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20/07/2021 | FRANCE | N°20DA01897

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 20 juillet 2021, 20DA01897


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler les arrêtés du 14 mars 2020 par lesquels le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par une ordonnance n° 2003401 du 18 mai 2020, le président de la 8ème chambre du tribunal administra

tif de Lille a rejeté sa demande comme irrecevable.

Procédure devant la cour :

P...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler les arrêtés du 14 mars 2020 par lesquels le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par une ordonnance n° 2003401 du 18 mai 2020, le président de la 8ème chambre du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande comme irrecevable.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 novembre 2020, M. C..., représenté par Norbert G..., demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'annuler l'arrêté du 14 mars 2020 du préfet du Nord en tant qu'il lui a fait interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à son avocat, d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation par celui-ci à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E... D..., première conseillère,

- et les observations de Me F... J..., représentant le préfet du Nord.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., de nationalité algérienne né le 25 février 1982, entré en France le 9 octobre 2015 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de type C valable du 19 mai 2015 au 14 novembre 2015, a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai et d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une période de deux ans par un arrêté du 14 mars 2020. Par une décision du même jour, le préfet du Nord l'a assigné à résidence pour une période de quarante-cinq jours. M. C... relève appel de l'ordonnance du 18 mai 2020 du président de la 8ème chambre du tribunal administratif de Lille en tant qu'il a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 mars 2020 en tant qu'il lui fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " II. L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant. (...) Toutefois, si l'étranger est placé en rétention en application de l'article L. 551-1 ou assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, il est statué selon la procédure et dans le délai prévus au III du présent article. (...) III. En cas de placement en rétention en application de l'article L. 551-1, l'étranger peut demander au président du tribunal administratif l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant, dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention. (...) L'étranger faisant l'objet d'une décision d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 peut, dans le même délai, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision. Les décisions mentionnées au premier alinéa du présent III peuvent être contestées dans le même recours lorsqu'elles sont notifiées avec la décision d'assignation. "

3. D'autre part, aux termes de l'article 15 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 13 mai 2020 : " I. - Les dispositions de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 susvisée relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période sont applicables aux procédures devant les juridictions de l'ordre administratif. II. - Par dérogation au I : 1° Le point de départ du délai des demandes et recours suivants est reporté au 24 mai 2020 : a) Recours prévus à l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à l'exception de ceux prévus au premier alinéa du III de cet article ; 2° Les délais applicables aux procédures prévues à l'article L. 213-9, au premier alinéa du III de l'article L. 512-1 et au premier alinéa du II de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne font pas l'objet d'adaptations. (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions, en ce qui concerne les requêtes présentées contre les arrêtés portant obligation de quitter le territoire français sans placement en rétention administrative, que les délais de recours expirant entre le 12 mars 2020 et le 23 mai 2020 inclus recommencent à courir le 24 mai 2020, pour leur durée initiale. Cette règle s'applique aussi aux recours contre les décisions accompagnant ces obligations de quitter le territoire français, ainsi qu'aux recours contre la mesure d'assignation à résidence fondée sur une obligation de quitter le territoire notifiée le même jour.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a fait l'objet, le 14 mars 2020, d'un arrêté du préfet du Nord l'obligeant à quitter le territoire français sans délai et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une période de deux ans. Il a également fait l'objet le même jour d'un arrêté l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours pris sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ces arrêtés, qui portaient la mention des délais et voies de recours, ont été notifiés à l'intéressé le 14 mars 2020 entre 11h 30 et 12 h. Il est constant que M. C... n'a pas fait l'objet d'un placement en rétention administrative. Le délai de recours contentieux d'une durée de quarante-huit heures, prescrit par les dispositions mentionnées au point 2, a commencé à courir, selon les dispositions précitées au point 3, le 24 mai 2020. Ainsi la demande de l'intéressé tendant à l'annulation de ces arrêtés du 14 mars 2020 qui a été enregistrée au greffe du tribunal le 10 mai 2020 n'était pas tardive et, par suite, elle n'était pas manifestement irrecevable contrairement à ce qu'a retenu le président de la 8ème chambre du tribunal administratif de Lille. Il y a lieu, par suite, d'annuler l'ordonnance attaquée.

6. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 mars 2020 en tant qu'il a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

7. En premier lieu, eu égard au caractère réglementaire des arrêtés de délégation de signature, soumis à la formalité de publication, le juge peut, sans méconnaître le principe du caractère contradictoire de la procédure, se fonder sur l'existence de ces arrêtés alors même que ceux-ci ne sont pas versés au dossier. Par un arrêté du 2 janvier 2020, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Nord a donné délégation à M. A... I..., adjoint au chef du bureau de la lutte contre l'immigration irrégulière, signataire de l'arrêté contesté, pour signer notamment des décisions en matière de police des étrangers au nombre desquelles figurent les décisions portant interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée manque en fait et doit, dès lors, être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit une interdiction de retour pour une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. "

9. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

10. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifient sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

11. La décision contestée vise les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et rappelle que M. C... a fait l'objet de deux obligations de quitter le territoire français auxquelles il s'est soustrait. Elle mentionne également que M. C... ne constitue pas une menace à l'ordre public, qu'il est célibataire, sans enfant à charge et qu'il n'établit pas être dépourvu d'attaches dans son pays d'origine où réside sa famille. Par ailleurs, le préfet du Nord n'était pas tenu d'énoncer précisément les raisons le conduisant à retenir une durée de deux ans d'interdiction du territoire. Dès lors, cette décision est suffisamment motivée au regard des principes rappelés aux points précédents. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision contestée doit être écarté.

12. Enfin, M. C... soutient que la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français en litige est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, ces moyens sont dépourvus de toute précision permettant d'en apprécier leur bien-fondé et ne peuvent ainsi qu'être écartés.

13. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 14 mars 2020 en tant qu'il lui fait interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2003401 du 18 mai 2020 du président de la 8ème chambre du tribunal administratif de Lille est annulée.

Article 2 : Les conclusions à fin d'annulation de la décision du 14 mars 2020 prononçant une interdiction de retour sur le territoire français de deux ans présentées par M. C... devant le tribunal administratif de Lille sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au ministre de l'intérieur et à Me H... G....

Copie sera adressée au préfet du Nord.

N°20DA01897 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20DA01897
Date de la décision : 20/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière. - Règles de procédure contentieuse spéciales.


Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: Mme Muriel Milard
Rapporteur public ?: M. Baillard
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-07-20;20da01897 ?
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