Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société SANEF a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, de condamner solidairement les sociétés Bouygues, Demathieu et Bard et Norpac ainsi que le groupe Egis venant aux droits de la Scetauroute à lui verser la somme de 7 400 000 euros, à parfaire et assortie des intérêts eux-mêmes capitalisés, en réparation de désordres affectant les viaducs d'Echinghen, de Quéhen et d'Herquelingue, dits du Boulonnais, situés sur l'autoroute A16, d'autre part, de prescrire avant dire droit une expertise, sur le fondement de l'article R. 621-1 du code de justice administrative, portant sur ces mêmes désordres.
Par un jugement n° 1300448 du 10 octobre 2017, le tribunal administratif de Lille, d'une part, a donné acte du désistement partiel de la requête, d'autre part, a ordonné une expertise portant sur les désordres affectant un bloc déviateur V6 du viaduc d'Echinghen, enfin, a rejeté les conclusions à fin d'indemnité présentées au titre des désordres affectant les gaines entourant les câbles de précontrainte extérieure des trois viaducs et, sur le viaduc d'Echinghen, le béton des piliers 8 et 9.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 décembre 2017, et des mémoires, enregistrés les 14, 15 et 18 décembre 2017, les 4 et 6 février 2020 et le 3 juillet 2020, la société SANEF, représentée par Me A... C..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) s'agissant des blocs déviateurs du viaduc d'Echinghen, de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné une expertise, de préciser, régularisant ainsi l'expertise déjà effectuée, qu'elle doit concerner l'ensemble des blocs déviateurs V6 et V9 du viaduc, " si mieux lui plaît " d'ordonner l'extension de l'expertise à l'ensemble des blocs déviateurs V6 et V9 du viaduc et, enfin, de renvoyer au juge de première instance " la question des responsabilités encourues et la condamnation des défendeurs à l'indemniser " ;
2°) s'agissant des désordres affectant les gaines entourant les câbles de précontrainte extérieure des trois viaducs et, sur le viaduc d'Echinghen, le béton des piliers 8 et 9, de réformer le jugement en ce qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'indemnité, de condamner les constructeurs à lui régler le coût des réparations assorti des intérêts capitalisés, tel qu'il résultera d'abord d'une expertise comportant un constat de la matérialité des désordres et un avis sur leur étendue, leur origine, leur imputabilité, les solutions réparatrices et les coûts, ensuite d'une mise en concurrence, et, enfin, de réserver au juge de première instance " la fixation et la répartition entre les différents responsables " ;
3°) de mettre à la charge des défenderesses la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, assortie des intérêts légaux à compter de la date de dépôt de la requête de première instance, capitalisés à chaque échéance annuelle.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Pierre Bouchut, premier conseiller,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- les observations de Me E... A... C..., représentant la société SANEF,
- et les observations de Me D... B..., représentant la société Bouygues Travaux Publics, la société Demathieu et Bard Construction et la société Bouygues Travaux Publics Régions France.
Une note en délibéré, enregistrée le 24 septembre 2020, a été présentée par la société SANEF.
Considérant ce qui suit :
1. Par une requête déposée le 23 janvier 2013, la société SANEF a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, de condamner solidairement les sociétés Bouygues, Demathieu et Bard et Norpac ainsi que le groupe Egis venant aux droits de la Scetauroute à lui verser la somme de 7 400 000 euros à parfaire, assortie des intérêts eux-mêmes capitalisés, en réparation de désordres affectant les trois viaducs dits du Boulonnais situés sur l'autoroute A16, d'autre part, de prescrire avant dire droit une expertise portant sur ces désordres sur le fondement de l'article R. 621-1 du code de justice administrative.
2. Par un jugement du 10 octobre 2017, le tribunal administratif de Lille, d'une part, a donné acte du désistement partiel de la requête, d'autre part, a rejeté la demande de réparation des désordres affectant, sur le viaduc d'Echinghen, les gaines entourant les câbles de précontrainte extérieure et le béton des piles 8 et 9, enfin, a ordonné une expertise portant sur les désordres affectant un bloc déviateur V6 des grandes travées du même viaduc.
3. Dans le dernier état de ses écritures, la société SANEF demande à la cour, d'une part, s'agissant des blocs déviateurs du viaduc d'Echinghen, de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné une expertise et d'étendre celle-ci à l'ensemble des blocs déviateurs V6 et V9 du même viaduc, d'autre part, s'agissant des désordres affectant les gaines entourant les câbles de précontrainte extérieure des trois viaducs et, sur le viaduc d'Echinghen, le béton des piliers 8 et 9, de réformer le jugement en ce qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'indemnité puis, après une expertise avant dire droit et avant un renvoi au juge de première instance, de condamner les constructeurs à lui régler le coût des réparations.
4. Les sociétés intimées demandent à la cour, d'une part, de réformer le jugement en ce qu'il a ordonné une expertise, d'autre part, de rejeter les conclusions présentées en appel par la société SANEF, enfin, à titre subsidiaire de modifier la mission de l'expert.
Sur l'expertise ordonnée par le tribunal administratif :
5. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. (...) ".
6. Les sociétés intimées soutiennent que l'expertise du bloc déviateur V6 du viaduc d'Echinghen était sans objet dès lors que les travaux de reprise réalisés par le maître d'ouvrage avaient fait disparaître les désordres et qu'il n'était donc plus possible de les constater.
7. Toutefois, il résulte de l'instruction que les désordres restaient visibles sur le bloc déviateur d'un autre voussoir V6 qui n'avait fait l'objet d'aucune réparation et que la recherche des causes des désordres sur tous les blocs déviateurs restait donc possible. Par suite, les sociétés intimées ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que la condition d'utilité de l'expertise n'était pas remplie et que l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Lille présentait donc un caractère frustratoire.
Sur l'extension de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif :
En ce qui concerne la recevabilité des conclusions de la société SANEF :
8. Si la société Egis Villes et Transports soutient que la demande d'extension de l'expertise à tous les blocs déviateurs est irrecevable en tant qu'elle ne porte pas sur des désordres initialement dénoncés par la société appelante, il résulte de l'instruction, et notamment des écritures de première instance de la société SANEF se référant à un rapport de la SNCF d'octobre 2013, que la société SANEF a clairement mentionné devant le tribunal administratif des fissures affectant la totalité des blocs déviateurs hauts du viaduc d'Echinghen. L'exception opposée à ce titre doit donc être écartée.
En ce qui concerne l'utilité d'une extension de l'expertise :
S'agissant de la nature et de l'imputabilité des désordres :
9. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'étude de la SNCF d'octobre 2013, que des fissures ont été détectées à la fois sur les blocs déviateurs hauts des voussoirs V6 et sur les blocs déviateurs hauts des voussoirs V9 du viaduc d'Echinghen, que ces fissures ne sont pas le simple résultat du fonctionnement normal du béton armé qu'un entretien régulier aurait pu limiter et que l'ensemble des calculs de vérification, notamment à la périphérie des blocs d'ancrage, prescrits par les règles de l'art n'ont pas été effectués.
10. D'autre part, il résulte de ce qui précède qu'apparaît utile une expertise portant sur l'ensemble des désordres constatés sur les blocs déviateurs des voussoirs V6 et V9 du viaduc d'Echinghen, pour rechercher l'origine des désordres afin de permettre au juge de statuer sur leur imputabilité aux parties et sur l'existence de violations des obligations contractuelles, au regard tant de la gravité de ces violations, par leur nature et leurs conséquences, que de leur caractère intentionnel, sans que leurs conséquences puissent en être ignorées.
S'agissant des travaux de reprise :
11. Si les défenderesses font valoir que des travaux de reprise réalisés par le maître d'ouvrage ont fait disparaître les désordres sur le bloc déviateur V6, il résulte de ce qui a été dit au point 7 qu'une expertise portant sur tous les blocs déviateurs reste possible.
S'agissant du rapport d'expertise déjà déposé :
12. D'une part, l'expert, dans le rapport qu'il a déposé le 12 mai 2020 au tribunal administratif de Lille, s'est fondé sur la mission qui lui avait été confiée par l'article 4 du jugement, lui demandant au point 7 de " fournir toute constatation et formuler toutes observations utiles ou requises ", pour analyser la stabilité de tous les blocs déviateurs dont ceux des voussoirs V6 et V9. Il a indiqué qu'il avait mené la plupart des analyses sur les blocs de déviation des voussoirs V6 et que ses conclusions étaient complètes, avec les éléments chiffrés demandés, pour tous les blocs déviateurs hauts des voussoirs V6 et V9 ainsi que leurs liaisons avec le reste de la structure.
13. D'autre part, la circonstance que l'expert se soit fondé sur des calculs effectués par un bureau d'études mandaté par une partie utilisant un puissant logiciel, lesquels ont été soumis au contradictoire et n'ont pas été sérieusement contestés puisque les constructeurs n'ont pas effectué un autre calcul ou proposé de le faire, n'est pas de nature à remettre en cause les conclusions de cette expertise.
14. Enfin, c'est sans sortir des limites de sa mission que l'expert, invité à fournir toutes observations utiles, a d'abord étudié les désordres portant sur la liaison des blocs déviateurs avec le reste de la structure, notamment avec les hourdis supérieurs et les tubes de triangulation spatiale, leurs conséquences et celles de la rupture brutale d'un des câbles de précontrainte extérieure, certains d'entre eux étant fortement corrodés selon ses constatations, pour examiner la résistance des blocs de déviation aux effets dynamiques de cette rupture, puis a formulé des propositions de nature à éviter une rupture du hourdis supérieur ou l'arrachement de tubes de la triangulation métallique portant le bloc d'ancrage ainsi que des avis sur le remplacement de certains câbles.
15. S'il résulte de ce qui précède qu'une grande partie de l'expertise demandée a donc déjà été réalisée de manière contradictoire, il appartiendra à l'expert désigné de compléter son rapport sur les autres blocs déviateurs hauts du viaduc, en tant que de besoin, dans un délai de trois mois.
16. Il résulte de ce qui précède que la mission d'expertise définie par l'article 4 du jugement du tribunal administratif de Lille doit être étendue aux blocs déviateurs hauts des autres voussoirs V6 et V9.
Sur le rejet des conclusions à fin d'indemnité par le tribunal administratif :
En ce qui concerne l'objet des conclusions de la société SANEF :
17. Dans ses dernières écritures, la société SANEF demande à la cour de réformer le jugement en ce qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'indemnité et d'ordonner une expertise portant sur les désordres relatifs aux gaines entourant les câbles de précontrainte extérieure des trois viaducs, sur les désordres affectant les piles 8 et 9 du viaduc d'Echinghen et sur les risques de désordres affectant les autres piles de ce même viaduc et l'ensemble des piles des deux autres viaducs.
En ce qui concerne la recevabilité des conclusions de la société SANEF :
18. Aux termes de l'article R. 811-6 du code de justice administrative : " Par dérogation aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 811-2, le délai d'appel contre un jugement avant-dire-droit, qu'il tranche ou non une question au principal, court jusqu'à l'expiration du délai d'appel contre le jugement qui règle définitivement le fond du litige. ".
19. Tout jugement par lequel un tribunal administratif ne statue que sur une partie des conclusions dont il est saisi et ordonne, pour le surplus, une mesure d'instruction constitue un jugement avant-dire-droit au sens de la disposition précitée. Il peut donc être interjeté appel d'un tel jugement après l'expiration du délai de deux mois qui suit sa notification et jusqu'à l'expiration du délai de recours contentieux applicable au jugement qui met fin à l'instance. Ainsi, conformément à l'objet de l'article R. 811-6 du code de justice administrative, les parties sont en mesure de vérifier qu'il est bien de leur intérêt d'interjeter appel au vu de la solution d'ensemble donnée au litige par les deux jugements successifs.
20. D'une part, le jugement du tribunal administratif a d'abord rejeté les conclusions à fin d'indemnité présentées par la société SANEF au titre des désordres affectant les gaines entourant les câbles de précontrainte extérieure des trois viaducs et au titre des désordres affectant les piles 8 et 9 du viaduc d'Echinghen, puis a ordonné une expertise portant sur les désordres affectant le bloc déviateur V6 de ce même viaduc. Il résulte de ce qui précède qu'un tel jugement constituait un jugement avant-dire-droit au sens de l'article R. 811-6 du code de justice administrative, d'autant plus en l'espèce que l'ensemble du litige dont le tribunal administratif était saisi se rapportait à des désordres constatés sur un même ouvrage ou sur trois ouvrages analogues relevant d'une même infrastructure.
21. D'autre part, aucun jugement mettant fin à l'instance relative aux désordres affectant les blocs déviateurs n'est intervenu.
22. Dans ces conditions, si les défenderesses déduisent de ce que la société SANEF a limité le périmètre de sa requête d'appel à une demande d'expertise portant uniquement sur les blocs déviateurs et sur la fissuration des piles 8 et 9 du viaduc d'Echinghen, rendant ainsi irrecevable pour tardiveté sa demande, présentée par un mémoire déposé le 4 février 2020 seulement, de condamnation au titre des désordres affectant les gaines entourant les câbles de précontrainte extérieure ainsi que le béton des piles 8 et 9 de ce même viaduc, ces nouvelles conclusions, puisque le jugement attaqué était une décision avant-dire-droit et même si les désordres ainsi que leur réparation étaient matériellement distincts les uns des autres, n'étaient pas tardives.
23. En tout état de cause, contrairement à ce que soutiennent les défenderesses, la requête d'appel introduite dans le délai de recours contentieux a présenté expressément une demande d'expertise des désordres portant sur les câbles de précontrainte extérieure, dans le prolongement du constat, ordonné par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille du 16 novembre 2017, des désordres affectant les câbles de précontrainte extérieure des trois viaducs du Boulonnais.
24. Il résulte de ce qui précède que l'exception tirée de la tardiveté de cette demande ne peut qu'être écartée.
En ce qui concerne le bien-fondé des conclusions de la société SANEF :
25. Aux termes de de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. L'expert peut se voir confier une mission de médiation ".
S'agissant de la nature et de l'étendue des désordres :
26. D'une part, il résulte de l'instruction que les gaines entourant les câbles de précontrainte extérieure des trois viaducs, notamment composées de polyéthylène à haute densité entourant le coulis d'injection, du coulis lui-même et de manchons de raccordement, présentent de nombreux désalignements et des déformations locales des manchons, que de très nombreux manchons thermo soudables sont déformés avec une absence des témoins de soudure, que des gaines passant dans les blocs déviateurs sont directement exposées aux intempéries ou sont calfeutrées avec un produit à base de ciment ou par une mousse de polyuréthane et que les désordres affectant cet ensemble sont de nature à conduire à la corrosion fissurante des câbles de précontrainte extérieure, affectant ainsi la solidité des viaducs.
27. D'autre part, il résulte de l'instruction que des désordres de fissuration et de faïençage des piles 8 et 9 du viaduc d'Echinghen ainsi des éclatements du béton découvrant les armatures en fer sont apparues tardivement et que la cause de ces désordres n'est pas liée seulement à un phénomène de réaction sulfatique interne. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que des désordres affectent des piles du viaduc d'Echinghen autres que ses piles 8 et 9 ainsi que les piles des deux autres viaducs.
S'agissant du caractère apparent des désordres :
28. Les défendeurs soutiennent que leur responsabilité ne peut pas être engagée en raison de la circonstance que les désordres affectant les piles 8 et 9 du viaduc, ceux affectant les gaines de précontrainte extérieure et la présence de mousse expansive dans les blocs déviateurs des viaducs étaient apparents au moment de la réception et que, dès lors, toute expertise relative à ces désordres serait inutile.
29. Toutefois, il résulte de l'instruction que si le ragréage de ces piles était apparent, il n'est pas établi que des fissures ou des éclatements de béton étaient visibles à ce moment-là ni que le mortier utilisé pour ce ragréage ou pour le béton des piles de l'ouvrage présentait en totalité un caractère de conformité. De même, si l'emmaillotage des gaines de câbles à l'aide d'un ruban adhésif était visible au moment de la réception, il n'est pas établi que cette solution technique soit l'unique cause de la corrosion constatée de ces câbles. Enfin, les conséquences de la présence de mousse expansive autour des gaines entourant les câbles de précontrainte extérieure n'étaient pas connues à la date de la réception.
S'agissant du caractère définitif du rejet des conclusions à fin d'indemnité :
30. Si les défenderesses soutiennent que la demande d'extension d'expertise à ces désordres est inutile en raison du caractère définitif du rejet des conclusions indemnitaires aux fins de réparation de ces désordres, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que ce rejet n'est pas définitif. Dès lors, il a lieu d'écarter l'exception tirée, à ce titre, de l'inutilité d'une expertise.
S'agissant de l'existence d'une faute contractuelle et de la reprise des désordres :
31. Tous les désordres susanalysés, dont l'origine est à rechercher dans un défaut de conception ou d'exécution des gaines des câbles extérieurs des trois viaducs et des piles du viaduc d'Echinghen en méconnaissance des règles de l'art, sont susceptibles de caractériser une violation grave, par sa nature ou ses conséquences, des obligations contractuelles du groupement constructeur et du maître d'oeuvre, commise volontairement et sans qu'ils puissent en ignorer les conséquences. Dès lors, les défenderesses ne sont pas fondées à soutenir qu'une expertise de ces désordres serait inutile faute d'existence d'une faute dolosive.
32. Toutefois, la cour n'est pas en mesure, en l'état de l'instruction, de se prononcer d'abord sur la nature, le degré de gravité et les conséquences de la faute contractuelle alléguée, ensuite sur la nature et le coût des mesures nécessaires à la reprise des désordres affectant les gaines entourant les câbles de précontrainte extérieure des trois viaducs ainsi que des désordres affectant le béton des piles 8 et 9 du viaduc d'Echinghen.
S'agissant des constats déjà diligentés par le juge des référés du tribunal administratif :
33. A la suite de la corrosion d'une dizaine de câbles de précontrainte extérieure, de la rupture de certains torons de ces câbles et du remplacement de câbles corrodés, le juge des référés du tribunal administratif de Lille, par une ordonnance du 3 juillet 2019, a décidé une expertise afin, d'une part, de dresser un constat précis des nouveaux désordres constatés sur le viaduc d'Echinghen découverts à l'occasion de la dépose des câbles corrodés ainsi que des désordres similaires sur les viaducs de Quehen et d'Herquelingue, d'autre part, de procéder plus généralement au constat de l'ensemble des désordres dont sont affectés les gaines et câbles de précontrainte des trois viaducs et dont l'existence n'a pu être constatée à l'issue des opérations de constat diligentées à la suite de l'ordonnance du 16 novembre 2017.
34. Il résulte de ce qui précède qu'il est utile d'ordonner une expertise, au contradictoire des parties à l'instance, portant sur les questions mentionnées aux points 31 et 32, à l'exclusion d'une part des constats déjà prescrits par le juge des référés du tribunal administratif de Lille et d'autre part de tout chef de mission visant à émettre une opinion d'ordre juridique, et en incluant dans la mission confiée à l'expert une médiation pour tenter de parvenir à un règlement amiable du litige.
S'agissant des conclusions à fin de renvoi devant le tribunal administratif :
35. Il appartient au juge, saisi d'un appel interjeté contre le jugement rendu au fond dans des conditions régulières par la juridiction compétente en premier ressort, d'assurer lui-même le règlement complet de l'affaire en tranchant toutes les questions de droit et de fait en litige, après avoir ordonné, le cas échéant, les mesures d'instruction qui lui paraissent nécessaires. Dès lors, les conclusions de la société SANEF tendant au renvoi devant le tribunal administratif pour qu'il statue sur ses demandes de condamnation des constructeurs à raison des désordres relatifs aux gaines des câbles des viaducs et aux piles du viaduc d'Echinghen ne peuvent qu'être rejetées.
36. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la société SANEF est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 10 octobre 2017, le tribunal administratif de Lille a accueilli sa demande d'expertise seulement en ce qui concerne le bloc déviateur du voussoir V6 du viaduc d'Echinghen, d'autre part, qu'il y a lieu d'ordonner une expertise dans les conditions ci-après définies, enfin, qu'il y a lieu de réserver jusqu'en fin d'instance les autres droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt.
DÉCIDE :
Article 1er : Les conclusions dirigées par les défenderesses contre le jugement attaqué en ce qu'il a ordonné une expertise sont rejetées.
Article 2 : L'objet de la mission d'expertise prévue par l'article 4 du jugement du 10 octobre 2017 du tribunal administratif de Lille est étendu aux désordres des blocs déviateurs hauts de tous les voussoirs du viaduc d'Echinghen. En conséquence de l'extension de sa mission, l'expert désigné complétera son rapport, en tant que de besoin, dans un délai de trois mois.
Article 3 : Avant de statuer sur les conclusions à fin d'indemnité présentées par la société SANEF relatives aux désordres affectant les gaines entourant les câbles de précontrainte extérieure des trois viaducs du Boulonnais et le béton des piles 8 et 9 du viaduc d'Echinghen, il sera procédé, par un expert désigné par le président de la cour, à une expertise réalisée au contradictoire des parties avec mission de :
1°) se rendre sur les lieux, les viaducs d'Echinghen, de Quehen et d'Herquelingue ;
2°) se faire communiquer tous documents, pièces et données techniques qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission ;
3°) décrire la nature, l'étendue et la gravité des désordres affectant les gaines entourant les câbles de précontrainte extérieure des trois viaducs du Boulonnais et le béton des piles 8 et 9 du viaduc d'Echinghen, en s'appuyant sur les constats déjà réalisés au contradictoire des parties et en les complétant en cas d'apparition de désordres postérieurs à ces constats ;
4°) rechercher l'origine et toutes les causes de ces désordres en fournissant un avis technique à la cour lui permettant de statuer sur l'imputation des désordres constatés aux différentes parties, en totalité ou suivant une proportion à fixer, et sur les responsabilités éventuelles en découlant ; indiquer en particulier si les désordres sont imputables à la conception de l'ouvrage, à l'exécution des travaux ou aux conditions d'utilisation et d'entretien et, dans le cas de causes multiples, évaluer les proportions relevant de chacune d'elles ;
5°) rechercher les travaux, opérations et fournitures susceptibles de mettre fin aux désordres, en évaluant et en chiffrant leur coût, poste par poste, et en indiquant, le cas échéant, ceux d'entre eux qui, à son avis, doivent être effectués d'urgence ;
6°) rechercher et indiquer, en chiffrant les montants, les différents chefs de préjudice subis par la société SANEF, y compris le cas échéant celui résultant de la dépréciation et des difficultés d'utilisation de l'ouvrage inhérentes aux désordres, puis fixer le montant de son préjudice global ;
7°) d'une manière générale, faire toutes constatations et formuler toutes observations utiles ou requises ;
8°) si possible exercer un rôle de médiateur aux fins de rapprocher les parties en vue de parvenir à un règlement amiable du litige.
Article 4 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la cour dans sa décision le désignant.
Article 5 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la société SANEF à fin d'extension de l'expertise est rejeté.
Article 7 : Le jugement du 10 octobre 2017 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 8 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à la société SANEF, à la société Bouygues Travaux Publics, à la société Demathieu et Bard Construction, à la société Bouygues Travaux Publics Régions France, à la société Egis Villes et Transports et à la ministre de la transition écologique.
Copie en sera transmise pour information au préfet du Pas-de-Calais.
N°17DA02320 2