Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Investissement promotion réalisation immobilière Marini a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le groupe hospitalier public du sud de l'Oise à lui verser la somme de 404 506,02 euros, assortie des intérêts au taux légal en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la résiliation unilatérale du contrat de conservation et de gestion des archives.
Par un jugement n° 1702429 du 12 septembre 2019, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 novembre 2019, la société civile professionnelle Lehericy Hermont es qualité de liquidateur de la société Investissement promotion réalisation immobilière Marini, représentée par Me B... A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner le groupe hospitalier public du sud de l'Oise à lui payer la somme totale de 404 506,02 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et de la capitalisation de ces intérêts, à titre principal, en réparation du préjudice résultant de la résiliation unilatérale de son contrat, ou à titre subsidiaire sur le fondement de l'enrichissement sans cause ;
3°) de mettre à la charge du groupe hospitalier public du sud de l'Oise la somme de 5 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du patrimoine ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le groupe hospitalier public du Sud de l'Oise a renouvelé, le 6 janvier 2016, avec la société Investissement promotion réalisation immobilière Marini, un contrat de gestion et de conservation de ses archives. Par courrier en date du 12 novembre 2016, l'établissement hospitalier a décidé de ne pas renouveler cet engagement pour l'année 2017. La société Investissement promotion réalisation immobilière Marini a formé le 26 avril 2017, une demande préalable d'indemnisation de ses préjudices. Faute de réponse, elle a saisi le tribunal administratif d'Amiens de conclusions indemnitaires. Entretemps, cette société a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Beauvais du 7 mai 2019, puis en liquidation judiciaire par jugement du même tribunal du 25 juin 2019. La société civile professionnelle Lehericy Hermont, liquidateur judiciaire de la société Investissement promotion réalisation immobilière Marini, relève appel du jugement de ce tribunal du 12 septembre 2019 qui a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur la régularité du jugement :
2. D'une part, lorsqu'il est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision. S'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire à peine d'irrégularité de sa décision que si cette note contient l'exposé, soit d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office.
3. D'autre part, lorsque le juge, saisi d'un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit, le cas échéant d'office, à écarter l'application du contrat en raison des irrégularités qui l'entachent, les parties peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l'enrichissement sans cause de l'une d'elle ou de la faute, pour l'une d'elle, à avoir conclu un tel contrat, bien que ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles. Lorsque le titulaire du contrat écarté choisit, non de poursuivre le litige, mais de saisir le juge d'une nouvelle demande ayant le même objet, mais fondée sur la responsabilité quasi-contractuelle ou quasi-délictuelle de la personne publique, il n'est pas tenu de saisir celle-ci, au préalable, d'une nouvelle demande d'indemnisation.
4. En l'espèce, le tribunal administratif d'Amiens a informé les parties que son jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de la nullité du contrat conclu le 6 janvier 2016, en raison de son illicéité. La société Investissement promotion réalisation immobilière Marini n'a pas fait valoir d'observations en réponse à cette communication alors que si l'application du contrat était écartée, ses demandes ne pouvaient que reposer sur l'enrichissement sans cause. Elle a indiqué, par une note en délibéré enregistrée le 6 septembre 2019, que sa demande indemnitaire avait également pour fondement l'enrichissement sans cause du groupe hospitalier. Mais cet élément ne constitue ni une circonstance de fait nouvelle, ni une circonstance de droit nouvelle, eu égard notamment au moyen relevé d'office par le tribunal administratif. Par suite, le tribunal administratif n'était pas tenu, suite à cette note en délibéré, de rouvrir l'instruction et de la soumettre au débat contradictoire. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité contractuelle :
5 D'une part, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.
6. D'autre part, aux termes du II de l'article L. 212-4 du code du patrimoine, dans sa version applicable à la date du contrat : " La conservation des documents d'archives publiques procédant de l'activité des personnes visées à l'article L. 211-4 qui n'ont pas encore fait l'objet de la sélection prévue aux articles L. 212-2 et L. 212-3 est assurée par ces personnes sous le contrôle scientifique et technique de l'administration des archives. Lesdites personnes peuvent, après en avoir fait la déclaration à l'administration des archives, déposer tout ou partie de ces documents auprès de personnes physiques ou morales agréées à cet effet par ladite administration. Le dépôt fait l'objet d'un contrat qui prévoit les conditions de sécurité et de conservation des documents déposés ainsi que les modalités de leur communication et de leur accès, du contrôle de ces documents par l'administration des archives et de leur restitution au déposant à l'issue du contrat. Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités de la déclaration préalable ainsi que les conditions d'octroi et de retrait de l'agrément des dépositaires, et précise le contenu des clauses devant figurer dans les contrats de dépôt. / Les données de santé à caractère personnel sont déposées dans les conditions prévues à l'article L. 1111-8 du code de la santé publique. ". L'article L. 1111-8 du code de la santé publique, dans sa version applicable, dispose que : " Les professionnels de santé ou les établissements de santé ou la personne concernée peuvent déposer des données de santé à caractère personnel, recueillies ou produites à l'occasion des activités de prévention, de diagnostic ou de soins, auprès de personnes physiques ou morales agréées à cet effet. Cet hébergement de données, quel qu'en soit le support, papier ou informatique, ne peut avoir lieu qu'avec le consentement exprès de la personne concernée. ".
7. La société Investissement promotion réalisation immobilière Marini doit être considérée comme recherchant la responsabilité contractuelle du groupe hospitalier public du sud de l'Oise en évoquant son absence de respect du préavis fixé par l'article VI du contrat à trois mois pour toute résiliation. Il résulte de l'instruction que le directeur du service interministériel des Archives de France a notifié par courrier du 20 août 2015, à la société Investissement promotion réalisation immobilière Marini, le rejet de sa demande d'agrément pour la conservation d'archives publiques. Il a alors été rappelé à cette société, comme au groupe hospitalier, par un courrier du 17 septembre 2015 de la directrice des archives départementales de l'Oise, qu'elle ne pouvait plus conserver d'archives publiques. Il n'est donc pas contesté que, dès réception du courrier du 20 août 2015, la société ne pouvait plus conserver d'archives publiques, ni de données de santé à caractère personnel. Le seul fait que le contrat ait pour objet l'exécution du service public hospitalier, comme le soutient la société en cause d'appel, ne saurait, ainsi qu'il résulte des dispositions citées au point 6, l'exonérer de la nécessité d'un agrément. Par suite, le contrat conclu le 6 janvier 2016 entre le groupe hospitalier public du Sud de l'Oise et la société Investissement promotion réalisation immobilière Marini était illicite, dans toutes ses clauses, y compris celle relative à la résiliation du contrat. La société n'est donc pas fondée à demander l'application de ce contrat et notamment de son article VI fixant à trois mois, le délai de préavis pour résilier le contrat.
En ce qui concerne la responsabilité résultant de la résiliation unilatérale du contrat :
8. Le contrat conclu le 6 janvier 2016 a, aux termes de son article VI, une durée d'un an à compter du 1er janvier 2016 jusqu'au 31 décembre 2016. Le groupe hospitalier public du sud de l'Oise, n'a donc pas résilié de manière unilatérale le contrat, comme le prétend la société Investissement promotion réalisation immobilière Marini. Le courrier adressé par l'établissement hospitalier le 31 octobre 2016, propose seulement un avenant pour poursuivre les prestations dans l'attente d'un nouveau contrat, jusqu'au 30 avril 2017 et le courrier du 12 novembre 2016 de l'établissement rappelle également la fin du contrat au 31 décembre 2016. Par suite, la société Investissement promotion réalisation immobilière Marini n'est pas fondée à rechercher la responsabilité du groupe hospitalier public du sud de l'Oise en raison d'une prétendue résiliation unilatérale du contrat qui n'a pas eu lieu.
En ce qui concerne l'enrichissement sans cause :
9. Lorsque le juge, saisi d'un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit, le cas échéant d'office, à écarter l'application du contrat en raison des irrégularités qui l'entachent, les parties peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l'enrichissement sans cause de l'une d'elle ou de la faute, pour l'une d'elle, à avoir conclu un tel contrat, bien que ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles. Le prestataire dont les prestations ont été poursuivies à la demande de l'administration peut prétendre, mêmes sans contrat, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la personne publique bénéficiaire des prestations.
10. En l'espèce, le contrat a été écarté en raison de son illicéité et les prestations se sont poursuivies en l'absence de contrat mais en faisant référence à ce cadre contractuel antérieur, La société Investissement promotion réalisation immobilière Marini, agissant par la voie de son liquidateur, réclame pour la première fois en appel, comme il lui est donc loisible de le faire en application des principes rappelés au point 9, l'indemnisation de son préjudice sur le fondement de l'enrichissement sans cause.
11. Il n'est pas sérieusement contesté que malgré le non-renouvellement du contrat, la société Investissement promotion réalisation immobilière Marini a poursuivi de fait la conservation et la livraison des archives du groupe hospitalier public du sud de l'Oise. Celui-ci lui avait d'ailleurs demandé de poursuivre cette mission, au-delà de l'échéance du contrat conclu le 6 janvier 2016, au moins jusqu'au 30 avril 2017. Toutefois, au motif que les factures antérieures n'avaient pas été payées, la société Investissement promotion réalisation immobilière Marini s'est opposée par la suite à la restitution des archives de l'établissement hospitalier, refusant la récupération dans ces locaux par une société extérieure comme en atteste un courrier au centre hospitalier du décembre 2016.
12. La société Investissement promotion réalisation immobilière Marini réclame une somme de 19 800 euros hors taxes pour des frais de déménagement des archives, une somme de 50 000 euros hors taxes pour la remise en état du bâtiment loué pour ces archives et une somme de 80 000 euros pour le licenciement de son personnel. Toutefois, elle n'établit pas que ces frais constituent des dépenses utiles à l'établissement hospitalier conformément aux principes exposés au point 9, ni au surplus ne démontre la réalité de ces préjudices, ni d'ailleurs qu'elle ait réalisé le déménagement dont elle réclame le paiement. De même, alors qu'elle se place exclusivement sur le terrain de l'enrichissement sans cause et n'évoque aucune faute de l'établissement hospitalier, elle demande l'indemnisation de son manque à gagner pour la somme de 75 537 euros hors taxes pour la période allant du 1er avril 2017 au 31 décembre 2017, sans apporter de précisions ni établir qu'il s'agisse d'une dépense utile pour cet établissement.
13. La société Investissement promotion réalisation immobilière Marini réclame également une somme de 130 797,02 euros toutes taxes comprises en réparation de ce qu'elle indique être un manque à gagner entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2019 et qui correspond à la totalisation de 49 factures restées impayées. Alors que le groupe hospitalier a laissé se poursuivre les prestations confiées à la société Investissement promotion réalisation immobilière Marini, les dépenses correspondantes peuvent être regardées comme lui ayant été utiles. Toutefois, cette utilité a nécessairement pris fin lorsque l'établissement hospitalier s'est donné les moyens de récupérer les archives en mettant fin à son inaction et en saisissant le juge des référés dans ce but le 7 août 2018. L'établissement hospitalier oppose la faute qu'aurait commise la société en signant le contrat irrégulier, mais les fautes éventuellement commises par l'intéressé antérieurement à la signature du contrat sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l'enrichissement sans cause, sauf si le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l'administration ce qui n'est pas le cas en l'espèce, puisque l'établissement hospitalier était parfaitement informé de la situation de la société à la date de conclusion du contrat. Le groupe hospitalier public du sud de l'Oise, qui ne remet sérieusement en cause ni la réalité de ces prestations, ni leur chiffrage, ni leur caractère utile doit donc être condamné à payer à la société Investissement promotion réalisation immobilière Marini, la somme de 109 562,6 euros toutes taxes comprises correspondant aux montant des prestations entre le 1er janvier 2018 et le 7 août 2018. Cette facturation inclut nécessairement la prise en compte des frais de location du bâtiment servant d'entrepôt dont la société demande par ailleurs le remboursement à hauteur de la somme de 48 552 euros hors taxes. Dès lors cette dernière demande doit, elle, être rejetée.
14. La société Investissement promotion réalisation immobilière Marini demandait dans sa requête de première instance, les intérêts à compter du jugement de première instance ainsi que leur capitalisation. Il y a donc lieu de faire droit à cette demande à compter du 12 septembre 2019 ainsi que la capitalisation de ceux-ci, la première fois, le 12 septembre 2020 où une année entière d'intérêts est due puis à chaque échéance annuelle.
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Investissement promotion réalisation immobilière Marini, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le groupe hospitalier public du sud de l'Oise demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du groupe hospitalier public du sud de l'Oise, la somme de 1 500 euros à verser à la société Investissement promotion réalisation immobilière Marini.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 12 septembre 2019 est annulé.
Article 2 : Le groupe hospitalier public du sud de l'Oise est condamné à payer à la société Investissement promotion réalisation immobilière Marini la somme de 109 562,6 euros toutes taxes comprises, avec intérêts au taux légal, à compter du 12 septembre 2019 et capitalisation de ces intérêts à compter du 12 septembre 2020 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : Le groupe hospitalier public du sud de l'Oise versera la somme de 1 500 euros, à la société Investissement promotion réalisation immobilière Marini au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile professionnelle Lehericy Hermont es qualité de liquidateur de la société Investissement promotion réalisation immobilière Marini et au groupe hospitalier public du sud de l'Oise.
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N°19DA02481
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