Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 2 novembre 2017 par laquelle la ministre du travail a d'une part, retiré la décision de l'inspecteur du travail du 24 janvier 2017 refusant son licenciement et la décision implicite de rejet du recours hiérarchique de la société Polyexpert Ile-de-France-Centre contre cette autorisation et a d'autre part, autorisé son licenciement.
Par un jugement n° 1704047 du 27 août 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 25 octobre 2019, le 16 avril 2020 et le 29 avril 2021, Mme E..., représentée par la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Baudeu et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 2 novembre 2017 de la ministre du travail ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- et les observations de Me C... D... pour Mme E... et de Me B... A... pour la société Polyexpert Ile-de-France-Centre.
Considérant ce qui suit :
1. Mme F... E... était assistante administrative de la société Polyexpert Ile-de-France-Centre sur le site de l'établissement d'Evreux depuis 2010. Elle était par ailleurs titulaire de la délégation unique du personnel et est à ce titre, membre du comité d'entreprise et délégué du personnel. La société a demandé, le 6 décembre 2016, l'autorisation de la licencier pour motif disciplinaire. L'inspectrice du travail a rejeté cette demande par décision du 24 janvier 2017. Sur recours hiérarchique de la société, la ministre du travail a retiré le rejet implicite du recours hiérarchique, annulé la décision de l'inspectrice du travail et autorisé le licenciement par une décision du 2 novembre 2017. Mme E... relève appel du jugement du 27 août 2019 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes d'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.
2. La décision ministérielle contestée vise les articles dont elle fait application et comporte les considérations de fait qui en constituent le fondement. En particulier, elle fait état des faits reprochés à la salariée après avoir rappelé la manière dont ils avaient été établis pour considérer qu'en raison de leur gravité, l'inspectrice du travail a commis une erreur d'appréciation en refusant le licenciement et que par voie de conséquence, l'autorisation demandée apparaît justifiée. Enfin, elle mentionne que le licenciement n'a aucun lien avec les mandats exercés. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation ne peut qu'être écarté.
3. Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. ". Ce délai ne court qu'à compter de la date où l'employeur a eu pleine connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié.
4. En l'espèce, l'employeur a été informé, le 17 mai 2016, par un courrier de la dernière supérieure hiérarchique de Mme E..., du comportement de cette dernière, ayant profondément dégradé ses conditions de travail. Pour déterminer la réalité et la gravité des faits ainsi dénoncés, l'employeur a demandé au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, après avoir convoqué une réunion extraordinaire de celui-ci le 9 juin 2016, de valider la réalisation d'une enquête. Au cours de cette séance, a été désignée pour mener cette enquête, aux côtés du chargé des ressources humaines de la société, la représentante suppléante du collège cadres au sein de ce comité. Après avoir procédé à l'audition de quarante et un salariés de la société entre le 15 juin et le 19 août 2016, la commission d'enquête a présenté ses conclusions provisoires au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail lors de sa séance du 13 octobre 2016. Le comité décidait alors d'entendre Mme E... ainsi que l'autre salariée mise en cause " pour recueillir leurs observations " " de manière à pouvoir finaliser l'enquête interne et en livrer les conclusions définitives ". Après avoir recueilli les observations écrites des salariées, le comité se réunissait à nouveau, le 17 novembre 2016, pour examiner les conclusions définitives de la commission d'enquête. La seule circonstance que le chargé des ressources humaines de la société soit membre de la commission d'enquête, ne suffit à démontrer que l'employeur aurait eu pleine connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés avant le dépôt des conclusions provisoires de cette commission d'enquête, le 13 octobre 2016, ou avant que la salariée n'ait fait valoir sa défense par rapport à ces conclusions. Dans tous les cas, à la date de convocation à l'entretien préalable de Mme E..., le 22 novembre 2016, il n'est pas établi que l'employeur ait eu pleine connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés depuis plus de deux mois. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail doit être écarté.
5. Les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle prévue par la loi. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent de rechercher si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
6. Il ressort des pièces du dossier que lors de la séance extraordinaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions du travail du 9 juin 2016, ce comité, informé par le directeur général d'un signalement de harcèlement moral par une salariée, a validé la mise en place de l'enquête décrite au point 4 pour déterminer la réalité des allégations de cette salariée. Si Mme E... conteste que cette commission d'enquête ne soit que l'émanation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions du travail et pas ce comité lui-même, il ne résulte d'aucun texte que ce comité devait être obligatoirement consulté avant la conduite de cette enquête, ni associé à sa réalisation, le signalement de harcèlement moral ne constituant ni un accident du travail, ni une maladie professionnelle. Si Mme E... critique la partialité de cette enquête, elle n'apporte aucun élément probant à l'appui de ses dires, alors que les questionnaires d'enquête ne comportaient aucune mise en cause personnelle. De même, le seul fait que l'enquête ait été menée par le chargé des ressources humaines de la société et une cadre de la société, élue du comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail, ne suffit à démontrer la partialité de l'enquête qui s'est bornée à recueillir les témoignages des salariés de la société en relation avec le bureau d'Evreux. Il n'est pas établi par les pièces du dossier l'existence d'un ressentiment personnel entre les personnes chargées de l'enquête et Mme E.... Cette commission d'enquête a entendu la salariée à l'origine du signalement, et quarante et une personnes, dont Mme E... sur un effectif de cent douze salariés, à savoir la totalité des salariés des bureaux d'Evreux, de Reims, de Bourges, du Havre et de Levallois-Perret. Il ressort des questionnaires d'enquête, de manière concordante, une critique du travail du bureau d'Evreux, de son organisation et de l'action contestatrice voire contreproductive de ses assistantes. En effet, plusieurs témoignages émanant de différents bureaux estiment que le bureau d'Evreux s'est déchargé sur eux d'une part de son travail, voire a dévalorisé l'image de la société. Si la plupart de ces témoignages n'identifient pas Mme E... comme à l'origine de ces actions et que certains se réfèrent également à des propos qui leur ont été rapportés par d'autres, il ressort également de l'enquête qu'au moins deux témoignages font état de la contestation des consignes par Mme E... et qu'un de ces deux salariés ainsi qu'un autre mentionne son agressivité à leur égard. Enfin, le responsable du bureau d'Evreux a constaté que Mme E... s'est opposée, à plusieurs reprises, à l'exécution des consignes qui lui étaient données. Il l'a d'ailleurs rappelé à deux reprises par écrit à Mme E..., comme l'établissent les courriers électroniques des 1er et 3 février 2016. Son ancienne supérieure hiérarchique témoigne également que Mme E... a refusé d'effectuer les tâches qu'elle lui confiait jusqu'à ce qu'elle se charge de les faire elle-même, attitude qu'elle a reproduite avec la supérieure à l'origine du signalement de harcèlement, selon le témoignage très circonstancié de cette dernière. La circonstance que les témoignages n'aient pas été recueillis dans les formes prescrites par l'article 202 du code de procédure civile est sans incidence sur leur prise en compte pour établir la matérialité des faits Il ressort de l'ensemble de ces éléments que les faits reprochés à Mme E... sont matériellement établis.
7. Il ressort de ce qui a été dit au point 5 que les éléments de l'enquête démontrent que Mme E... a contribué en refusant d'exécuter les consignes qui lui étaient données à la dégradation des conditions de travail de sa dernière supérieure hiérarchique, contraignant ainsi celle-ci, selon son témoignage, à effectuer elle-même ces tâches et l'incitant celle-ci à renoncer à ses responsabilités pour revenir sur son ancien poste. Par suite, ces faits sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de Mme E.... Le moyen tiré de l'erreur d'appréciation doit donc être écarté.
8. Mme E... soutient que son licenciement était en lien avec l'exercice de son mandat. Toutefois, il appartient à l'employeur saisi d'un signalement de harcèlement moral de prendre toutes mesures pour établir la réalité des faits et les faire cesser. Rien ne démontre que l'enquête mise en place à cette fin ait eu pour seul objet de mettre fin à l'exercice de son mandat par Mme E.... Par ailleurs, si dans l'exercice de ce mandat, la salariée a déclenché un contrôle de l'inspection du travail en avril 2015 portant principalement sur le fonctionnement des institutions représentatives du personnel, puis une intervention de l'inspection du travail, le 11 février 2016, suite à l'organisation d'élections professionnelles partielles, il ressort des éléments produits en défense que la société a suivi les préconisations de l'inspection du travail et en particulier, a annulé les élections partielles. Mme E... ne démontre pas qu'à la suite de ses interventions, ses relations avec son employeur se soient dégradées. Au contraire, celui-ci lui a proposé en contrepartie d'une modification de son contrat de travail qui l'a conduite à travailler à Evreux et non plus à Rouen, une augmentation de 15 % de son salaire et l'attribution d'un véhicule de service pour effectuer ses trajets professionnels, par un avenant du 19 juin 2015, postérieur au premier contrôle de l'inspection du travail. De même, si l'appelante allègue que sa précédente mutation d'Evreux sur Rouen lui avait été imposée par la société, il ressort des pièces produites par l'employeur, que ce changement de lieu de travail résulte de la volonté de la salariée, comme l'atteste un courrier électronique de l'appelante du 11 octobre 2013, et non d'une décision liée à l'exercice de son mandat. De même, si la société lui a demandé par courrier du 29 janvier 2016 de cesser de contacter les autres salariés pendant leurs horaires de travail pour dénigrer la société, il ressort des témoignages recueillis lors de l'enquête que ces faits étaient avérés. Il ne résulte donc pas de l'ensemble de ces éléments que soit établi un lien entre le licenciement et l'exercice du mandat.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses conclusions d'annulation pour excès de pouvoir de la décision ministérielle du 2 novembre 2017. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions au titre des dépens et de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions au même titre de la société Polyexpert Ile-de-France-Centre.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Polyexpert Ile-de-France-Centre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... E..., à la société Polyexpert Ile-de-France-Centre et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
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N°19DA02387
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