Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association de défense de l'environnement du Bernavillois, du Val-de-Nièvre, Vignacourt et alentours (ADEBV) et d'autres requérants ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 29 juillet 2016 par lequel le préfet de la Somme a autorisé la société d'exploitation du parc éolien (SEPE) de l'Alemont à exploiter un aérogénérateur sur la commune de Bettencourt-Saint-Ouen.
Par un jugement n° 1603491 du 20 novembre 2018, le tribunal administratif d'Amiens, après avoir pris acte de désistements de certaines personnes physiques :
- a annulé l'arrêté en tant que les dossiers de la demande et de l'enquête étaient insuffisamment précis sur les capacités techniques et financières de la SEPE de l'Alemont, en tant que l'avis de l'autorité environnementale avait été rendu par une autorité incompétente, en tant que le rapport du commissaire-enquêteur était insuffisant et en tant que la pétitionnaire n'avait pas prévu d'autres mesures compensatoires pour la protection de l'oedicnème criard ou en tant que le préfet n'avait pas prescrit ces mesures dans l'arrêté ;
- a enjoint à la SEPE de l'Alemont de présenter une nouvelle demande d'autorisation et au préfet de reprendre l'instruction de cette demande pour régulariser la situation de la société ;
- a autorisé la SEPE de l'Alemont à poursuivre pendant dix-huit mois l'exploitation de l'éolienne à compter de la notification du jugement ;
- enfin, a rejeté le surplus des conclusions de la demande et mis à la charge de la SEPE de l'Alemont une somme de 1 500 euros au titre des frais d'instance.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 février 2019 et le 6 février 2020, la SEPE de l'Alemont, représentée par Me T... P..., succédant au cabinet SK et Partner, demande à la cour :
1°) à titre principal, l'annulation du jugement et le rejet de l'ensemble des demandes présentées devant le tribunal administratif d'Amiens ;
2°) à titre subsidiaire, si la cour retient des moyens d'annulation, de faire usage de la faculté de régularisation prévue à l'article L. 181-18 du code de l'environnement ;
3°) à titre très subsidiaire, en cas de confirmation des articles 1er à 3 du jugement, de fixer un nouveau délai de trente mois ou à tout le moins de dix-huit mois à compter de la notification de l'arrêt de la cour pour poursuivre son exploitation ;
4°) à titre infiniment subsidiaire, si elle estimait devoir prononcer l'annulation totale ou partielle de l'arrêté du 29 juillet 2016, d'autoriser elle-même la poursuite de l'exploitation dans l'attente d'une nouvelle délivrance par le préfet, à titre provisoire et pour dix-huit mois au moins à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, le cas échéant sous réserve de prescriptions complémentaires qu'elle fixerait, dès lors que la poursuite de l'exploitation n'est pas de nature à porter atteinte à court et moyen terme aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme L... S..., première conseillère
- les conclusions de M. X... Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me G... F..., représentant la société d'exploitation du parc éolien de l'Alemont, et de Me U... Q... représentant l'association de défense de l'environnement du Bernavillois, du Val-de-Nièvre, Vignacourt et alentours et autres.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 29 juillet 2016, le préfet de la Somme a autorisé la société d'exploitation du parc éolien (SEPE) de l'Alemont à exploiter, sur le territoire de la commune de Bettencourt-Saint-Ouen, un aérogénérateur d'une hauteur en bout de pale de 150 mètres, dénommé AL 01, autorisé par un permis de construire délivré le 16 septembre 2014 et situé à proximité immédiate du parc éolien déjà autorisé dit " du Grand Champ ". Ce projet conforte, en le portant à cinq éoliennes au total, ce parc éolien du Grand Champ.
2. Sur la demande de l'association de défense de l'environnement du Bernavillois, du Val-de-Nièvre, Vignacourt et alentours et de l'association Val-de-Nièvre à contre-courant, ainsi que de plusieurs personnes physiques, le tribunal administratif d'Amiens a, notamment, annulé cet arrêté par jugement du 20 novembre 2018, dont la SEPE de l'Alemont et la ministre de la transition écologique relèvent appel.
Sur l'appel de la ministre :
3. L'Etat, partie en première instance, avait qualité pour faire appel du jugement attaqué ayant annulé l'arrêté du 29 juillet 2016 dans le délai de deux mois, imparti par l'article R. 811-2 du code de justice administrative, ayant couru à compter de la notification de ce jugement. Par suite, alors que le jugement attaqué a été notifié à l'Etat le 6 décembre 2018, les conclusions de la ministre, enregistrées le 10 mars 2021, sont tardives et donc irrecevables.
Sur l'appel de la SEPE de l'Alemont :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
4. Si l'appelante soutient que le jugement est irrégulier pour avoir retenu l'intérêt à agir de certains demandeurs de première instance et estimé que l'arrêté était entaché d'illégalités tant externes qu'internes, ces motifs se rattachent au bien-fondé du jugement et non à sa régularité.
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
5. Aux termes de l'article L. 514-6 alors applicable du code de l'environnement: " (...) I bis.- Les décisions concernant les installations de production d'énergie d'origine renouvelable peuvent être déférées à la juridiction administrative : (...) 2° Par les tiers, personnes physiques ou morales, les communes intéressées ou leurs groupements, dans un délai de quatre mois à compter de la publication desdits actes ".
6. Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ".
7. En premier lieu, il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge administratif d'apprécier si les tiers personnes physiques qui contestent une décision prise au titre de la police des installations classées justifient d'un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l'annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour eux l'installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation des intéressés et de la configuration des lieux.
8. D'une part, si le tribunal administratif a admis l'intérêt à agir de M. et Mme H... et de M. Y..., il résulte des documents produits par les intimés eux-mêmes que 1 950 mètres séparent l'éolienne AL 01 de l'habitation des premiers et 2 075 mètres de l'habitation du second. Par ailleurs, selon le rapport du commissaire-enquêteur, l'unique aérogénérateur autorisé par l'arrêté en litige se trouve à 1 450 mètres des habitations les plus proches.
9. D'autre part, pas plus en appel qu'en première instance, les personnes physiques contestant l'arrêté du 29 juillet 2016 n'ont apporté d'élément permettant d'estimer qu'elles pourraient, à de telles distances, subir des nuisances sonores provenant de l'éolienne AL 01.
10. Enfin, si les photographies versées au dossier attestent que l'éolienne en cause est visible des habitations de M. Y... et de M. et Mme H..., cette seule visibilité n'apparaît pas, compte tenu de la distance séparant l'installation de ces habitations, de nature à justifier d'un intérêt suffisamment direct pour demander l'annulation de l'arrêté du 29 juillet 2016. Il en va de même pour les autres personnes physiques demanderesses en première instance.
11. En deuxième lieu, il résulte des dispositions précitées qu'il appartient au juge administratif de vérifier qu'une association, comme tout requérant, justifie d'un intérêt suffisamment direct et certain lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'autorisation en cause, compte tenu des inconvénients et dangers que présente concrètement l'installation classée pour les intérêts qu'elle défend, appréciés notamment au regard de son objet statutaire, de son ressort géographique et de la configuration des lieux.
12. Aux termes de l'article 3 de ses statuts, l'association Val-de-Nièvre à contre-courant, " a pour but la mise en oeuvre de tous les moyens disponibles (...) pour prévenir toutes les atteintes qui pourraient être portées (...) à la nature et aux paysages de la région. " et a " pour objectif de garantir la transmission aux générations futures d'un patrimoine culturel conforme à son identité ainsi que d'un environnement préservé. ".
13. Aux termes de l'article 3 de ses statuts, l'association de défense de l'environnement du Bernavillois, du Val-de-Nièvre, Vignacourt et alentours a " pour but de défendre l'environnement (contre des atteintes au paysage, au patrimoine rural, etc ...) des territoires des communes de ... Bettencourt-Saint-Ouen ... ainsi que dans les alentours immédiats de ces villages ".
14. Il résulte des écritures de ces associations, et notamment des longues citations qu'elles font de l'atlas des pays de Somme et du site internet de la région des Hauts-de-France dans sa partie décrivant les paysages du Val-de-Nièvre, que l'atteinte qu'elles invoquent comme causée par l'éolienne en litige relèverait d'une atteinte paysagère et patrimoniale, que leurs statuts, cités aux points précédents, leur donnent effectivement vocation à combattre sur le territoire de la commune de Bettencourt-Saint-Ouen.
15. Cependant, la configuration actuelle des lieux se caractérise, d'une part, par la nature de plaine agricole de la zone d'implantation de l'éolienne en cause située à proximité de l'autoroute A16, d'autre part et surtout par la présence des quatre éoliennes du parc déjà autorisé du Grand Champ, dans l'alignement duquel l'éolienne en litige sera implantée à une distance comparable à l'intervalle séparant entre elles les éoliennes de ce parc, le long de la chaussée Brunehaut qui ne bénéficie d'aucune protection particulière.
16. Dans ces conditions, l'ajout par l'arrêté en litige d'une seule éolienne au parc du Grand Champ ne peut pas être regardé comme modifiant sensiblement le paysage existant. Par suite et alors que les deux associations ne font état d'aucune atteinte qui serait causée par l'éolienne en litige à un monument historique ou patrimonial précis, elles ne justifient pas d'un intérêt suffisamment direct et certain pour demander l'annulation de l'autorisation en litige.
17. Il résulte de ce qui précède que la SEPE de l'Alemont est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté la fin de non-recevoir qu'elle avait opposée à la demande présentée par l'association de défense de l'environnement du Bernavillois, du Val-de-Nièvre, Vignacourt et alentours, l'association Val-de-Nièvre à contre-courant, Mme B..., M. J..., M. V..., M. Y..., M. et Mme H..., M. AA... et M. et Mme O... puis a, notamment, annulé l'arrêté en litige. Il y a lieu, par suite, d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée devant le tribunal.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
18. Les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par les intimés, parties perdantes, doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 20 novembre 2018 du tribunal administratif d'Amiens est annulé, à l'exception de son article 1er donnant acte des désistements de M. W... AD..., M. E... N..., M. M... Z... et Mme AC... C....
Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif d'Amiens par l'association de défense de l'environnement du Bernavillois, du Val-de-Nièvre, Vignacourt et alentours, l'association Val-de-Nièvre à Contre-Courant, Mme AB... B..., M. I... J..., M. D... V..., M. K... R..., M. K... Y..., M. et Mme E... H..., M. X... AA... et M. et Mme A... O... est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées en appel par l'association de défense de l'environnement du Bernavillois, du Val-de-Nièvre, Vignacourt et alentours, l'association Val-de-Nièvre à Contre-Courant, M. I... J..., M. D... V..., M. K... Y..., M. et Mme E... H..., M. X... AA... et M. et Mme A... O... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'exploitation du parc éolien de l'Alemont, à la ministre de la transition écologique, à l'association de défense de l'environnement du Bernavillois, du Val-de-Nièvre, Vignacourt et alentours, qui a été désignée à cette fin dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à Mme AB... B..., M. W... AD..., M. et Mme E... N..., M. M... Z..., et à Mme AC... C... .
N°19DA00274 2