Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Altitude Lotissement a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 20 décembre 2018 par laquelle le directeur général de l'établissement public foncier de Normandie a préempté la parcelle cadastrée AH 136 située au lieu-dit " la Myre " sur le territoire de la commune de Yerville et pour laquelle elle avait signé une promesse de vente le 25 juillet 2018.
Par un jugement n° 1900089 du 13 février 2020, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision attaquée.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 24 juin 2020 et le 20 janvier 2021, l'établissement public foncier de Normandie, représenté par Me D... B..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de la société Altitude Lotissement ;
3°) de mettre à la charge de la société Altitude Lotissement la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- son directeur général bénéficiait d'une délégation régulière et n'était donc pas incompétent ;
- la décision attaquée a été transmise au représentant de l'Etat dans le délai prévu par l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme et est ainsi devenue exécutoire ;
- les autres moyens de première instance écartés par le tribunal administratif sont infondés.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 11 décembre 2020 et le 24 février 2021, la société Alteame, anciennement dénommée Altitude Lotissement, représentée par Me L... F..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'établissement public foncier de Normandie d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... E..., première conseillère,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me I... A..., représentant l'établissement public foncier de Normandie, et de Me L... F..., représentant la société Alteame, venant aux droits de la société Altitude Lotissement.
Une note en délibéré a été enregistrée le 22 juin 2021 pour la société Alteame, venant aux droits de la société Altitude Lotissement.
Considérant ce qui suit :
1. Mme J... H... et Mme G... H... sont propriétaires indivises d'un terrain cadastré AH 136 d'une superficie de 16 926 m², situé au lieudit " La Myre " sur le territoire de la commune de Yerville. Ce bien, qui devait être cédé à la société Altitude Lotissement, a fait l'objet d'une déclaration d'intention d'aliéner reçue le 4 octobre 2018 en mairie de Yerville. Par une décision du 20 décembre 2018, l'établissement public foncier de Normandie, délégataire du droit de préemption urbain, a décidé de préempter ce bien. Sur demande de la société Altitude Lotissement, aux droits de laquelle est venue depuis la société Alteame, le tribunal administratif de Rouen a annulé cette décision de préemption par un jugement rendu le 13 février 2020, dont l'établissement public foncier de Normandie relève appel.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les motifs d'annulation retenus par le tribunal administratif de Rouen :
2. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptible de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier ". En application de ces dispositions, il appartient au juge d'appel, saisi d'un jugement annulant un acte en matière d'urbanisme, de se prononcer sur les motifs d'annulation retenus par les premiers juges, dès lors que ceux-ci sont contestés devant lui.
3. En l'espèce, l'établissement public foncier de Normandie conteste les deux motifs d'annulation retenus par les premiers juges, tirés, pour le premier de l'incompétence de l'auteur de l'acte, pour le second du non-respect du délai de deux mois pour exercer le droit de préemption en raison de la transmission tardive de la décision de préemption au représentant de l'Etat.
S'agissant du motif d'annulation tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte :
4. Aux termes de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales : " Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement. / (...) / Le maire peut certifier, sous sa responsabilité, le caractère exécutoire de ces actes. / (...) ".
5. Par une délibération du 6 décembre 2018, le conseil municipal de Yerville a autorisé son maire à subdéléguer à l'établissement public foncier de Normandie l'exercice du droit de préemption urbain, que, par une délibération antérieure, il lui avait délégué. L'extrait du registre des délibérations versé au dossier et relatif à la délibération du 6 décembre 2018 porte, d'une part et en première page, la mention " date d'affichage : 21 décembre 2018 ", d'autre part et en dernière page, la mention signée du maire " acte rendu exécutoire par envoi en préfecture le 12 décembre 2018 ".
6. Pour annuler la décision de préemption en litige pour incompétence, les premiers juges ont estimé que la mention relative à la date d'affichage de la délibération du 6 décembre 2018, portée sur l'extrait du registre, n'était pas entachée de l'erreur matérielle alléguée par l'établissement public foncier de Normandie, et qu'en vertu des dispositions précitées de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales, cette délibération, en raison de son affichage le 21 décembre 2018, n'était pas exécutoire et n'avait pu donner compétence à l'établissement quand, le 20 décembre 2018, ce dernier avait pris la décision de préemption en litige.
7. Cependant, il ressort des pièces du dossier que le maire de Yerville a signé, le 18 janvier 2019, un certificat selon lequel la délibération autorisant le maire à subdéléguer l'exercice du droit de préemption urbain ainsi que l'arrêté du maire du 12 décembre 2018 subdéléguant l'exercice de ce droit à l'établissement public foncier, ont été affichés à compter du 18 décembre 2018. Si ce certificat a été signé après l'enregistrement du recours contentieux formé par la société Altitude Lotissement, cette seule circonstance ne suffit pas remettre en cause les mentions de ce certificat, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire et dont le maire est tenu de garantir l'exactitude sous peine de sanction pénale, alors que la mention relative à la date d'affichage figurant sur l'extrait du registre n'est pas signée de cette autorité.
8. Dès lors, c'est à tort que, pour annuler la décision en litige, les premiers juges ont retenu l'incompétence sus-évoquée de l'auteur de l'acte.
S'agissant du motif d'annulation tiré du non-respect du délai de deux mois pour exercer le droit de préemption :
9. Aux termes de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme : " Toute aliénation visée à l'article L. 213-1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. (...). Le titulaire du droit de préemption peut, dans le délai de deux mois prévu au troisième alinéa du présent article, adresser au propriétaire une demande unique de communication des documents permettant d'apprécier la consistance et l'état de l'immeuble, ainsi que, le cas échéant, la situation sociale, financière et patrimoniale de la société civile immobilière. La liste des documents susceptibles d'être demandés est fixée limitativement par décret en Conseil d'Etat. (...) / (...) / Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. / (...) "
10. Il résulte de ces dispositions que les propriétaires qui ont décidé de vendre un bien susceptible de faire l'objet d'une décision de préemption doivent savoir de façon certaine, au terme du délai de deux mois imparti au titulaire du droit de préemption pour en faire éventuellement usage, s'ils peuvent ou non poursuivre l'aliénation entreprise. Dans le cas où le titulaire du droit de préemption décide de l'exercer, les mêmes dispositions, combinées avec celles des articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales, imposent que la décision de préemption soit exécutoire au terme du délai de deux mois, c'est-à-dire non seulement prise mais également notifiée au propriétaire intéressé et transmise au représentant de l'Etat. La réception de la décision par le propriétaire intéressé et le représentant de l'Etat dans le délai de deux mois, à la suite respectivement de sa notification et de sa transmission, constitue, par suite, une condition de la légalité de la décision de préemption.
11. Pour annuler la décision de préemption en litige pour non-respect du délai de deux mois pour exercer le droit de préemption, les premiers juges ont estimé que, si le délai de deux mois courant à compter du 4 octobre 2018 avait pu être utilement suspendu par une demande de communication de documents effectuée par le maire de Yerville par courrier daté du 23 novembre 2018, et expirait alors au 6 janvier 2019, il n'était pas établi par les pièces versées au dossier que la décision de préemption avait été transmise au représentant de l'Etat avant cette dernière date.
12. Cependant, l'établissement public foncier de Normandie verse au dossier, pour la première fois en appel, copie de la décision de préemption adressée au mandataire des propriétaires indivises, datée du 20 décembre 2018, et portant le tampon et la signature de " L'Adjoint au Secrétaire Général pour les Affaires Régionales chargé du pôle politiques publiques - Dominique Lepetit " avec un cachet daté du 20 décembre 2018.
13. Dès lors, c'est à tort que, pour annuler la décision en litige, les premiers juges ont retenu que la décision de préemption aurait été tardive pour n'avoir pas été transmise au représentant de l'Etat dans le délai prorogé qu'ils avaient déterminé.
14. Toutefois, la cour, qui écarte les motifs d'annulation retenus par les premiers juges, est saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel. Il lui appartient d'examiner les autres moyens soulevés par la société Alteame venant aux droits de la société Altitude Lotissement.
S'agissant du moyen tiré du non-respect du délai de deux mois pour exercer le droit de préemption en raison de l'absence d'une prorogation valable du délai d'exercice de ce droit :
15. Comme il a été dit plus haut, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme, le délai de deux mois, laissé au titulaire du droit de préemption pour exercer ce droit et courant à compter de la réception de la déclaration d'intention d'aliéner, constitue une garantie pour le propriétaire qui doit savoir dans les délais les plus brefs s'il peut ou non poursuivre l'aliénation entreprise. Il ne peut être prorogé que par la demande unique portant sur les documents, dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat, prévue par les dispositions de l'article L. 213-2 ou sur des précisions manquantes au sein de la déclaration initiale. Dans ce cas, le délai est suspendu à compter de la réception de la demande, et reprend à compter de la réception des documents par le titulaire du droit de préemption. Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose alors d'un mois pour prendre sa décision. Passés ces délais, son silence vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption.
16. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 21325 du code de l'urbanisme : " Les demandes, offres et décisions du titulaire du droit de préemption et des propriétaires prévues par le présent titre sont notifiées par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, par acte d'huissier, par dépôt contre décharge ou par voie électronique (...) ".
17. D'une part, alors qu'il ressortait clairement des mentions de la déclaration d'intention d'aliéner que le bien dont la vente était projetée appartenait à deux propriétaires indivises pour moitié chacune, il est constant que le courrier daté du 23 novembre 2018, par lequel le maire de Yerville a demandé des renseignements complémentaires, a été adressé à l'une d'elles seulement. En outre, l'établissement appelant n'établit pas la date de réception de ce courrier par sa destinataire.
18. D'autre part, alors qu'il ressortait également clairement des mentions portées sur la déclaration d'intention d'aliéner que " toutes les décisions relatives à l'exercice du droit de préemption " devaient être adressées au mandataire des venderesses, Me K..., notaire, il n'est pas établi non plus par les pièces du dossier que ce notaire aurait été destinataire de la demande d'informations complémentaires. S'il ressort des pièces du dossier que ce notaire en a été informé puisqu'il a répondu à la demande par courrier daté du 5 décembre 2018, la date de cette réponse ne peut suffire à établir que le mandataire des venderesses aurait reçu la demande d'informations complémentaires au plus tard le 4 décembre 2018.
19. Dans ces conditions, alors qu'il ne ressort des pièces du dossier ni la date exacte à laquelle les deux propriétaires du bien auraient reçu la demande de renseignements complémentaires, ni celle à laquelle leur mandataire l'aurait reçue, cette demande n'a pu proroger le délai de deux mois laissé au titulaire du droit de préemption pour exercer ce droit, lequel expirait le 4 décembre 2018 à minuit dès lors que la déclaration d'intention d'aliéner avait été reçue le 4 octobre précédent dans les services communaux de Yerville. Par suite, la décision en litige, qui est intervenue le 20 décembre 2018, méconnaît les dispositions de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme et doit être annulée pour ce motif.
20. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'est de nature, en l'état de l'instruction, à entraîner l'annulation de la décision en litige.
21. Il résulte de tout ce qui précède que l'établissement public foncier de Normandie n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision de préemption en litige.
Sur les frais liés au litige :
22. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code justice administrative font obstacle à ce que la société Alteame, qui n'est pas la partie perdante, verse à l'établissement public foncier de Normandie la somme que celui-ci demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
23. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce et sur le fondement de ces mêmes dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de l'établissement public foncier de Normandie le versement à la société Alteame de la somme de 1 500 euros au titre de ces mêmes frais.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'établissement public foncier de Normandie est rejetée.
Article 2 : L'établissement public foncier de Normandie versera à la société Alteame une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'établissement public foncier de Normandie et à la société Alteame.
Copie en sera adressée pour information à la commune de Yerville.
N°20DA00888 2