Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 17 mai 2019 du préfet de la Seine-Maritime lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français de trois ans.
Par un jugement n° 1901845 du 28 mai 2019, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen, après avoir écarté la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Seine-Maritime, a fait droit à cette demande et a enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer à M. B... une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer la situation de l'intéressé dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2019, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le règlement (CE) n° 1987/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller,
- et les observations de M. D... B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant kosovare né le 27 juillet 1994, entré en France le 27 juillet 2011, selon ses déclarations, a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance en qualité d'étranger mineur. Devenu majeur, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Sa demande a été rejetée par un arrêté du 20 décembre 2012, assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et d'une interdiction de retour sur le territoire français d'un an. L'intéressé, qui s'est soustrait à ces mesures, a fait l'objet, le 6 février 2015, d'une obligation de quitter le territoire français sans délai, qui a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Rouen du 10 février 2015. Après un réexamen de sa demande, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, par un arrêté du 26 février 2018. M. B... s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français. Interpellé le 17 mai 2019 pour défaut de permis de conduire, il a fait l'objet, par un arrêté du 17 mai 2019, d'une obligation de quitter le territoire français sans délai et d'une interdiction de retour sur le territoire français de trois ans. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 28 mai 2019 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a, à la demande de M. B..., annulé cet arrêté.
Sur la recevabilité de la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen :
2. Aux termes du II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant ".
3. Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Aux termes de l'article R. 776-1 du même code : " Sont présentées, instruites et jugées selon les dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles du présent code, sous réserve des dispositions du présent chapitre, les requêtes dirigées contre : / 1° Les décisions portant obligation de quitter le territoire français, prévues au I de l'article L. 511-1 et à l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que les décisions relatives au séjour notifiées avec les décisions portant obligation de quitter le territoire français ; / 2° Les décisions relatives au délai de départ volontaire prévues au II de l'article L. 511-1 du même code ; / 3° Les interdictions de retour sur le territoire français prévues au III du même article et les interdictions de circulation sur le territoire français prévues à l'article L. 511-3-2 du même code ; / 4° Les décisions fixant le pays de renvoi prévues à l'article L. 513-3 du même code ; / (...) / 6° Les décisions d'assignation à résidence prévues aux articles L. 561-2, L. 744-9-1 et L. 571-4 du même code. / Sont instruites et jugées dans les mêmes conditions les conclusions tendant à l'annulation d'une autre mesure d'éloignement prévue au livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à l'exception des arrêtés d'expulsion, présentées en cas de placement en rétention administrative, en cas de détention ou dans le cadre d'une requête dirigée contre la décision d'assignation à résidence prise au titre de cette mesure. / Sont instruites et jugées dans les mêmes conditions les conclusions présentées dans le cadre des requêtes dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français mentionnées au 1° du présent article, sur le fondement de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, tendant à la suspension de l'exécution de ces mesures d'éloignement ".
4. Par ailleurs, l'article L. 512-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Dès notification de l'obligation de quitter le territoire français, l'étranger auquel aucun délai de départ volontaire n'a été accordé est mis en mesure, dans les meilleurs délais, d'avertir un conseil, son consulat ou une personne de son choix. L'étranger est informé qu'il peut recevoir communication des principaux éléments des décisions qui lui sont notifiées en application de l'article L. 511-1. Ces éléments lui sont alors communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend ".
5. Aux termes de l'article R. 776-19 du code de justice administrative : " Si, au moment de la notification d'une décision mentionnée à l'article R. 776-1, l'étranger est retenu par l'autorité administrative, sa requête peut valablement être déposée, dans le délai de recours contentieux, auprès de ladite autorité administrative (...) ". En outre, aux termes de l'article R. 776-31 du même code, applicable en cas de détention : " Au premier alinéa de l'article R. 776-19, les mots : " de ladite autorité administrative " sont remplacés par les mots : " du chef de l'établissement pénitentiaire " ". Il incombe à l'administration, pour les décisions présentant les caractéristiques mentionnées ci-dessus, de faire figurer, dans leur notification à un étranger retenu ou détenu, la possibilité de déposer sa requête dans le délai de recours contentieux auprès de l'administration chargée de la rétention ou du chef de l'établissement pénitentiaire.
6. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté en litige a été notifié à M. B... alors placé en rétention le 17 mai 2019 à 15h30. Si cette notification comporte la mention des délais et voies de recours contentieux, elle ne comporte aucune information quant à la possibilité pour M. B... de déposer sa requête auprès de l'autorité administrative en application de l'article R. 776-19 du code de justice administrative. Par suite, cette notification ne pouvait avoir pour effet de faire courir le délai de recours contentieux et le préfet de la Seine-Maritime n'est donc pas fondé à se plaindre de ce que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a jugé que la demande de M. B... enregistrée le 21 mai 2019 à 16h05 n'était pas tardive.
Sur le motif d'annulation retenu par le jugement attaqué :
7. Pour annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a estimé que M. B... avait repris depuis mars 2018 une vie commune avec la mère de sa fille de nationalité française et qu'il contribue à l'entretien et à l'éducation de celle-ci et qu'ainsi, cette décision portait une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, si l'intéressé est père d'un enfant né le 14 août 2015, issu d'une relation avec une ressortissante de nationalité française, un jugement du tribunal de grande instance de Rouen du 22 décembre 2016 a attribué l'autorité parentale exclusivement à la mère de l'enfant après avoir fixé le montant de la pension alimentaire et réservé le droit de visite du requérant, celui-ci n'ayant pas manifesté le souhait de rendre visite à sa fille. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant se soit acquitté de la pension alimentaire fixée à 200 euros par mois par le jugement précité. Par suite, le requérant n'établit pas participer effectivement à l'éducation et à l'entretien de sa fille. La vie commune avec la mère de son enfant est récente à la date de la décision en litige. Enfin, l'intéressé ne justifie d'aucune insertion professionnelle à la date de la décision contestée. Dans ces conditions, la décision portant obligation de quitter le territoire français ne porte pas au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a, par suite, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, c'est à tort que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a annulé pour ce motif, la décision en litige et par voie de conséquence, les décisions par lesquelles le préfet de la Seine-Maritime a refusé à M. B... l'octroi d'un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et a interdit à l'intimé le retour en France pendant une durée de trois ans.
8. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens présentés par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen.
Sur le moyen commun aux décisions en litige :
9. Par arrêté n° 19-84 du 23 avril 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs, le préfet de la Seine-Maritime a donné délégation à Mme C... A..., adjointe au chef du bureau de l'éloignement de la préfecture de la Seine-Maritime, signataire des décisions en litige, à l'effet de signer tous les actes relevant des attributions de ce bureau, au nombre desquels figurent les décisions attaquées, en cas d'absence ou d'empêchement du chef de bureau. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de ces décisions doit être écarté.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
10. En premier lieu, l'obligation de quitter le territoire français vise notamment l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle expose les circonstances de fait relatives à la situation de M. B... quant à son entrée irrégulière sur le territoire français, aux conditions de son séjour en France, à sa vie privée et familiale. Ainsi, et alors même que ces motifs ne reprennent pas l'ensemble des éléments caractérisant la situation de l'intéressé, ladite décision est suffisamment motivée au regard des exigences du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... a été entendu préalablement à l'édiction de la mesure contestée, comme en témoigne le procès-verbal d'audition du 17 mai 2019, lequel a été signé par l'intéressé. A cette occasion, le requérant a pu faire valoir ses observations concernant notamment sa situation administrative et personnelle et l'éventualité d'une mesure d'éloignement à son encontre. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu que l'intéressé tient du principe général du droit de l'Union européenne énoncé notamment à l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être écarté.
12. En troisième lieu, si M. B... soutient que l'administration est en possession de son passeport et qu'aucun récépissé ne lui a été délivré en méconnaissance des dispositions de l'article L. 611-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, cette circonstance est toutefois sans incidence sur la légalité de la décision en litige.
13. Enfin, pour les mêmes motifs que ceux retenus au point 7, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de celles du 7° de l'article L. 511-4 du même code et de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision contestée sur sa situation personnelle doivent être écartés.
Sur la décision de refus de délai de départ volontaire :
14. En premier lieu, l'obligation de quitter le territoire français n'étant pas entachée d'illégalité, le moyen tiré de ce que la décision refusant au requérant l'octroi d'un délai de départ volontaire serait illégale à raison de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
15. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) L'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) / II (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; / (...) ".
16. La décision en litige vise le II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mentionne que M. B... s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français malgré les trois précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet et fait état de sa situation personnelle. Elle est dès lors suffisamment motivée.
17. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est soustrait à trois précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Cette circonstance caractérise un risque de soustraction à l'obligation de quitter le territoire français au sens du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, en lui refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas méconnu lesdites dispositions.
Sur la décision fixant le pays de destination :
18. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'illégalité de la décision fixant le pays de destination à raison de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
19. En deuxième lieu, la décision contestée vise l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur lequel elle se fonde. En outre, elle précise la nationalité de M. B... et énonce que l'intéressé n'allègue, ni n'établit être exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Ainsi, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision contestée doit être écarté.
20. Enfin, pour les mêmes motifs que ceux retenus au point 7, la décision en litige ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans :
21. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a repris la vie commune avec la mère de sa fille de nationalité française depuis un an à la date de la décision attaquée. Le préfet admet que sa présence ne représente pas une menace pour l'ordre public. Dans ces conditions, et bien que l'intéressé se soit soustrait à plusieurs obligations de quitter le territoire français, en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans, le préfet de la Seine-Maritime a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens présentés par M. B... à l'encontre de cette décision, ce dernier est fondé à en demander l'annulation.
22. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a annulé les décisions des 17 mai 2019 faisant obligation à M. B... de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de destination de cette mesure.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1901845 du 28 mai 2019 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen est annulé en tant qu'il a annulé les décisions des 17 mai 2019 faisant obligation à M. B... de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de destination de cette mesure.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la demande de première instance de M. B... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... B....
Copie sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
N°19DA01589 2