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15/04/2021 | FRANCE | N°20DA00912

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 15 avril 2021, 20DA00912


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2019 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de circuler sur le territoire français pendant une durée d'un an, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour, dans un délai d'un mois, sous une astreinte de 150 euros par jour de retar

d, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans le même délai et so...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2019 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de circuler sur le territoire français pendant une durée d'un an, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour, dans un délai d'un mois, sous une astreinte de 150 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans le même délai et sous la même astreinte, et de lui délivrer, dans cette attente, un récépissé provisoire de demande de titre de séjour l'autorisant à travailler.

Par un jugement n° 1908170 du 28 janvier 2020, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant que, par cet arrêté, le préfet du Nord a fait interdiction à Mme B... de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er juillet 2020, Mme B..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant que, par celui-ci, le tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 septembre 2019 en tant que, par cet arrêté, le préfet du Nord a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2019 en tant que, par cet arrêté, le préfet du Nord a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Christophe Binand, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., ressortissante roumaine née le 6 octobre 1971, est entrée en France munie de sa carte d'identité, en cours de validité, délivrée par les autorités roumaines. Elle a été interpellée, le 19 septembre 2019, par les forces de l'ordre dans le cadre d'une opération de contrôle d'identité. Par un arrêté du 19 septembre 2019, le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et a interdit à l'intéressée de circuler sur le territoire français pendant une durée d'un an. Par un jugement du 28 janvier 2020, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il porte interdiction de circulation sur le territoire français pendant une durée d'un an et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de Mme B.... Cette dernière relève appel de ce jugement en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté en tant qu'il a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Sur la décision portant refus de délai de départ volontaire :

2. Le préfet du Nord a fait valoir, devant les premiers juges, que Mme B... entrait dans le champ d'application des dispositions du 1° et du 2° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que la situation de précarité dans laquelle elle se trouvait ainsi que l'ensemble de sa famille constituait une situation d'urgence justifiant de ne pas lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français.

3. D'une part, la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 détermine notamment les conditions dans lesquelles les Etats membres peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d'un citoyen de l'Union européenne ou d'un membre de sa famille. En vertu du 1. de l'article 27 de cette directive, ces restrictions sont susceptibles d'être fondées sur des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, à la condition que ces motifs ne soient pas invoqués à des fins économiques. L'article 30 de cette directive prévoit que le délai imparti par une décision par laquelle un Etat-membre fait obligation, en application de ces dispositions, à un citoyen de l'Union européenne ou à un membre de sa famille de quitter son territoire ne peut être inférieur à un mois, sauf en cas d'urgence dûment justifié. En outre, l'article 15 de cette directive dispose que les garanties procédurales prévues à l'article 30 s'appliquent par analogie à toute décision limitant la libre circulation d'un citoyen de l'Union ou des membres de sa famille prise pour des raisons autres que d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Ainsi, il résulte de cette directive qu'un citoyen de l'Union européenne, ou un membre de sa famille, doit disposer d'un délai d'un mois pour quitter le territoire d'un Etat membre, quels que soient les motifs qui fondent la décision d'éloignement prise à son encontre, hormis le cas où cette décision est justifiée par une situation d'urgence.

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui a notamment pour objet d'assurer la transposition de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004, applicable dans la présente affaire : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ou un membre de sa famille à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : / 1° Qu'il ne justifie plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 121-1, L. 121-3 ou L. 121-4-1 ; / 2° Ou que son séjour est constitutif d'un abus de droit. Constitue un abus de droit le fait de renouveler des séjours de moins de trois mois dans le but de se maintenir sur le territoire alors que les conditions requises pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ne sont pas remplies. Constitue également un abus de droit le séjour en France dans le but essentiel de bénéficier du système d'assistance sociale ; / 3° Ou que son comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. / L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à trente jours à compter de sa notification (...) ".

5. La notion d'urgence prévue par les dispositions de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être interprétée à la lumière des objectifs de la directive du 29 avril 2004 et, notamment, de ses articles 15 et 30 mentionnés au point 3. Aussi, il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'urgence à éloigner sans délai de départ volontaire un citoyen de l'Union européenne ou un membre de sa famille doit être appréciée par l'autorité préfectorale, au regard du but poursuivi par l'éloignement de l'intéressé et des éléments qui caractérisent sa situation personnelle, sous l'entier contrôle du juge de l'excès de pouvoir.

6. En l'espèce, en se bornant à invoquer la situation de précarité de Mme B... pour refuser de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français, le préfet du Nord ne fait état d'aucune circonstance suffisant à caractériser une situation d'urgence au sens des dispositions de l'article L. 511-3-1 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile interprétées à la lumière des objectifs de la directive du 29 avril 2004, au regard du but qu'il a poursuivi en prononçant l'éloignement de l'intéressée, à savoir tirer les conséquences de l'absence de son droit au séjour ou du caractère abusif de celui-ci à la date de l'arrêté attaqué. Dans ces conditions, le préfet du Nord, en refusant d'accorder un délai de départ volontaire à Mme B... pour quitter le territoire français, a entaché sa décision d'erreur d'appréciation.

Sur la décision fixant le pays de destination :

7. En premier lieu, Mme B... n'est pas fondée à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision portant refus d'attribution d'un délai de départ volontaire qui ne constitue pas la base légale de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

8. En second lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

9. La requérante fait valoir qu'elle serait exposée au risque de subir des actes de violence et des discriminations en cas de retour dans son pays d'origine en raison de son appartenance à la communauté des Roms. Toutefois, en se bornant à se prévaloir, à l'appui de ses allégations, de rapports internationaux décrivant de façon générale la situation de cette communauté en Roumanie, Mme B... n'établit pas être exposée de manière personnelle, certaine et actuelle, à des menaces quant à sa vie, sa liberté ou à son intégrité physique, en cas de retour dans son pays. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision portant refus d'attribution d'un délai de départ volontaire, que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 septembre 2019 en tant que, par cet arrêté, le préfet du Nord a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français et à demander, en conséquence, l'annulation, dans cette mesure, de cet arrêté.

Sur les frais liés au litige :

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme que Me C..., avocat de Mme B..., demande au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1908170 du 28 janvier 2020 du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme B... tendant à l'annulation de la décision du préfet du Nord, contenue dans l'arrêté du 19 septembre 2019, refusant de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français.

Article 2 : L'arrêté du 19 septembre 2019 du préfet du Nord est annulé en tant qu'il refuse d'accorder un délai de départ volontaire à Mme B... pour quitter le territoire français.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me C....

Copie en sera adressée au préfet du Nord.

5

N°20DA00912


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20DA00912
Date de la décision : 15/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Christophe Binand
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SELARL CLAISSE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-04-15;20da00912 ?
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