obtenu, sans préjudice des sanctions de droit commun. / Toute personne qui, afin d'obtenir pour autrui les avantages fiscaux mentionnés au premier alinéa, s'est livrée à des agissements, manœuvres ou dissimulations ayant conduit à la reprise par l'administration des avantages fiscaux est redevable d'une amende, dans les mêmes conditions que celles mentionnées au premier alinéa. ".
7. D'autre part, aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. / Les sanctions fiscales ne peuvent être prononcées avant l'expiration d'un délai de trente jours à compter de la notification du document par lequel l'administration a fait connaître au contribuable ou redevable concerné la sanction qu'elle se propose d'appliquer, les motifs de celle-ci et la possibilité dont dispose l'intéressé de présenter dans ce délai ses observations. ".
8. Enfin, le paragraphe 3 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que " tout accusé a droit notamment à : / (...) / c. se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix (...) ".
9. L'amende fiscale prévue à l'article 1740 du code général des impôts est au nombre des sanctions administratives constituant des " accusations en matière pénale " au sens des stipulations précitées de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, il ne résulte ni des dispositions applicables à l'établissement de l'amende prévue à l'article 1740 du code général des impôts ni des obligations qui découlent du principe général des droits de la défense que l'administration fût tenue de mentionner, dans le document prévu à l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales, la possibilité pour la personne à laquelle il est envisagé d'infliger l'amende de se faire assister d'un conseil de son choix. Dès lors, le seul fait pour l'administration de ne pas avoir mentionné cette faculté n'a pas compromis les chances de la société SARL Valeurs et Conseils d'obtenir gain de cause, avec l'assistance d'un défenseur, devant le juge. Par suite, celle-ci n'est pas fondée à soutenir qu'elle a été privée de la garantie d'équité énoncée par le c. du paragraphe 3 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales, en tant qu'il ne mentionne pas la possibilité pour la personne à laquelle il est envisagé d'infliger l'amende de se faire assister d'un conseil de son choix, n'est pas contraire à ces mêmes stipulations du paragraphe 3 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence de l'inspecteur ayant décidé d'infliger les pénalités :
10. Aux termes de l'article 350 terdecies de l'annexe III au code général des impôts : " I. Sous réserve des dispositions des articles 409 et 410 de l'annexe II au code général des impôts, seuls les fonctionnaires de la direction générale des impôts appartenant à des corps des catégories A et B peuvent fixer les bases d'imposition et liquider les impôts, taxes et redevances ainsi que proposer les rectifications. / (...) ".
11. En application de ces dispositions, les fonctionnaires de catégorie A peuvent proposer des rectifications aux contribuables, lesquelles incluent nécessairement l'application des éventuelles pénalités et amendes prévues par la réglementation, à titre principal ou accessoire aux rectifications. Dès lors, et bien qu'une pénalité ne constitue pas une imposition au sens strict dès lors qu'elle vise à réprimer un comportement et à prévenir la répétition de ce comportement, les fonctionnaires de la direction générale des impôts appartenant à des corps des catégories A et B demeurent compétents pour décider d'appliquer une sanction prévue par le code général des impôts. Or, il résulte de l'instruction que l'application à la SARL Valeurs et Conseils de l'amende prévue à l'article 1740 du code général des impôts a été décidée par une inspectrice des finances publiques, qui appartient à un corps de fonctionnaire de catégorie A. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le bien-fondé de l'amende :
12. Le deuxième alinéa de l'article 1740 du code général des impôts permet à l'administration d'infliger l'amende prévue par ces dispositions à une personne qui s'est livrée à des agissements, manœuvres ou dissimulations ayant conduit à la reprise par l'administration des avantages fiscaux.
13. Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration. ".
14. L'administration établit que la SARL Valeurs et Conseils a accompli les démarches permettant la réalisation du projet d'investissement à travers la création puis la gestion de la SNC Dominvest 45, la recherche des entreprises et des fournisseurs. Cette société a également fourni à l'administration fiscale l'ensemble des pièces relatives à l'opération pour l'obtention de la réduction d'impôt. Par ailleurs, l'administration a relevé que la vérification de comptabilité de la SNC Dominvest 45, crée et gérée par la SARL Valeurs et Conseils, avait mis en lumière que l'opération d'achat et de location de l'équipement acquis par la SNC Dominvest 45 n'avait pas été justifié. L'administration, pour justifier cette conclusion, avait relevé l'absence de règlement intégral de l'acompte au fournisseur de l'équipement destiné à être loué, l'absence de justification du règlement des loyers au fournisseur ainsi que l'absence de déclaration de résultats du locataire permettant de corroborer le paiement des loyers. En outre, de nombreuses incohérences ont été relevées : les fournisseurs n'étaient pas identifiables et la chronologie des opérations, la gestion comptable et les flux financiers étaient incohérents. Ces irrégularités ont conduit l'administration à remettre en cause la réalité du montage juridique effectué par la SARL Valeurs et Conseils à travers la SNC Dominvest 45. En conséquence de ces constatations, l'administration a remis en cause les réductions d'impôt sur le revenu des contribuables ayant souscrit au capital de la SNC Dominvest 45. Ainsi, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de ce que la SARL Valeurs et Conseils a intentionnellement procédé à des agissements ou manœuvres ayant conduit à la reprise des avantages fiscaux ainsi obtenus, au sens et pour l'application de l'article 1740 du code général des impôts.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Valeurs et Conseils n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'amende en litige.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. L'Etat n'étant pas partie perdante à l'instance, les conclusions de la SARL Valeurs et Conseils tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Valeurs et Conseils est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Valeurs et Conseils et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
N°19DA02133 2