Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 6 avril 2017 par lequel le maire de Guines a rejeté sa demande de protection fonctionnelle. Elle demandait également de condamner la commune à lui verser les sommes de 15 000 euros au titre de son préjudice moral et de 7 815 euros au titre de son préjudice de carrière. Elle demandait enfin d'enjoindre à la commune de Guines de produire les procès-verbaux de l'enquête interne effectuée du 2 au 17 mars 2017 ainsi que de cesser les pratiques de harcèlement moral à son encontre et de la rétablir dans ses prérogatives de chef du service des ateliers municipaux sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir.
Par un jugement n° 1704801 du 19 juin 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 août 2020 et le 7 janvier 2021, Mme B..., représentée par Me Anne Painset-Beauvillain, demande à la cour :
1°) d'enjoindre à la commune de Guines, avant dire droit, de produire les procès-verbaux de l'enquête interne réalisée du 2 au 10 mars 2017 ainsi que les fiches de paie de MM. Baron, Delattre et Seillier pour la période de janvier 2013 à mai 2019, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;
2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 19 juin 2020 ;
3°) d'annuler la décision du 6 avril 2017 du maire de Guines rejetant sa demande de protection fonctionnelle ;
4°) de condamner la commune de Guines à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral et la somme de 7 815 euros en réparation de son préjudice de carrière ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Guines la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- et les observations de Me Lucas Dermenghen pour la commune de Guines.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., adjointe administrative territoriale de deuxième classe, exerçait les fonctions de chef des ateliers de la commune de Guines. Recrutée en tant que stagiaire à compter du 3 janvier 2012, elle a été titularisée par arrêté du 23 octobre 2013 avec effet au 3 janvier 2013. S'estimant victime de harcèlement moral par son employeur, elle a demandé à ce titre le bénéfice de la protection fonctionnelle par courrier du 31 janvier 2017, reçu le 8 février suivant. Cette demande a été rejetée par arrêté du 6 avril 2017. Mme B... a alors saisi le tribunal administratif de Lille de conclusions tendant à l'annulation de cette décision ainsi que visant à l'indemnisation du préjudice subi et à ce qu'il soit enjoint à l'autorité territoriale de produire les procès-verbaux de l'enquête interne ayant conduit à la décision du 6 avril 2017, de faire cesser les agissements qu'elle affirme subir et de la rétablir dans ses prérogatives. Elle relève appel du jugement du 19 juin 2020 qui a rejeté ses demandes.
Sur la régularité du jugement :
2. Mme B... doit être regardée comme invoquant l'irrégularité du jugement en soutenant que le tribunal administratif a rejeté à tort comme irrecevables ses conclusions d'injonction à ce que lui soient communiqués les procès-verbaux de l'enquête interne. Toutefois, préalablement à la saisine du juge administratif, la personne qui demande la communication de documents administratifs doit avoir saisi la commission d'accès aux documents administratifs. Il n'est pas contesté que Mme B... n'avait pas procédé à cette saisine préalable. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté comme irrecevables ses conclusions d'injonction tendant à ce que ces documents lui soient communiqués.
Sur la légalité de l'arrêté du 6 avril 2017 :
3. D'une part aux termes du IV de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983: " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. ".
5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
6. En l'espèce, Mme B... a demandé la protection fonctionnelle pour des agissements de harcèlement moral dont elle s'estimait victime dans l'exercice de ses fonctions, constitués selon elle d'une part par des débordements de langage et des intimidations et d'autre part d'une volonté de sa mise à l'écart. Elle arguait enfin que ces faits avaient dégradé son état de santé.
7. En premier lieu, Mme B... soutient que le projet du maire de ne pas la titulariser à l'issue de son stage, ses notations pour la période de 2012 et 2013 ainsi que le blâme qui lui a été infligé le 23 septembre 2013 constituent des intimidations qui laissent présumer un harcèlement moral. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que ces décisions résultent du comportement professionnel de l'intéressée et sont motivées par des éléments étrangers à son appréciation professionnelle, alors d'ailleurs que Mme B... n'a jamais contesté ni les notations, ni la sanction dont elle a fait l'objet. En particulier, l'intéressée n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'elle aurait prévenu de son absence à l'origine de la sanction du 23 septembre 2013. De même, si le maire avait initialement envisagé de ne pas la titulariser, il est revenu sur cette décision avec effet au 3 janvier 2013, date normale de fin de son stage. Le refus initial de titularisation n'a donc eu aucune conséquence sur la carrière de Mme B.... Par ailleurs, les propos de ses supérieurs dont l'appelante se plaint, se limitent à un courrier du 18 avril 2013 du directeur général des services et à un courrier électronique du 3 mars 2014 de son supérieur, responsable des services techniques qui constituent des reproches sur le travail de l'intéressée qui n'excèdent pas les limites du pouvoir hiérarchique.
8. En deuxième lieu, Mme B... se plaint d'avoir été privée des moyens matériels pour assumer ces fonctions. Il ressort des pièces qu'elle fournit que les réponses qui lui ont été apportées par la commune notamment sur la limitation du nombre de clés d'accès aux locaux municipaux ou sur la possibilité pour un magasinier d'engager des dépenses inférieures à 150 euros, étaient motivées par des considérations de bon fonctionnement du service, que ne remet d'ailleurs pas en cause l'appelante. Si Mme B... se plaint de ne pas être suffisamment informée, voire de ne pas être soutenue dans la gestion des agents des ateliers par sa hiérarchie, il ressort de l'enquête interne menée à la suite de sa demande de protection fonctionnelle que ces agents, comme son supérieur direct, font état de ses absences fréquentes et de son arrivée tardive sur son lieu de travail pour expliquer ce défaut d'information et de compte-rendu. Par ailleurs, il ressort également des pièces du dossier que la limitation des responsabilités de l'intéressée est également justifiée par l'insuffisante maîtrise de ses compétences professionnelles dont attestent ses fiches de notation. Enfin, si Mme B... fait état d'une réorganisation des services techniques en début d'année 2018, celle-ci est postérieure à la décision contestée et ne saurait donc être prise en compte pour apprécier la légalité de la décision. De même, le blâme infligé à Mme B... le 15 mars 2018 sanctionne des faits postérieurs au refus de protection fonctionnelle. L'ensemble de ces éléments ne permettent pas non plus de laisser présumer d'un pouvoir abusif de sa hiérarchie à l'encontre de Mme B..., ni d'une volonté de la dévaloriser, comme le prétend l'appelante.
9. Par ailleurs, pour établir que les faits dont elle fait état ont altéré son état de santé, Mme B... produit trois arrêts de travail du 17 décembre 2012 au 4 janvier 2013, du 16 octobre 2015 au 31 octobre 2015 et du 25 novembre 2016 au 9 décembre 2016 qui ne suffisent à établir le lien de causalité entre les faits présumés de harcèlement et son affection. Toutefois, elle fournit également une expertise réalisée par une praticienne hospitalière dans le cadre de la plainte qu'elle a déposée pour harcèlement. Bien qu'effectuée le 27 juillet 2018, cette expertise peut évoquer un état antérieur à la décision contestée. Ce rapport se borne toutefois à estimer que l'état de stress aigu de l'intéressée est compatible avec les faits de harcèlement rapportés. Ces éléments ne suffisent donc pas à établir que les faits rapportés par Mme B... soient conformes à la réalité et à l'origine directe de l'altération de son état de santé.
10. Il résulte de tout ce qui précède que si Mme B... évoque une diminution de ses prérogatives qui pourraient laisser présumer des agissements de harcèlement moral, ces faits sont motivés par le comportement professionnel de l'intéressée. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille, par le jugement contesté, a rejeté ses conclusions d'annulation de la décision du 2017 lui refusant la protection fonctionnelle.
Sur l'indemnisation du préjudice subi :
11. Les faits postérieurs au refus de protection fonctionnelle évoqués par l'appelante ne laissent pas non plus présumer des agissements de harcèlement moral de la part de la commune. En particulier, la réorganisation des services techniques en début d'année 2018 ne démontre pas une mise à l'écart de Mme B... qui exerce dans ce nouvel organigramme, les fonctions d'adjointe en charge du patrimoine du directeur des services techniques. De même, il n'est pas établi que le blâme infligé à Mme B..., le 15 mars 2018, ait d'autres motifs que le comportement professionnel de l'intéressée. Or ainsi qu'il a été dit au point 10, aucun agissement de harcèlement n'est caractérisé antérieurement à sa demande de protection fonctionnelle. Il résulte de tout ce qui précède que la demande d'indemnisation du préjudice résultant des agissements de harcèlement moral ne peut qu'être rejetée, et ce sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de ces conclusions.
Sur les demandes d'injonction :
12. En premier lieu, Mme B... demande la production des procès-verbaux de l'enquête interne réalisée par le maire suite à sa demande de protection fonctionnelle. Il ressort des pièces du dossier que ces procès-verbaux lui ont été communiqués par courrier du 6 juin 2017. Par suite, ces conclusions sont devenues sans objet comme le fait valoir la commune en défense et il n'y a donc plus lieu à y statuer.
13. En deuxième lieu, Mme B... a démissionné de ses fonctions au sein de la commune de Guines. Les conclusions de l'intéressée visant à faire cesser les pratiques de harcèlement moral et à la rétablir dans les prérogatives de ses fonctions sont donc également et en tout état de cause devenues sans objet comme le reconnaît l'appelante qui d'ailleurs ne les reprend pas en appel.
14. En troisième lieu, Mme B... demande pour la première fois en appel la production des fiches de paie de certains agents. Une telle mesure d'instruction qui relève d'un pouvoir propre de la juridiction, n'est utile, ni pour statuer sur la légalité du refus de protection fonctionnelle, ni pour statuer sur les conclusions indemnitaires fondées sur le harcèlement moral dont elle s'estime victime.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 19 juin 2020 le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Sa requête d'appel doit donc être également rejetée, y compris ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de Mme B... la somme de 500 euros à verser à la commune de Guines sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu à statuer sur les conclusions de Mme B... tendant à ordonner à la commune de produire les procès-verbaux relatifs à l'enquête interne préalable à l'arrêté du 6 avril 2017 lui refusant la protection fonctionnelle.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Mme B... versera la somme de 500 euros à la commune de Guines au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la commune de Guines.
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N°20DA01248
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