Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'EARL Mours a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 14 septembre 2017 par lequel le préfet de la région Hauts-de-France a refusé de l'autoriser à exploiter des parcelles de terres d'une superficie de 3 ha 15 a situées sur le territoire de la commune de Villers-Bocage, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Par un jugement n° 1800743 du 9 juin 2020, le tribunal administratif d'Amiens a fait droit à sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 août 2020, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par l'EARL Mours devant le tribunal administratif d'Amiens.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 ;
- le décret n° 2015-713 du 22 juin 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Muriel Milard, première conseillère,
- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'EARL Mours a demandé, le 2 mai 2017, l'autorisation d'exploiter des parcelles de terres d'une superficie de 3 ha 15 a situées sur le territoire de la commune de Villers-Bocage, qui étaient jusque-là mises en valeur par l'EARL du Bocage. Par un arrêté du 14 septembre 2017, le préfet de la région Hauts-de-France lui a refusé l'autorisation d'exploiter ces terres. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation relève appel du jugement du 9 juin 2020 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a, à la demande de l'EARL Mours, annulé cet arrêté.
Sur les motifs d'annulation retenus par le jugement contesté :
2. Le schéma directeur des exploitations agricoles en Picardie étant entré en vigueur le 29 juin 2016 et la demande d'autorisation d'exploiter ayant été formulée par l'EARL Mours le 2 mai 2017, la décision attaquée doit être examinée au regard des dispositions du code rural et de la pêche maritime dans leur version en vigueur après la publication de la loi du 13 octobre 2014.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 331-1 du code rural et de la pêche maritime : " (...) / L'objectif principal du contrôle des structures est de favoriser l'installation d'agriculteurs, y compris ceux engagés dans une démarche d'installation progressive. Ce contrôle a aussi pour objectifs de : / 1° Consolider ou maintenir les exploitations afin de permettre à celles-ci d'atteindre ou de conserver une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles (...) ". Aux termes de l'article L. 331-3 du même code : " L'autorité administrative (...) vérifie, compte tenu des motifs de refus prévus à l'article L. 331-3-1, si les conditions de l'opération permettent de délivrer l'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 et se prononce sur la demande d'autorisation par une décision motivée. " Aux termes de l'article L. 331-3-1 du même code : " L'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 peut être refusée : 1° Lorsqu'il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l'article L. 312-1 ; 2° Lorsque l'opération compromet la viabilité de l'exploitation du preneur en place ; (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 29 juin 2016 établissant le schéma directeur régional des exploitations agricoles en Picardie : " Définitions - (...) Pour fixer les critères d'appréciation de l'intérêt d'une opération, on entend par : / maintien et consolidation d'une exploitation existante : fait pour une ou plusieurs personnes physiques ou morales d'atteindre ou de conserver une dimension économique viable ; (...) / Autres définitions : / Partie essentielle au fonctionnement de l'exploitation agricole : elle s'apprécie en fonction de l'activité de l'exploitation agricole ; il peut s'agir d'un bâtiment ou d'un équipement spécifique, d'un accès ou d'un terrain sans lequel une partie de l'activité de l'entreprise ne pourrait plus être exercée ou subirait un impact économique significativement défavorable (...) ". Aux termes de l'article 3 du même arrêté : " Ordre de priorités (...) Les priorités s'entendent des cas ou opérations qui n'induisent pas de démembrement d'une exploitation qui compromettrait la viabilité économique d'une exploitation agricole soit en la ramenant en dessous du seuil de surface fixé à l'article 4, soit en la privant d'une partie essentielle à son fonctionnement (...) / 2° Installation ou confortement d'une exploitation pour atteindre ou maintenir le seuil de contrôle (inclus) après la reprise, le cas échéant. (...) / 4° Agrandissement et maintien de la surface pour atteindre 1 fois (inclus) / UTANS le seuil de contrôle après reprise, le cas échéant. / 5° Agrandissement et maintien de la surface pour atteindre 1 à 1,5 fois (inclus)/UTANS le seuil de contrôle après reprise, le cas échéant. (...) / 7° Autre situation. " L'article 4 ajoute : " Fixation des seuils de contrôle : / Seuils de surface : Le seuil retenu correspond à 94 % de la SAU moyenne régionale toutes productions confondues. Il est de 90 ha après opération (...) ".
5. Pour annuler l'arrêté du 14 septembre 2017 par lequel le préfet de la région Hauts-de-France a refusé d'accorder à l'EARL Mours l'autorisation d'exploiter les terres demandées, les premiers juges ont estimé que le préfet ne pouvait retenir le motif tiré de ce que les parcelles concernées constituaient une partie essentielle au fonctionnement de l'exploitation du preneur en place et qu'il ne pouvait pas davantage retenir le motif tiré de ce que le preneur en place disposait d'un rang de priorité supérieur à celui de l'EARL Mours.
6. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, en se bornant à soutenir que le préfet de la région Hauts-de-France n'a pas méconnu l'ordre des priorités du schéma directeur régional des exploitations agricoles, ne critique pas le premier motif d'annulation retenu, à bon droit, par les premiers juges tiré de l'erreur d'appréciation commise par le préfet quant à l'impact économique de la reprise dès lors que l'EARL du Bocage exploite 280,30 hectares et qu'il n'est pas établi que la privation de 3,15 hectares la priverait d'une partie essentielle à son fonctionnement qui conduirait à son démembrement en compromettant sa viabilité économique.
7. Ensuite, il ressort des pièces du dossier que, si la reprise de terres demandée par l'EARL Mours n'aura pour effet que de porter à 8 ha 81 ares la superficie exploitée par celle-ci, soit une superficie inférieure au seuil de viabilité de 90 ha fixé par le schéma directeur, elle lui permet cependant de maintenir et de consolider son exploitation existante en se rapprochant progressivement de ce seuil de viabilité, ce qui correspond à la définition retenue à l'article 1er du schéma directeur régional des structures agricoles et à l'ordre de priorité n° 2 de ce même schéma directeur, cités au point 5. En outre, il n'est pas contesté que l'EARL du Bocage, qui comprend trois associés et exploite 280 ha 34 ares, soit 93 ha 44 a par UTANS, relevait de l'ordre de priorité n° 5 précité du même schéma directeur. Dès lors, en refusant à l'EARL Mours l'autorisation d'exploiter, le préfet de la région Hauts-de-France a méconnu l'ordre des priorités fixé par le schéma directeur et ainsi entaché l'arrêté du 14 septembre 2017 d'une erreur d'appréciation. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé l'arrêté préfectoral du 14 septembre 2017.
8. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation demande toutefois à la cour de substituer le motif tiré de ce que l'EARL Mours n'exercerait pas une réelle activité économique dès lors que sa gérante exerce une activité de vétérinaire et que l'élevage de chevaux n'apparaît pas dégager de chiffre d'affaires agricoles, à celui retenu initialement tiré de l'ordre des priorités du schéma. Toutefois, il n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations, alors que l'EARL Mours produit des pièces attestant de la réalité de son activité. Il ne peut ainsi être fait droit à la demande de substitution de motifs demandée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'agriculture et de l'alimentation n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a annulé l'arrêté du 14 septembre 2017 du préfet de la région Hauts-de-France refusant d'accorder à l'EARL Mours l'autorisation d'exploiter les terres demandées.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'EARL Mours, qui n'est pas partie perdante à l'instance, soit condamnée à verser à l'EARL du Bocage une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'EARL Mours d'une somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'agriculture et de l'alimentation est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à l'EARL Mours une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'EARL du Bocage au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à l'EARL Mours, à l'EARL du Bocage et au préfet de la région Hauts-de-France.
2
N°20DA01193