Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... E... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 31 octobre 2019 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure.
Par un jugement n° 2000220 du 11 juin 2020, le tribunal administratif de Rouen a fait droit à sa demande et a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à Mme E... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 3 juillet 2020 sous le n° 20DA00927, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme E... épouse D... devant le tribunal administratif de Rouen.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi, du 9 octobre 1987 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Muriel C..., premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... veuve D..., ressortissante marocaine, née le 8 janvier 1982, entrée en France le 6 juin 2015 sous couvert d'un visa long séjour valable du 13 mai 2015 au 13 mai 2016 et valant titre de séjour, a épousé au Maroc, le 17 novembre 2014, M. G... D..., ressortissant de nationalité française. Le 3 mai 2016, elle a sollicité le renouvellement de son titre de séjour sur le fondement du 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 313-12 du même code. Par un arrêté du 25 novembre 2016, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de renouveler ce titre, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure. Malgré le rejet du recours exercé contre cet arrêté par un jugement du tribunal administratif de Rouen du 27 avril 2017 confirmé en appel par un arrêt de la cour du 27 mars 2018 devenu définitif, l'intéressée s'est maintenue sur le territoire français et a demandé le 24 août 2018 son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 11 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Rouen a, à la demande de Mme E..., annulé l'arrêté du 31 octobre 2019 par lequel il a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixé le pays de destination de cette mesure. Il demande également, par une requête distincte, qu'il soit sursis à l'exécution du jugement sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.
2. Les requêtes enregistrées sous le n° 20DA00927 et le n° 20DA00928 présentées par le préfet de la Seine-Maritime, sont dirigées contre le même jugement et concernent la situation d'une même personne. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 20DA00927 :
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le jugement contesté :
3. Pour annuler l'arrêté du 31 octobre 2019 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé la délivrance d'un titre de séjour à Mme E..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixé le pays de destination de cette mesure, le tribunal administratif de Rouen a estimé qu'en dépit des difficultés personnelles liées à des violences conjugales qu'elle déclare avoir précédemment rencontrées, Mme E... a exercé une activité professionnelle ininterrompue depuis le mois d'août 2016 et s'était vu proposer un contrat à durée indéterminée à temps plein, qu'elle était pleinement intégrée dans l'association Emergences, au sein de laquelle elle est hébergée et bénéficie d'un accompagnement socio-psychologique, et, qu'ainsi, le préfet avait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressée. Cependant, il ressort des pièces du dossier que Mme E..., séparée de son conjoint de nationalité française, est veuve depuis le 17 octobre 2019, sans charge de famille et ne dispose d'aucune attache familiale en France. Si elle fait valoir qu'elle a noué une relation amicale puis amoureuse avec un ressortissant français, cette relation est récente. En outre, si elle réside sur le territoire français depuis le mois de juin 2015, elle s'est toutefois soustraite à une précédente mesure d'éloignement prise à son encontre par le préfet de la Seine-Maritime par un arrêté du 25 novembre 2016. Elle n'établit pas non plus qu'elle serait isolée au Maroc, pays où elle a vécu jusqu'à l'âge de trente-deux ans. Enfin, si Mme E... travaille depuis le mois d'août 2016 comme employée de maison et depuis le mois de mars 2018 au sein du centre d'hébergement et de réinsertion professionnelle de l'association Emergence, qu'elle bénéficie d'un contrat à durée indéterminée à temps partiel et qu'elle donne toute satisfaction, elle ne justifie toutefois d'aucune qualification particulière, ni d'une ancienneté professionnelle importante en France. La requérante, qui ne saurait par ailleurs utilement se prévaloir des dispositions de la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l'intérieur qui sont dépourvues de valeur réglementaire, ne fait ainsi état d'aucun motif exceptionnel ou d'aucune considération humanitaire de nature à justifier la régularisation de sa situation, alors qu'il n'est allégué aucun élément faisant obstacle à ce que l'intéressée exerce son activité hors de France. Par suite, le préfet de la Seine-Maritime, en refusant d'admettre au séjour Mme E..., n'a pas entaché l'arrêté en litige d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur ce motif pour annuler son arrêté du 31 octobre 2019 refusant un titre de séjour à Mme E..., l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.
5. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme E... devant le tribunal administratif de Rouen et la cour.
Sur le moyen commun au refus de titre de séjour et à l'obligation de quitter le territoire français :
6. Par un arrêté n° 19-76 du 23 avril 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Seine-Maritime du même jour, M. Yvan Cordier, secrétaire général de la préfecture de la Seine-Maritime, a reçu délégation du préfet de la Seine-Maritime aux fins de signer les décisions en litige. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions attaquées doit être écarté.
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
7. En premier lieu, il ne résulte ni de la motivation de l'arrêté en litige, ni d'aucune autre pièce du dossier, que le préfet de la Seine-Maritime, qui a fait mention d'éléments circonstanciés relatifs à sa situation personnelle et familiale, n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressée avant de prendre la décision contestée. Dès lors, le moyen tiré du défaut d'examen de la situation particulière de Mme E... doit être écarté, ensemble le moyen tiré du défaut de motivation, l'arrêté en litige énonçant de manière suffisante les considérations de fait et de droit sur lesquelles il est fondé.
8. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux retenus au point 3, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, en application des dispositions du 3° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'obligation de quitter le territoire français qui assortit une décision de refus de titre de séjour, n'a pas à faire l'objet d'une motivation en fait distincte de celle de cette décision. Celle-ci comporte, en l'espèce, les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde et est ainsi suffisamment motivée. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
10. En deuxième lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour, qui fonde l'obligation de quitter le territoire français, ne peut qu'être écarté.
11. En troisième lieu, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux retenus au point 3.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :
12. En premier lieu, les motivations en fait de la décision fixant le pays de destination et de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne se confondent pas nécessairement. En revanche, la motivation en droit de ces deux décisions est identique et résulte des termes mêmes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'arrêté attaqué, qui précise la nationalité de Mme E... et que l'intéressée, qui n'a pas demandé l'asile, n'allègue, ni n'établit être exposée à des peines ou traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, énonce suffisamment les considérations de droit et de fait sur lesquelles il est fondé. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision fixant le pays de renvoi doit être écarté.
13. En deuxième lieu, il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français au soutien de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi.
14. Enfin, si Mme E... soutient qu'elle encourt des risques en cas de retour dans son pays d'origine, elle ne produit aucun élément au soutien de ses allégations. Par suite, le préfet n'a pas, en prenant la décision en litige, méconnu les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 2 de la même convention selon lesquelles le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi doit être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 31 octobre 2019 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure.
Sur la requête n° 20DA00928 :
16. La cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du préfet de la Seine-Maritime tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 20DA00928 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
17. Les conclusions en injonction et celles présentées sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 par Mme E... sont rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2000220 du tribunal administratif de Rouen du 11 juin 2020 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Rouen et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 20DA00928 tendant au sursis à l'exécution du jugement.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme B... E... veuve D... et à Me A... F....
Copie sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 24 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
- M. Julien Sorin, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Muriel C..., premier conseiller,
- Mme Anne Khater, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 décembre 2020.
Le rapporteur,
Signé : M. C...Le président de la formation de jugement,
Signé : J. SORIN
La greffière,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
Marie-Thérèse Lévèque
N°20DA00927,20DA00928 2