Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme D... A... ont demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011, d'autre part, d'annuler les mises en demeure de payer et l'avis à tiers détenteur émis en vue d'obtenir le recouvrement des sommes correspondantes.
Par un jugement n° 1600596 du 22 octobre 2018, le tribunal administratif de Lille, d'une part, a rejeté comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître les conclusions de M. et Mme A... tendant à l'annulation, en raison d'une irrégularité en la forme, des mises en demeure de payer et de l'avis à tiers détenteur, d'autre part, a rejeté le surplus des conclusions de cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 décembre 2018, et par un mémoire, enregistré le 7 janvier 2021, qui n'a pas été communiqué, M. et Mme A..., représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette leurs conclusions en décharge des impositions en litige ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions en litige ainsi que le remboursement, assorti des intérêts moratoires, des sommes acquittées à ce titre ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 899,86 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés par eux en première instance, une somme de 5 000 euros au titre des frais de même nature exposés par eux en cause d'appel, ainsi que les dépens de l'instance en application de l'article R. 761-1 de ce code.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., substituant Me C..., représentant M. et Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Au cours de la vérification de comptabilité dont la société N.I. a fait l'objet, le vérificateur a constaté, d'une part, que cette société s'était abstenue de réclamer de M. A... le paiement des échéances et intérêts prévus par le contrat conclu par elle avec ce dernier dans le but de lui octroyer un prêt remboursable en trente annuités du 15 avril 2000 au 15 avril 2030, d'autre part, que la société N.I. n'avait porté dans sa comptabilité que jusqu'à l'exercice clos en 2006 les intérêts à percevoir dans le cadre de ce prêt. L'administration a regardé chaque montant annuel des intérêts non comptabilisés comme constitutif d'un avantage occulte octroyé à M. A... et a décidé de réintégrer les sommes correspondantes dans les revenus imposables déclarés par M. et Mme A... au titre des années 2010 et 2011, ce dont elle les a informés par une proposition de rectification en date du 11 septembre 2013. M. et Mme A... relèvent appel du jugement du 22 octobre 2018 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il a rejeté les conclusions de leur demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales résultant de ces rectifications.
Sur l'étendue du litige :
2. Par une décision du 27 juin 2019, postérieure à l'introduction de la requête, l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord a prononcé un dégrèvement de 352 euros en droits et 179 euros en pénalités en ce qui concerne la cotisation supplémentaire de contributions sociales à laquelle M. et Mme A... ont été assujettis au titre de l'année 2010. A concurrence de ce dégrèvement, les conclusions de M. et Mme A... tendant à la décharge de cette cotisation supplémentaire sont devenues sans objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. En vertu de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales, lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts. L'article L. 59 A de ce livre, dans sa rédaction applicable au présent litige, précise cependant : " I. - la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : / 1° Sur le montant du résultat industriel et commercial, non commercial, agricole ou du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition ; / (...) / 3° Sur l'application du 1° du 1 de l'article 39 et du d de l'article 111 du même code relatifs aux rémunérations non déductibles pour la détermination du résultat des entreprises industrielles ou commerciales, ou du 5 de l'article 39 du même code relatif aux dépenses que ces mêmes entreprises doivent mentionner sur le relevé prévu à l'article 54 quater du même code ; / (...) / II. - Dans les domaines mentionnés au I, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d'être pris en compte pour l'examen de cette question de droit. / Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, la commission peut se prononcer sur le caractère anormal d'un acte de gestion (...) ".
4. M. et Mme A... ont demandé à l'administration de soumettre à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires le différend ayant trait à la réintégration dans leurs revenus imposables des années 2010 et 2011, sur le fondement des dispositions du c. de l'article 111 du code général des impôts, des montants annuels des intérêts du prêt consenti à M. A... par la société N.I. et non comptabilisés par elle. Toutefois, un tel différend, qui soulève la question de l'assujettissement des sommes correspondantes à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, ne relève pas du domaine de compétence de la commission, défini par les dispositions précitées de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales, alors même que les sommes en cause ont donné lieu à un rehaussement des bénéfices imposables de la société N.I. Dans ces conditions, l'administration a pu, sans entacher d'irrégularité la procédure d'imposition, ne pas donner une suite favorable à la demande de M. et Mme A... tendant à ce que le différend soit soumis à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.
Sur le bien-fondé des impositions et contributions sociales demeurant en litige :
5. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) / c. Les rémunérations et avantages occultes ; / (...) ". Lorsqu'une société n'a pas fait figurer dans sa comptabilité une créance qu'elle détenait sur un tiers, il appartient à l'administration, si elle entend faire application des dispositions précitées du c. de l'article 111 du code général des impôts pour imposer, dans les mains du débiteur, cette créance pour la totalité de sa valeur initiale, d'établir, d'une part, qu'elle a été abandonnée au profit du débiteur dans des conditions qui sont contraires à l'intérêt de la société qui la détenait et, d'autre part, qu'il existait une intention, pour le créancier, d'octroyer, et pour le débiteur, de recevoir, une libéralité.
6. Par un contrat, versé à l'instruction, établi sous seing privé à une date non précisée, la société N.I. a accordé à M. A... un prêt " in fine " portant sur une somme de 1 496 000 francs, soit 228 063,73 euros, sur une durée de trente années, moyennant l'application d'un taux d'intérêt annuel fixe de 3,47 %. L'article 2 de ce contrat prévoyait, en son point 4, que le prêt ainsi consenti s'amortirait en trente annuités de 31 167 francs, comportant une part de remboursement du capital et les intérêts, que la première annuité serait exigible le 15 avril 2000 et la dernière le 15 avril 2030. Enfin, l'article 3 du même contrat prévoyait qu'un retard de paiement de tout ou partie d'une échéance annuelle entraînerait, sans mise en demeure préalable, l'application, en vertu du point 2, d'une majoration de 10 % du taux d'intérêt et, en vertu du point 4, l'exigibilité de l'intégralité des sommes dues par l'emprunteur, en principal, intérêts et accessoires.
7. Il est constant que M. A... a réglé les trois premières échéances de ce prêt, soit une somme totale de 23 698 euros au titre des intérêts, et qu'il a cessé tout versement à compter du 30 juin 2002.
8. En premier lieu, le ministre fait valoir que la société N.I. n'a pas porté, au cours des exercices clos en 2010 et 2011, sa créance d'intérêts en comptabilité et que, dans le même temps, elle n'a accompli aucune démarche dans le but d'obtenir de M. A... la reprise de ses paiements. M. et Mme A... contestent ces éléments en faisant valoir que cette créance a été constatée dans la comptabilité de la société N.I. et que celle-ci a entrepris des démarches à leur égard afin d'obtenir le paiement de sa créance, lesquelles ont abouti à leur condamnation, par un jugement du 14 juin 2016 du tribunal de grande instance de Dunkerque, confirmé le 25 octobre 2018 par la cour d'appel de Douai, à lui verser la somme de 228 064 euros à titre de remboursement du prêt consenti ainsi que la somme de 15 784 euros au titre des intérêts échus, cette condamnation ayant été exécutée par eux. Ils en tirent la conclusion que la société N.I. n'a ainsi effectué aucun abandon de créance dans des conditions contraires à son intérêt et qu'elle ne peut davantage être regardée comme ayant entendu octroyer à M. A... un avantage constitutif d'une libéralité. Toutefois, s'il est constant que la société N.I. a enregistré en comptabilité, au débit du compte 4687, des intérêts à recevoir, représentant un montant de 35 536 euros au 31 décembre 2006, le ministre fait valoir, sans être contredit, qu'elle a cessé, à compter de cette date, de porter dans sa comptabilité la créance d'intérêts qu'elle détenait sur M. A.... En outre, ainsi que le fait observer le ministre, la société N.I. n'a demandé, pour la première fois, à M. A... de reprendre ses paiements que par un courrier qu'elle lui a adressé le 18 septembre 2013, soit sept jours après qu'elle ait elle-même reçu de l'administration une proposition de rectification l'informant de rehaussements de ses bénéfices imposables en conséquence de la réintégration de cette créance d'intérêts. Les termes dans lesquels ce courrier est rédigé, par lesquels les représentants de la société N.I. précisent être contraints de demander à M. A... la reprise, au plus tôt, de ses remboursements et la régularisation de son retard, afin de pouvoir disposer d'arguments en défense devant l'administration fiscale, révèlent d'ailleurs que cette demande de reprise des paiements a été faite dans le seul but d'atténuer les conséquences fiscales susceptibles de résulter, pour la société N.I., du contrôle dont elle a fait l'objet. Enfin, la condamnation prononcée par le juge judiciaire concerne seulement les annuités échues au 22 décembre 2012, la juridiction ayant jugé que les annuités antérieures à cette date étaient atteintes par la prescription prévue par l'article L. 137-2 du code de la consommation et par les articles 2224 et 2233 du code civil. Comme le relève le ministre, la société N.I. s'est ainsi abstenue, pour des raisons sur lesquelles elle n'a apporté aucune explication, d'accomplir, avant le 18 septembre 2013, date à laquelle une partie substantielle de sa créance était prescrite, la moindre démarche dans le but d'obtenir le paiement de cette créance, qui était exigible de plein droit en exécution du contrat conclu par elle avec M. A..., et elle a, en outre, renoncé à mettre en oeuvre les stipulations contractuelles rendant exigible l'intégralité des sommes dues par M. A... en cas de retard ou d'absence de paiement et prévoyant l'application d'un taux d'intérêt majoré. Dans ces conditions, par les éléments qu'il avance et qui ne sont pas utilement contestés, le ministre apporte la preuve, qui lui incombe, de ce que la société N.I. a, au cours des deux années d'imposition 2010 et 2011 en litige, abandonné sa créance d'intérêts dans des conditions contraires à son intérêt.
9. En deuxième lieu, par les éléments qu'il avance et qui ont été exposés au point précédent, à savoir l'absence de comptabilisation par la société N.I., au titre des deux exercices correspondant aux années d'imposition 2010 et 2011 en litige, de la créance d'intérêts qu'elle détenait et l'absence de démarche de sa part, au cours des mêmes années, pour obtenir en temps utile de M. A... la reprise de ses paiements et pour mettre en oeuvre les stipulations contractuelles applicables en cas de défaut de paiement, le ministre doit être regardé comme apportant également la preuve, qui lui incombe, de l'intention, qui était celle de la société N.I., d'accorder de manière occulte à M. A..., au titre des deux années d'imposition en litige, un avantage ayant la nature d'une libéralité.
10. En troisième lieu, en faisant valoir, d'une part, que M. A... s'est librement engagé par un contrat mettant à sa charge, dans des termes dépourvus d'ambiguïté, une dette d'intérêts exigible dès l'intervention des échéances contractuellement prévues et sans qu'il ait été convenu que la société N.I. lui adresse des appels de fonds, d'autre part, qu'il a cessé tout paiement à compter du 30 juin 2002, le ministre doit être regardé comme apportant la preuve, qui lui incombe, de l'intention, qui était celle de M. A..., qui ne fait état d'aucune contrepartie tangible à cet avantage, d'accepter une libéralité. A cet égard, M. A..., qui doit être réputé, alors d'ailleurs qu'il avait exercé des fonctions dirigeantes dans plusieurs sociétés, comprendre les obligations résultant des engagements qu'il a souscrits, ne peut utilement soutenir qu'il n'exerçait aucune responsabilité au sein de la société N.I., ni davantage qu'il n'aurait aucune compétence dans les domaines du droit fiscal ou de la comptabilité. Il ne peut encore utilement invoquer l'extinction, par l'effet de la prescription civile, d'une partie de sa dette à l'égard de la société N.I., dès lors, d'une part, que cette prescription n'est pas opposable à l'administration fiscale, d'autre part, que la circonstance que la société N.I. n'a plus légalement la possibilité de lui réclamer le remboursement de la partie de sa créance afférente aux années d'imposition 2010 et 2011 en litige est sans incidence sur le caractère de libéralité de l'avantage que constitue l'abandon de cette partie de créance, qu'elle a initialement entendu lui consentir et qu'elle n'a pas été à même de récupérer.
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 10 que l'administration était fondée à réintégrer dans les revenus imposables déclarés par M. et Mme A... au titre des années 2010 et 2011, sur le fondement des dispositions du c. de l'article 111 du code général des impôts, l'avantage occulte correspondant à l'abandon de créance que leur a consenti, au titre des mêmes années, la société N.I.
Sur les pénalités :
En ce qui concerne l'intérêt de retard :
12. L'administration a appliqué, aux impositions et contributions en litige, l'intérêt de retard prévu par les dispositions du I. de l'article 1727 du code général des impôts, en vertu desquelles toute somme, dont l'établissement ou le recouvrement incombe à la direction générale des impôts, qui n'a pas été acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d'un intérêt de retard. Dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 11 que M. et Mme A... ne sont pas fondés à contester la régularité de la procédure d'imposition à l'issue de laquelle ces impositions et contributions supplémentaires ont été établies, ni à en contester le bien-fondé, leur moyen tiré de ce que l'intérêt de retard mis à leur charge devrait être déchargé par voie de conséquence de la décharge des droits sur lesquels ils sont assis ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la majoration pour manquement délibéré :
13. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt (...) entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ".
14. Par les éléments qu'il avance et qui ont été exposés au point 10, le ministre établit que M. A... a eu l'intention d'accepter, sans contrepartie, l'avantage occulte, ayant la nature d'une libéralité, que lui avait consenti la société N.I. En ajoutant que M. A... ne pouvait, eu égard notamment à son expérience dans le domaine des affaires et quand bien même il ne serait pas fiscaliste ni comptable, ignorer le caractère imposable de cet avantage, le ministre établit l'intention délibérée d'éluder l'impôt qui a été celle de M. A... en ne portant pas les sommes correspondantes sur ses déclarations de revenus et, par voie de conséquence, justifie du bien-fondé de l'application, aux suppléments d'impôt et de contributions sociales demeurant en litige, de la majoration de 40 % prévue en cas de manquement délibéré par les dispositions précitées du a. de l'article 1729 du code général des impôts.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de leur demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, restant en litige, auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011. Dès lors que l'Etat ne peut être regardé comme étant la partie perdante dans le présent litige, les conclusions qu'ils présentent au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Il en est, en tout état de cause, de même, pour le même motif, de leurs conclusions afférentes à la charge des dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer, à concurrence du dégrèvement de 352 euros en droits et de 179 euros en pénalités accordé en cours d'instance, sur les conclusions de la requête de M. et Mme A... tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire de contributions sociales à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2010.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme A... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme D... A... et au ministre délégué chargé des comptes publics.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
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N°18DA02609