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18/06/2020 | FRANCE | N°19DA01609

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 18 juin 2020, 19DA01609


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 12 décembre 2018 par lequel le préfet de la Somme refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office, d'autre part, d'enjoindre à la préfète de la Somme de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale "

et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande et de lui délivrer, d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 12 décembre 2018 par lequel le préfet de la Somme refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office, d'autre part, d'enjoindre à la préfète de la Somme de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour, dans le délai d'un mois à compter de la date de notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 10 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1900423 du 24 avril 2019, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 juillet 2019 et le 4 novembre 2019, M. B... A..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 12 décembre 2018 du préfet de la Somme ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Somme, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 10 euros par jour de retard ;

4°) d'enjoindre à la préfète de la Somme, dans l'hypothèse où seules les décisions l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination seraient annulées, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 10 euros par jours de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SCP Bouquet C... Wadier de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu, au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... B... A..., ressortissant tchadien né le 1er janvier 1954 à Ouaddai (Tchad), est entré en France, le 3 juillet 2018, sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour, accompagné de sa fille, de nationalité française, qui lui avait rendu visite au Tchad. M. B... A... a demandé au préfet de la Somme la délivrance d'un titre de séjour en raison de son état de santé. Par un arrêté du 12 décembre 2018, cette autorité a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office. M. B... A... relève appel du jugement du 24 avril 2019 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité du refus de séjour :

En ce qui concerne l'état de santé de M. B... A... :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".

3. Pour refuser de délivrer à M. B... A... le titre de séjour qu'il sollicitait pour raisons médicales, le préfet de la Somme a estimé, au vu notamment d'un avis émis le 30 novembre 2018 par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, que, si l'état de l'intéressé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entrainer pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il peut bénéficier effectivement, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, d'un traitement approprié, et qu'il peut voyager sans risque vers son pays d'origine.

4. Il ressort des pièces du dossier et, notamment, des pièces médicales produites par le requérant, que M. B... A... souffre des nombreuses séquelles des accidents vasculaires cérébraux multiples dont il a été victime dans son pays d'origine et qui ont considérablement amoindri son autonomie. Ces mêmes pièces révèlent que M. B... A... est également atteint d'un diabète de type II ainsi que d'une maladie neurodégénérative dont le diagnostic n'a pu être posé de façon catégorique. Toutefois, aucun des documents ainsi produits, dont la plupart ne se prononcent d'ailleurs aucunement sur ce point et dont aucun ne donne de précision sur le traitement médicamenteux prescrit à M. B... A..., n'est de nature à remettre en cause l'appréciation du préfet de la Somme selon laquelle l'intéressé peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine. A cet égard, la seule mention portée dans une attestation établie le 27 juin 2018 par un interne de l'hôpital américain de Paris, selon laquelle le Tchad ne disposerait pas d'un nombre suffisant de plateaux techniques spécialisés pour réaliser les examens requis par l'état de santé de M. B... A..., n'est assortie d'aucune justification argumentée. Dès lors, le préfet de la Somme, en refusant de délivrer à l'intéressé le titre de séjour qu'il sollicitait sur le fondement des dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'a pas méconnu ces dispositions, ni n'a commis d'erreur d'appréciation au regard de celles-ci.

En ce qui concerne la situation familiale :

5. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 7° À l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée.(...) ".

6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... A..., qui est entré en France le 3 juillet 2018, est domicilié chez sa fille et son gendre, tous deux de nationalité française, qui l'assistent pour l'accomplissement des actes de la vie courante et l'accompagnent lors de ses rendez-vous médicaux. Toutefois, M. B... A..., dont la situation maritale ne peut, comme le relève le préfet de la Somme, être complètement appréhendée au regard des éléments d'information lacunaires communiqués à l'administration, n'établit pas, par ses seules allégations selon lesquelles il n'entretiendrait plus de relations dans son pays d'origine, être dépourvu d'attaches familiales au Tchad, où il a habituellement vécu jusqu'à l'âge de soixante-quatre ans. Dans ces conditions, et eu égard au caractère particulièrement bref du séjour de M. B... A... en France, où il est entré à peine plus de cinq mois avant la date à laquelle l'arrêté contesté a été pris, le préfet de la Somme, en refusant à l'intéressé la délivrance d'un titre de séjour, n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise, ni n'a méconnu les dispositions précitées du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ce faisant, le préfet de la Somme n'a pas davantage commis d'erreur dans l'appréciation de la situation de M. B... A... au regard de ces dispositions.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

7. Ainsi qu'il a été dit au point 4, les pièces médicales produites par M. B... A... permettent d'établir qu'il est atteint de nombreuses pathologies le privant de toute autonomie. Ainsi, il peine à se tenir debout et à marcher, présente d'importants troubles cognitifs et neurologiques, ainsi qu'une apathie et des épisodes de somnolence diurne, lesquels troubles s'ajoutent aux conséquences du diabète de type II dont il souffre également. M. B... A... vit, ainsi qu'il a été dit précédemment, chez sa fille et son gendre, tous deux de nationalité française, qui assurent, comme l'atteste l'ensemble des pièces médicales versées au dossier, la prise en charge médicale du requérant, qui l'assistent pour l'accomplissement des actes de la vie courante, un certificat médical établi le 7 janvier 2019 confirmant d'ailleurs la nécessité de cette aide quotidienne, et qui lui apportent l'attention constante que requiert son état. En outre, la fille et le gendre de M. B... A... l'accompagnent systématiquement lors de ses différents rendez-vous médicaux, leur présence s'avérant particulièrement utile pour assurer la communication entre celui-ci et le personnel soignant. Ainsi, dans ces circonstances particulières de l'espèce et eu égard, en particulier, à l'âge de M. B... A..., à son état de santé très fortement dégradé, à l'importante perte d'autonomie dont il est atteint et qui le rend particulièrement dépendant de sa fille et de son gendre, l'arrêté contesté, en tant qu'il fait obligation à M. B... A... de quitter le territoire français, doit être regardé, en dépit du caractère récent de l'entrée en France de l'intéressé et du fait qu'il n'est pas dépourvu d'attaches familiales au Tchad, comme entaché d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre cette mesure d'éloignement, M. B... A... est fondé à en demander l'annulation, ainsi, par voie de conséquence, que celle de la décision fixant le pays de destination.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de destination de cette mesure.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Le présent arrêt, qui annule, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 12 décembre 2018 en tant seulement que, par cet arrêté, le préfet de la Somme a fait obligation à M. B... A... de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination, implique seulement que la préfète de la Somme procède à un nouvel examen de la situation de l'intéressé et lui délivre, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour. Il y a lieu d'impartir, pour ce faire, à cette autorité, respectivement, un délai de deux mois et un délai de quinze jours à compter de la date de notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

10. M. B... A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Bouquet C... Wadier, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée, de mettre à la charge de l'Etat, qui a la qualité de partie perdante, une somme de 800 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1900423 du 24 avril 2019 du tribunal administratif d'Amiens est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la demande de M. B... A... tendant à l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de destination de cette mesure.

Article 2 : L'arrêté de 12 décembre 2018 du préfet de la Somme est annulé en tant qu'il fait obligation à M. B... A... de quitter le territoire français et fixe le pays de destination.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète de la Somme de délivrer à M. B... A... une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification du présent arrêt et de procéder, dans un délai de deux mois à compter de cette date, à un nouvel examen de sa situation.

Article 4 : L'Etat versera à la SCP Bouquet C... Wadier la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette SCP, conseil de M. B... A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... A... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... A..., à Me C..., au ministre de l'intérieur et à la préfète de la Somme.

5

N°19DA01609


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA01609
Date de la décision : 18/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SCP BOUQUET FAYEIN-BOURGOIS WADIER

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-06-18;19da01609 ?
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