Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... C... et Mme B... G...-C... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens la condamnation solidaire du centre hospitalier universitaire d'Amiens et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à leur verser une somme de 150 765,63 euros en indemnisation de l'ensemble des préjudices subis par M. A... C..., leur époux et père, au cours de sa prise en charge médicale.
Par un jugement n° 1602533 du 6 décembre 2018, le tribunal administratif d'Amiens, après avoir estimé que la responsabilité du centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie était engagée à raison de l'imprudence fautive commise dans l'établissement du diagnostic de la leucémie dont a été atteint M. C... et du manquement dans le choix thérapeutique mis en oeuvre, a condamné le centre hospitalier universitaire d'Amiens et la société hospitalière d'assurances mutuelles à verser, solidairement, à la succession de M. C... la somme de 7 000 euros, à Mme D... C... et à Mme B... G...-C... les sommes respectives de 1 500 euros et 1 000 euros et rejeté le surplus des conclusions de leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, des mémoires et un mémoire récapitulatif, enregistrés le 6 février 2019, les 4 et 6 décembre 2019 et le 14 mai 2020, Mme D... C... et Mme B... G...-C..., représentées par Me F... E..., demandent à la cour :
1°) de réformer ce jugement ;
2°) de condamner le centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie et la société hospitalière d'assurances mutuelles à verser à la succession de M. A... C... une somme de 53 500 euros en réparation des préjudices subis au cours de sa prise en charge médicale, à Mme D... C... une somme de 99 907,63 euros et à Mme G...-C... une somme de 35 000 euros en indemnisation de leurs préjudices ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie une somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public,
- et les observations de Me F... E..., représentant les consorts C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., alors âgé de soixante-seize ans, peintre carrossier à la retraite, souffrant en avril 2012 d'une discrète anémie, de douleurs articulaires et ayant constaté un amaigrissement de quatre kilos a, à la demande de son médecin traitant, consulté un praticien du centre hospitalier universitaire d'Amiens le 24 août 2012. Au vu d'un nouveau bilan sanguin et médullaire réalisé le 28 août et sans attendre les résultats du caryotype et de la biologie moléculaire, M. C... s'est vu prescrire un traitement par le " Tasigna " après que le diagnostic de leucémie myéloïde chronique ait été privilégié. A la suite de la survenue d'une désorientation, de troubles de l'attention et d'une hyperthermie, M. C... a été victime d'une chute le 3 septembre 2012 et a été hospitalisé en urgence au centre hospitalier universitaire d'Amiens. Un scanner et une imagerie par résonance magnétique cérébrale ont révélé la présence d'un volumineux hématome temporo-pariétal droit avec inondation ventriculaire. Un nouveau traitement par l'" Hydréa " lui a été prescrit le 4 septembre 2012 après qu'une hyperleucocytose ait été constatée et, le 6 septembre 2012, le diagnostic de leucémie myélomonocytaire chronique a été posé à la suite des résultats de biologie moléculaire. Après un nouvel accident hémorragique cérébral survenu le 15 septembre, M. C... est décédé le 6 octobre 2012. Ses ayants-droit ont saisi, le 13 septembre 2013, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux d'une demande d'indemnisation des préjudices subis par leur époux et père à la suite de sa prise en charge médicale. Après avoir ordonné une expertise le 17 octobre 2013, cette commission a rejeté cette demande, par une décision du 3 avril 2014, après avoir estimé que le comportement de l'équipe médicale du centre hospitalier universitaire d'Amiens ne pouvait être considéré comme à l'origine du décès de l'intéressé, imputable à l'évolution inexorable défavorable de la pathologie grave de celui-ci.
2. Les ayants-droit de M. C... ont néanmoins recherché la responsabilité du centre hospitalier universitaire d'Amiens en le saisissant le 29 mars 2016 d'une demande préalable d'indemnisation de leurs préjudices, qui a été rejetée par une décision de cet établissement du 18 juillet 2016. Mme D... C... et Mme B... G...-C..., ayants-droit de leur époux et père, relèvent appel du jugement du 6 décembre 2018 du tribunal administratif d'Amiens en tant qu'il a seulement condamné le centre hospitalier universitaire d'Amiens et la société hospitalière d'assurances mutuelles à verser, solidairement, à la succession de M. C... la somme de 7 000 euros, à Mme D... C... et à Mme B... G...-C... les sommes respectives de 1 500 euros et 1 000 euros et rejeté le surplus des conclusions de leur demande.
Sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire d'Amiens :
3. Aucune des parties ne conteste l'engagement de la responsabilité du centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie sur le fondement du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, en raison de l'imprudence constitutive d'une faute dans l'établissement du diagnostic de la leucémie dont a été atteint M. C... lorsque, le 28 août 2012, il lui a été prescrit un traitement par le " Tasigna " après que le diagnostic de leucémie myéloïde chronique ait été posé sans attendre les résultats du caryotype et de la biologie moléculaire et d'un manquement dans le choix thérapeutique mis en oeuvre à la suite de cette erreur.
En ce qui concerne la perte de chance et le lien de causalité :
4. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu.
5. Les consorts C... soutiennent que la prescription d'un traitement erroné a fait perdre à M. C... une chance de survie évaluée à 20 % par l'expert. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise diligentée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, que le praticien hospitalier a commis une erreur thérapeutique en prescrivant à M. C... un traitement par le " Tasigna ", une anti-tyrosine kinase, le 28 août 2012, seulement efficace dans le cas d'une leucémie myéloïde chronique au lieu de " l'Hydrea ", qui permet de réduire le nombre de globules blancs qu'elle qu'en soit la cause. Cependant, selon les dires de l'expert, ce dernier médicament, s'il aurait vraisemblablement ralenti l'augmentation des globules blancs, n'aurait toutefois pas évité les localisations encéphaliques qui se sont révélées massives après une semaine de mise sous traitement avec une prolifération leucémique rapide exceptionnelle qui ne pouvait être anticipée, dès lors que M. C... souffrait d'une leucémie myélomonocytaire chronique très proliférative pour laquelle il n'existait pas de traitement spécifique et dont l'évolution spontanée était rapidement mortelle. L'expert précise également que les effets décrits après trois jours de prise de " Tasigna ", soit une désorientation et des troubles de l'attention, sont " plus en faveur d'une localisation cérébrale de la leucémie que d'une toxicité du Tasigna ". Il souligne également que le traitement par " l'hydrea " aurait " peut-être " permis de retarder la prolifération leucémique, différant ainsi l'apparition des lésions cérébrales mais que le contrôle de la leucocytose n'aurait pas permis d'éviter le décès, après la survenue le 15 septembre d'un nouvel accident vasculaire cérébral après celui du 3 septembre. Il en conclut que cette aggravation, responsable du décès, est à mettre " sur l'évolution naturelle de cette leucémie myélo-monocytaire foudroyante ".
6. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'existence d'un lien direct et certain entre le choix thérapeutique initial erroné, sur une période comprise entre le 28 août et le 4 septembre 2012 résultant d'une imprudence fautive dans l'établissement du diagnostic et le décès de M. C... survenu à la suite de l'apparition de localisations encéphaliques résultant d'une prolifération leucémique rapide et exceptionnelle à la suite de deux accidents vasculaires cérébraux, n'est pas établi. Selon le rapport d'expertise, seules les souffrances endurées par M. C... entre le 28 août et 15 septembre 2012, date du dernier accident vasculaire cérébral, sont directement liées aux manquements commis dans le choix thérapeutique erroné, au motif que la prise du bon traitement entre le 28 août et le 4 septembre aurait permis de ralentir la progression de la maladie. Il suit de là que le moyen tiré de la perte de chance de M. C... de voir son état s'améliorer ou d'échapper à son aggravation, doit être écarté.
En ce qui concerne le droit à information de M. C... :
7. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) / En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. ".
8. Il résulte de l'instruction que, si le traitement par Tasigna était inadapté compte-tenu de l'erreur de diagnostic commise par le praticien et si la prescription d'un autre traitement par " l'Hydrea " était l'autre option qui aurait dû être prise, ces erreurs quant au diagnostic et au choix du traitement constituent des fautes médicales qui, comme cela a été dit au point 2, engagent la responsabilité du centre hospitalier universitaire d'Amiens, mais ne révèlent en elles-mêmes aucun manquement du centre hospitalier à son obligation d'information dès lors que le praticien ne pouvait, en raison de son erreur de diagnostic, informer le patient d'une situation dont il n'avait lui-même pas connaissance.
9. Si les consorts C... soutiennent également que M. C... a souffert d'un défaut de préparation psychologique quant aux risques encourus et n'a pas bénéficié d'une information de qualité tant sur son état que sur le traitement mis en place, comme il vient d'être dit, la faute commise lors de la première consultation du 24 août 2012 quant à l'erreur de diagnostic du type de leucémie dont était atteint M. C... et le traitement inadapté qui s'en est suivi sont constitutifs de fautes médicales et non d'une méconnaissance de l'obligation d'information. Par suite, les conclusions des consorts C... tendant à l'indemnisation du préjudice d'impréparation de M. C... doivent être rejetées.
Sur la réparation des préjudices subis :
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :
10. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que les consorts C... sont seulement fondés à demander l'indemnisation des préjudices subis entre le 28 août et le 15 septembre 2012, date du dernier accident vasculaire cérébral de M. C.... Par suite, les demandes d'indemnisation présentées par les consorts C... au titre des préjudices patrimoniaux de Mme C... consécutifs au décès de son mari, ne peuvent qu'être rejetées.
En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :
Quant aux souffrances endurées :
11. Les douleurs éprouvées par M. C... ont été estimées par le rapport d'expertise à 3 sur une échelle de 7 pour la période du 31 août au 3 septembre 2012 et à 7 sur une échelle de 7, du 4 au 15 septembre 2012. Il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées par M. C... en portant la somme de 5 000 euros allouée par les premiers juges à la succession de M. C..., à la somme de 12 500 euros. Par ailleurs, il y a lieu de confirmer les premiers juges qui ont indemnisé le préjudice moral subi par M. C... du fait de l'évolution brutale de son état de santé, à la somme de 2 000 euros.
Sur l'évaluation des préjudices de Mme D... C... et de Mme B... G...-C... :
12. Mme D... C..., épouse de M. A... C..., demande le versement d'une somme de 5 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement et de 45 000 euros au titre du préjudice d'affection. Sa fille demande également une somme de 5 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement et de 30 000 euros au titre du préjudice d'affection. Les intéressées ont subi à la vue de la souffrance de leur mari et père un préjudice d'affection, en plus de troubles dans leurs conditions d'existence (préjudice d'accompagnement), pour la période comprise entre le 28 août et le 15 septembre 2012. Il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection subi par Mme C... en lui allouant une somme de 1 500 euros à ce titre et à Mme G...-C..., une somme de 1 000 euros au titre de ce chef de préjudice. En outre, il a été fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence de l'épouse de M. C... en lui allouant une somme de 1 500 euros et à sa fille, une somme de 1 000 euros à ce titre.
13. Il résulte de tout ce qui précède que l'indemnité due solidairement par le centre hospitalier universitaire d'Amiens et la société hospitalière d'assurances mutuelles à la succession de M. C... d'un montant de 7 000 euros allouée par les premiers juges, doit être portée à la somme de 14 500 euros. La somme de 1 500 euros mise à la charge solidaire du centre hospitalier universitaire d'Amiens et de la société hospitalière d'assurances mutuelles allouée à Mme D... C... doit être portée à 3 000 euros et celle de 1 000 euros allouée à Mme G...-C... doit être portée à 2 000 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier universitaire d'Amiens et de la société hospitalière d'assurances mutuelles le versement aux consorts C... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'indemnité due solidairement par le centre hospitalier universitaire d'Amiens et la société hospitalière d'assurances mutuelles à la succession de M. C... d'un montant de 7 000 euros est portée à la somme de 14 500 euros.
Article 2 : La somme de 1 500 euros mise à la charge solidaire du centre hospitalier universitaire d'Amiens et de la société hospitalière d'assurances mutuelles allouée à Mme D... C... est portée à 3 000 euros et celle de 1 000 euros allouée à Mme G...-C... est portée à 2 000 euros.
Article 3 : Le centre hospitalier universitaire d'Amiens et la société hospitalière d'assurances mutuelles verseront solidairement aux consorts C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le jugement n° 1602533 du 6 décembre 2018 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts C... est rejeté.
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N°19DA00287