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22/12/2020 | FRANCE | N°19DA00373

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 22 décembre 2020, 19DA00373


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'engager la responsabilité pour faute du centre hospitalier d'Abbeville à la suite de l'opération chirurgicale qu'elle a subie en septembre 2012 pour soigner un " hallus valgus " au pied droit, de déclarer le jugement commun à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne agissant pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme, d'ordonner une expertise pour déterminer les causes et origines des conséquences dommageables ai

nsi que procéder à l'évaluation de l'ensemble des préjudices et de rés...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'engager la responsabilité pour faute du centre hospitalier d'Abbeville à la suite de l'opération chirurgicale qu'elle a subie en septembre 2012 pour soigner un " hallus valgus " au pied droit, de déclarer le jugement commun à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne agissant pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme, d'ordonner une expertise pour déterminer les causes et origines des conséquences dommageables ainsi que procéder à l'évaluation de l'ensemble des préjudices et de réserver la liquidation de ses préjudices après cette expertise.

Par un jugement n° 1502146 du 16 février 2017, le tribunal administratif d'Amiens, après avoir estimé que le centre hospitalier d'Abbeville avait manqué à son devoir d'information au sens de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique et que ce manquement engageait sa responsabilité, a, avant-dire-droit, ordonné une expertise pour évaluer les préjudices subis par Mme C... et la perte de chance de s'y soustraire.

Par un second jugement n° 1502146 du 31 décembre 2018, le tribunal administratif d'Amiens, en l'absence de confirmation par Mme C... de sa requête dans le délai imparti, a donné acte du désistement d'instance de l'intéressée, rejeté les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne agissant pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme tendant au remboursement de ses débours, mis à la charge de l'Etat les dépens de l'instance et rejeté le surplus des conclusions de Mme C....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 février 2019, Mme C..., représentée par Me B... A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le centre hospitalier d'Abbeville à lui verser une somme totale de 28 910 euros en réparation de l'ensemble de ses préjudices subis à la suite de sa prise en charge médicale pour un " hallux valgus " au pied droit en septembre 2012 ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Abbeville une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., alors âgée de soixante-et-un ans, s'est présentée en consultation à l'unité fonctionnelle de chirurgie orthopédique et traumatologique du centre hospitalier d'Abbeville le 26 juin 2012 pour une déformation en " hallux valgus " sévère sur le pied droit. Elle a subi, le 5 septembre 2012, une intervention chirurgicale consistant en une ostéotomie de scarf du premier rayon du pied droit et des têtes des deuxième et troisième rayons. A la suite de la survenue d'un oedème douloureux au niveau du pied, une scintigraphie, réalisée le 17 décembre 2012, a révélé une complication algoneurodystrophique. Mme C... a recherché la responsabilité du centre hospitalier d'Abbeville et saisi, le 10 juillet 2013, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, qui a ordonné une expertise. Par une décision du 14 janvier 2014, cette commission s'est déclarée incompétente après avoir relevé que les complications dont demeure atteinte l'intéressée n'atteignent pas les seuils de gravité requis par l'article D. 1142-1 du code de la santé publique. Par un jugement n° 1502146 du 16 février 2017, le tribunal administratif d'Amiens, après avoir estimé que le centre hospitalier d'Abbeville avait manqué à son devoir d'information au sens de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique et que ce manquement engageait sa responsabilité, a, avant-dire-droit, ordonné une expertise pour évaluer les préjudices subis par Mme C.... Par un jugement n° 1502146 du 31 décembre 2018, le tribunal administratif d'Amiens a donné acte du désistement de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative.

Sur la reprise d'instance :

2. Aux termes de l'article R. 634-1 du code de justice administrative : " Dans les affaires qui ne sont pas en état d'être jugées, la procédure est suspendue par la notification du décès de l'une des parties ou par le seul fait du décès, de la démission, de l'interdiction ou de la destitution de son avocat. Cette suspension dure jusqu'à la mise en demeure pour reprendre l'instance ou constituer avocat. "

3. Par une lettre enregistrée le 6 novembre 2020, le mandataire de Mme C... a fait connaître à la cour le décès de Mme C... le 4 septembre 2020 et produit un acte de décès. Toutefois, à la date du décès de la requérante, l'affaire était en état d'être jugée. Il y a ainsi lieu d'y statuer alors même qu'aucun ayant-droit n'aurait déclaré reprendre l'instance.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Aux termes de l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative : " Lorsque l'état du dossier permet de s'interroger sur l'intérêt que la requête conserve pour son auteur, le président de la formation de jugement ou, au Conseil d'Etat, le président de la chambre chargée de l'instruction, peut inviter le requérant à confirmer expressément le maintien de ses conclusions. La demande qui lui est adressée mentionne que, à défaut de réception de cette confirmation à l'expiration du délai fixé, qui ne peut être inférieur à un mois, il sera réputé s'être désisté de l'ensemble de ses conclusions. " Aux termes de l'article R. 611-8-2 du code de justice administrative : " Toute juridiction peut adresser par le moyen de l'application informatique mentionnée à l'article R. 414-1, à une partie ou à un mandataire qui y est inscrit, toutes les communications et notifications prévues par le présent livre pour tout dossier. / Les parties ou leur mandataire sont réputés avoir reçu la communication ou la notification à la date de première consultation du document qui leur a été ainsi adressé, certifiée par l'accusé de réception délivré par l'application informatique, ou, à défaut de consultation dans un délai de huit jours à compter de la date de mise à disposition du document dans l'application, à l'issue de ce délai. Sauf demande contraire de leur part, les parties ou leur mandataire sont alertés de toute nouvelle communication ou notification par un message électronique envoyé à l'adresse choisie par eux. /Lorsque le juge est tenu, en application d'une disposition législative ou réglementaire, de statuer dans un délai inférieur ou égal à un mois, la communication ou la notification est réputée reçue dès sa mise à disposition dans l'application (...) ".

5. A l'occasion de la contestation en appel de la décision prenant acte du désistement d'un requérant en l'absence de réponse à l'expiration du délai qui lui a été fixé, il incombe au juge d'appel, saisi de moyens en ce sens, de vérifier que l'intéressé a reçu la demande mentionnée par les dispositions de l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative, que cette demande fixait un délai d'au moins un mois au requérant pour répondre et l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai et que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile et d'apprécier si le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, a fait une juste application des dispositions de l'article R. 612-5-1.

6. En l'espèce, le vice-président du tribunal administratif d'Amiens a adressé au mandataire de Mme C..., par le biais de l'application informatique " Télérecours ", conformément aux dispositions de l'article R. 611-8-2 du code de justice administrative, une lettre datée du 30 mars 2018, dont il est constant qu'elle remplissait les exigences prévues à l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative précité, l'invitant à confirmer expressément le maintien des conclusions de sa requête et l'informant de ce que, à défaut de confirmation, dans le délai d'un mois, Mme C... serait réputée s'être désistée. L'avocat de la requérante doit, conformément aux dispositions précitées de l'article R. 611-8-2 du code de justice administrative, être réputé avoir consulté cette demande au terme d'un délai de huit jours à compter de sa mise à disposition dans l'application informatique, soit le 8 avril 2018. Celui-ci, qui n'a consulté ce document que le 24 octobre 2018, n'a pas confirmé le maintien des conclusions de sa requête dans le délai d'un mois qui lui avait été fixé qui, s'agissant d'un délai franc, expirait le 9 mai 2018, mais seulement dans un mémoire qui a été enregistré au greffe du tribunal administratif d'Amiens le 19 décembre 2018, exposant l'ensemble des prétentions de l'intéressée.

7. Cependant, si, comme l'ont relevé les premiers juges, Mme C... s'est abstenue de déférer à la convocation aux opérations d'expertise fixée le 3 février 2018 sans faire valoir de motif légitime, aucun rapport de carence n'a été rendu par l'expert, qui a fixé une nouvelle réunion d'expertise le 11 juillet 2018 à laquelle Mme C... s'est rendue. En outre, dans la mesure où, après avoir estimé que le centre hospitalier d'Abbeville avait manqué à son devoir d'information, les premiers juges ont fait droit, par un jugement avant-dire-droit du 16 février 2017, à la demande de Mme C... d'ordonner une expertise pour évaluer les préjudices subis par elle et que le rapport de l'expertise a été déposé à titre provisoire le 19 octobre 2018 puis à titre définitif le 14 décembre 2018 au greffe du tribunal, rien ne permettait aux premiers juges de s'interroger sur l'intérêt que conservait cette demande pour la requérante dans le jugement attaqué rendu le 31 décembre 2018. Dans ces conditions, le tribunal administratif d'Amiens n'a pas fait une juste application de la faculté ouverte par les dispositions précitées de l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative. Il y a ainsi lieu d'annuler le jugement attaqué, entaché d'irrégularité.

8. Il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions de la demande de Mme C....

Sur la responsabilité du centre hospitalier d'Abbeville :

9. L'article L. 1111-2 du code de la santé publique dispose que : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. " Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

10. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

11. Il ressort du rapport d'expertise que lors de sa consultation le 21 juin 2012 avec le docteur Basse au centre hospitalier d'Abbeville, Mme C... avait un hallux valgus extrêmement sévère rendant le chaussage impossible avec des orteils en griffe et dont les soins de pédicurie devenaient quasiment impossibles ou insuffisants. Si l'expert précise que le médecin a indiqué, dans un courrier adressé au médecin traitant de l'intéressée, avoir " expliqué les différentes modalités opératoires " de l'intervention, aucun document ne permet d'établir que Mme C... aurait été informée des risques usuels péri-opératoires de l'hallux valgus, en particulier ceux relatifs aux complications à type thromboemboliques, raideur, algoneurodystrophie, sepsis, hématome notamment, bien que ces risques soient peu fréquents (inférieurs à 1 %). L'expert souligne que devant la difficulté majeure au niveau du chaussage, même si Mme C... avait parfaitement été informée de ces risques péri-opératoires, la probabilité pour elle de refuser l'intervention, qui était parfaitement justifiée, était seulement de 10 %. Dans ces conditions, il apparaît suffisamment certain que, compte-tenu de l'état de santé de Mme C..., de son évolution prévisible et en l'absence d'alternative thérapeutique à l'intervention chirurgicale qui lui était proposée, elle aurait consenti à cette intervention. Dès lors, le manquement du centre hospitalier à son devoir d'information n'a privé Mme C... d'aucune chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé en renonçant à l'opération. Les conclusions indemnitaires de Mme C... doivent ainsi être rejetées. Il en est de même, par voie de conséquence, des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne, agissant pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme, tendant au remboursement des débours exposés.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la demande de Mme C... et celles de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne agissant pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les conclusions de la requête présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées dès lors que le centre hospitalier d'Abbeville n'est pas la partie perdante à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1502146 du tribunal administratif d'Amiens du 31 décembre 2018 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif d'Amiens est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne agissant pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme devant le tribunal administratif d'Amiens sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié aux ayants droit de Mme D... C..., au centre hospitalier d'Abbeville et à la caisse primaire d'assurance Maladie de l'Aisne agissant pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme.

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N°19DA00373


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA00373
Date de la décision : 22/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Procédure - Incidents - Désistement - Désistement d'office.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Établissements publics d'hospitalisation - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier - Absence de faute - Information et consentement du malade.


Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: Mme Muriel Milard
Rapporteur public ?: M. Baillard
Avocat(s) : CABINET LE PRADO-GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 16/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-12-22;19da00373 ?
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