Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 10 septembre 2019 par lequel la préfète de la Somme a refusé de renouveler son attestation de demande d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé la Géorgie comme pays de destination et l'a assigné à résidence dans la Somme.
Par un jugement n° 1903038 du 17 septembre 2019, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée 12 décembre 2019, M. A... D..., représenté par la société d'avocats Caron, Daquo, Amouel, B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 17 septembre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Somme du 10 septembre 2019 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Somme de renouveler son attestation de demande d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1000 euros, à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir l'aide juridictionnelle.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Aurélien Gloux-Saliou, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Entré en France le 8 octobre 2016 muni d'un visa de court séjour, M. A... D..., de nationalité géorgienne, a présenté une demande d'asile à l'autorité préfectorale le 2 novembre suivant. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande par une décision du 26 avril 2019 qui a fait l'objet d'un recours devant la Cour nationale du droit d'asile enregistré le 27 juin suivant. Par un arrêté du 10 septembre 2019, la préfète de la Somme a refusé de renouveler l'attestation de demande d'asile de l'intéressé, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé la Géorgie comme pays de destination et l'a assigné à résidence dans la Somme. M. D... interjette appel du jugement du 17 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le refus de renouvellement de l'attestation de demande d'asile :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé dans le délai prévu à l'article L. 731-2 contre une décision de rejet de l'office, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci (...) " et aux termes de l'article L. 743-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 743-1, sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé lorsque : / (...) 7° L'office a pris une décision de rejet dans les cas prévus au I et au 5° du III de l'article L. 723-2 (...) ". Or aux termes de l'article L. 723-2 du code : " I. - L'office statue en procédure accélérée lorsque : / 1° Le demandeur provient d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr en application de l'article L. 722-1 (...) / III. -L'office statue également en procédure accélérée lorsque l'autorité administrative chargée de l'enregistrement de la demande d'asile constate que : / (...) 5° La présence en France du demandeur constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'État (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. D..., ressortissant d'un pays considéré comme sûr, a vu sa demande d'asile examinée en procédure accélérée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, en application du 1° du I de l'article L. 723-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette demande ayant été rejetée par l'office, la préfète de la Somme pouvait légalement faire application du 7° de l'article L. 743-2 du même code pour refuser à l'intéressé le renouvellement de son attestation de demande d'asile.
4. En deuxième lieu, si M. D... soutient que la décision de la préfète pourrait l'empêcher d'être entendu devant la Cour nationale du droit d'asile et porte ainsi une atteinte grave au droit au recours juridictionnel effectif ainsi qu'au droit d'asile, les dispositions du 7° de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été en tout état de cause considérées comme ne méconnaissant aucun de ces deux droits et, partant, déclarées conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
6. Si M. D... rappelle que, détenu dans son pays d'origine de 2012 à 2015, il a subi des tortures en prison, il n'apporte devant le juge aucun élément établissant qu'il serait actuellement et personnellement exposé, en cas de retour en Géorgie, à des traitements inhumains et dégradants, alors que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, saisi des mêmes faits, a rejeté sa demande d'asile en considérant comme non avérées les persécutions alléguées. En refusant à M. D... le droit de se maintenir sur le territoire français, la préfète de la Somme n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète, qui ne peut être regardée comme ayant automatiquement refusé de renouveler l'attestation de demande d'asile après le rejet de cette demande par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, n'aurait pas examiné la situation personnelle de l'intéressé.
8. En cinquième lieu, si M. D... soutient que la préfète ne pouvait refuser de renouveler son attestation de demande d'asile en se fondant sur la circonstance qu'il constituerait une menace pour l'ordre public, dès lors que, d'une part, cette circonstance ne serait pas avérée et que, d'autre part, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides n'avait pas examiné sa demande en procédure accélérée pour un motif d'ordre public, il ressort des termes de l'arrêté contesté que la préfète aurait pris la même décision si elle n'avait pas retenu ce motif à l'encontre de l'intéressé.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, la seule circonstance que la préfète de la Somme n'a pas mentionné, dans l'arrêté contesté, la naissance de la fille de M. D... le 26 mai 2019, à supposer que cette information ait été portée à la connaissance de l'administration, ne suffit pas à établir, en l'espèce, que la préfète de la Somme n'aurait pas examiné la situation personnelle de l'intéressé.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ".
11. Entré sur le territoire français avec son épouse, également de nationalité géorgienne, M. D... y résidait depuis seulement trois ans à la date de l'arrêté contesté. Hébergé en centre d'accueil des demandeurs d'asile, le couple a vu rejeter le même jour par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides les demandes d'asile qu'ils avaient présentées. Si une enfant leur est née le 26 mai 2019, le requérant, qui ne dispose d'aucune attache familiale en France autre que son épouse et leur fille et n'allègue pas être dépourvu de telles attaches dans son pays d'origine, ne démontre pas qu'il ne pourrait reconstituer la cellule familiale en Géorgie, où il a vécu jusqu'à l'âge de trente-deux ans. En outre, il ressort des pièces du dossier que M. D..., pendant le traitement de sa demande d'asile, a fait l'objet d'inscriptions au traitement des antécédents judiciaires, notamment pour des faits de vol en réunion le 29 août 2017 et le 23 janvier 2018. Dans ces conditions, en l'obligeant à quitter le territoire français, la préfète de la Somme n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ".
13. En se bornant à relever que l'arrêté contesté ne mentionne pas la naissance de sa fille, M. D... n'apporte aucun élément établissant que l'intérêt supérieur de cette enfant aurait été méconnu. Il ne démontre notamment pas qu'il ne pourrait revenir dans son pays d'origine avec sa fille, âgée de trois mois et demi à la date de la décision. Par suite, la préfète de la Somme n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
14. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".
15. En produisant un certificat médical établi par un médecin généraliste le 13 décembre 2017, soit près de deux ans avant la date de l'arrêté contesté, et indiquant que " son état de santé nécessite un suivi médical et des soins constants qui empêchent tout déplacement et le retour en Géorgie ", M. D... n'établit ni que le défaut de soin pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ni qu'il ne pourrait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. La préfète de la Somme n'a donc pas méconnu les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne l'assignation à résidence :
16. Aux termes de l'article L. 744-9-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Lorsque le droit au maintien de l'étranger a pris fin en application du 4° bis ou du 7° de l'article L. 743-2 et qu'une obligation de quitter le territoire français a été prise à son encontre, l'autorité administrative peut, aux fins du traitement rapide et du suivi efficace de sa demande d'asile, l'assigner à résidence selon les modalités prévues aux trois derniers alinéas de l'article L. 561-1, pour une durée de quarante-cinq jours renouvelable une fois (...) ".
17. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant sa demande d'asile, que M. D..., handicapé, est contraint de se déplacer en fauteuil roulant. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit plus haut, le couple a à sa charge une enfant en bas âge. Alors que la préfète de la Somme, qui n'a pas produit de défense en appel, n'a apporté en première instance aucune justification particulière des conditions dans lesquelles les deux époux sont assignés à résidence, l'arrêté contesté prévoit, à son article 6, que M. D..., comme son épouse, devra se présenter tous les jours, sauf les dimanche et jours fériés, à 16 heures, " muni de ses effets personnels ", dans un commissariat situé à plus de trois kilomètres du centre d'hébergement qui l'accueille. Dans ces conditions, la préfète, nonobstant le fait qu'elle a légalement assigné l'intéressé à résidence, lui a imposé une contrainte de présentation excédant celle strictement nécessaire pour garantir l'exécution de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet et, par suite, commis une erreur d'appréciation.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 17 septembre 2019, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète de la Somme du 10 septembre 2019 en tant que cet arrêté prévoit les conditions dans lesquelles l'intéressé est tenu de se présenter aux forces de police dans le cadre de son assignation à résidence.
Sur l'injonction :
19. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. La demande d'injonction présentée par M. D... doit donc être rejetée.
Sur les frais de l'instance :
20. Les dispositions de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, la somme que réclame M. D... au titre des frais qu'il a exposés.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 6 de l'arrêté de la préfète de la Somme du 10 septembre 2019 est annulé.
Article 2 : Le jugement n° 1903038 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif d'Amiens du 17 septembre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus de la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif d'Amiens ainsi que ses conclusions d'appel fondées sur l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., au ministre de l'intérieur et à Me C... B....
Copie en sera transmise pour information à la préfète de la Somme.
N°19DA02721 2