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02/07/2020 | FRANCE | N°19DA00913

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 02 juillet 2020, 19DA00913


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... F... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part d'annuler l'arrêté du 16 avril 2018 par lequel le sous-préfet de Dunkerque a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi, d'autre part d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer un titre de séjour, ou à défaut de réexaminer sa demande, dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification du jugement à intervenir sous astreinte de

150 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1808992 du 19 mars 2019, le t...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... F... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part d'annuler l'arrêté du 16 avril 2018 par lequel le sous-préfet de Dunkerque a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi, d'autre part d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer un titre de séjour, ou à défaut de réexaminer sa demande, dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification du jugement à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1808992 du 19 mars 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 avril 2019, M. F..., représenté par Me A... E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 16 avril 2018 du préfet du Nord ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord, sous astreinte de 150 euros par jour de retard après expiration d'un délai de quinze jours après l'arrêt à intervenir, à titre principal de lui délivrer un titre de séjour, à titre subsidiaire de procéder au réexamen de sa demande ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... D..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. F..., ressortissant camerounais né le 7 février 2000, est entré en France en juin 2015 selon ses déclarations. Il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département du Nord, d'abord à compter du 21 octobre 2015 par un jugement du juge des enfants du tribunal de grande instance de Lille, ensuite du 15 août 2016 à sa majorité par mesure de tutelle d'Etat déférée au président du conseil départemental du Nord, enfin dans le cadre d'un accueil temporaire " jeune majeur ". Le 11 septembre 2017, il a sollicité un titre de séjour sur le fondement du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 16 avril 2018, le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office. M. F... relève appel du jugement du 19 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur les conclusions en annulation :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...)// 2° bis A l'étranger dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3, qui a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance et sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée ;// (...) ".

3. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour de plein droit portant la mention "vie privée et familiale", sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entre dans les prévisions de l'article L. 311-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance. Si ces conditions sont remplies, il ne peut alors refuser la délivrance du titre qu'en raison de la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française.

4. Pour refuser de délivrer à M. F... le titre de séjour que l'intéressé avait demandé sur le fondement des dispositions précitées, le préfet du Nord s'est fondé d'abord, sur le caractère apocryphe d'un acte de naissance produit par l'intéressé, qui ne permettrait pas d'établir qu'il était mineur lors de son placement auprès des services de l'aide sociale à l'enfance, ensuite sur son insertion défavorable dans la société française en raison de la fraude qu'il a commise et, enfin, sur la circonstance qu'il ne serait pas isolé dans son pays d'origine, où résident ses parents et quatre frères et soeurs.

5. Aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".

6. Il résulte des dispositions précitées des articles L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 47 du code civil que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation, par l'administration, de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

7. Il ressort des pièces du dossier que, pour contester l'authenticité des documents d'état civil présentés par M. F..., le préfet du Nord s'est fondé, d'une part, sur une analyse technique en date du 9 avril 2018, menée par le service de la fraude documentaire de la direction zonale de la police aux frontières (DZPAF), d'autre part sur un courriel émanant du consulat général de France à Douala. Ce dernier document se borne à indiquer sommairement que, selon le retour des autorités locales, qui, toutefois, n'est l'objet d'aucune des pièces versées au débat contradictoire, " l'acte de naissance de F... Landry n° 436/2000 est non-authentique ", sans mentionner, contrairement à ce que porte l'arrêté en litige, que cet acte de naissance correspondrait à une personne de sexe féminin née le 30 mars 2000. Pour sa part, dans son analyse du 9 avril 2018, la DZPAF émet un avis défavorable sur cet acte de naissance n° 436/2000 daté du 16 février 2000, pour lequel elle dispose d'un modèle authentique correspondant au document objet de l'analyse, au seul motif qu'un des deux tampons humides légalisant le document " présente l'anomalie d'être bicolore ". Cependant, il ressort également des pièces du dossier qu'au terme d'une analyse antérieure, en date du 23 septembre 2015, de ce même acte de naissance, la DZPAF déclarait n'avoir " établi aucun élément de contrefaçon ou de falsification " et estimait que le document présentait " les caractéristiques d'un document authentique ". Certes, dans son analyse du 9 avril 2018, la DZPAF émet aussi un avis très défavorable sur une copie certifiée conforme de l'acte de naissance de l'intéressé, faite à Paris le 23 juin 2015, pour laquelle elle ne dispose d'ailleurs pas de modèle authentique correspondant au document objet de l'analyse, au motif que les mentions pré-imprimées de cette copie certifiée conforme sont réalisées en jet d'encre au lieu d'impression en offset quadrichromie. Mais la DZPAF elle-même indique que les deux cachets humides légalisant cette copie certifiée conforme sont " de bonne qualité " pour l'un, et " conforme aux pratiques de l'ambassade du Cameroun en France " pour l'autre. Au demeurant, M. F... est titulaire d'un passeport délivré le 22 mars 2017 par l'ambassade du Cameroun à Paris, qui mentionne la même date de naissance que l'acte 436/2000, et dont le préfet du Nord ne conteste pas le caractère authentique mais allègue seulement qu'il aurait pu être obtenu sur la base de l'acte de naissance selon lui contrefait. Dans ces conditions, le préfet du Nord n'a pu, sans méconnaître les dispositions de l'article 47 du code civil et celles de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, considérer que les éléments précités étaient suffisamment précis pour établir le caractère falsifié des documents présentés par M. F.... Dès lors, M. F... est fondé à soutenir que le préfet ne pouvait se fonder sur le caractère apocryphe des documents produits pour refuser de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement du 2 bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Dès lors que, comme il vient d'être dit au point précédent, la fraude qui aurait consisté pour M. F... à présenter de faux documents d'état civil pour justifier de son âge n'est pas établie, le préfet ne peut, de ce chef, faire grief au requérant d'une insertion défavorable dans la société française. Au contraire, il ressort des pièces du dossier que M. F..., qui avait donc été pris en charge par le service d'aide sociale à l'enfance avant son seizième anniversaire, justifie du caractère réel et sérieux de ses études. Ainsi, il a obtenu en juin 2017 son brevet d'études professionnelles, spécialité " installation des systèmes énergétiques et climatiques ", et ses bulletins scolaires versés au dossier, ainsi que plusieurs attestations circonstanciées de ses enseignants, relèvent son implication sérieuse et durable dans la poursuite de ses études. S'agissant de son comportement et ses capacités à devenir autonome, il fait également l'objet d'une appréciation favorable de la structure qui l'a accueilli. Le département du Nord a, d'ailleurs, renouvelé par décision du 27 août 2018 pour une durée de quatre mois, l'accueil provisoire de M. F... en qualité de jeune majeur. M. F... sait, en outre, s'impliquer dans la vie sociale, par sa participation notamment à un camp-chantier-patrimoine organisé sur le site du château-fort de Guise par le club du Vieux Manoir, mouvement national reconnu d'utilité publique. Dans ces conditions, alors qu'il n'est pas établi ni même allégué que M. F... continuerait d'entretenir des relations avec sa famille restée au Cameroun, le préfet du Nord a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 313-11 2° bis du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de lui accorder le titre de séjour sollicité sur leur fondement. Il y a lieu, par suite, d'annuler la décision de refus de titre de séjour contestée par M. F..., et par voie de conséquence la décision l'obligeant à quitter le territoire dans un délai de trente jours ainsi que celle fixant le pays de destination.

9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. F... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 avril 2018 du préfet du Nord.

Sur les conclusions à fin d'injonction, assorties d'astreinte :

10. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. //(...) ".

11. Eu égard au motif pour lequel il prononce l'annulation de l'arrêté en litige et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'un changement dans les circonstances de droit ou de fait y ferait obstacle, le présent arrêt implique nécessairement la délivrance à l'appelant d'une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale". Il y a lieu, par suite, en application des dispositions précitées de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de faire droit aux conclusions à fin d'injonction présentées à titre principal par M. F... et d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer la carte de séjour temporaire prévue par les dispositions du 2°bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le délai de deux mois suivant la date de notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. F... d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 19 mars 2019 du tribunal administratif de Lille et l'arrêté du 16 avril 2018 du préfet du Nord sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Nord de délivrer à M. F... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. F... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F..., au préfet du Nord et au ministre de l'intérieur.

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N°19DA00913


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA00913
Date de la décision : 02/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Binand
Rapporteur ?: Mme Hélène Busidan
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : DEWAELE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-07-02;19da00913 ?
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