Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La caisse primaire d'assurance maladie de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le centre hospitalier de Dieppe à lui verser une somme de 215 425,28 euros au titre des débours exposés dans le cadre de la prise en charge médicale de son assuré M. C... B... le 21 décembre 2008. Dans le cadre de la même instance, M. B..., auquel la demande de la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime avait été communiquée, a demandé la condamnation du centre hospitalier de Dieppe à lui verser une somme de 116 413,63 euros en indemnisation des préjudices subis.
Par un jugement n° 1601544 du 29 novembre 2018, le tribunal administratif de Rouen a rejeté les conclusions indemnitaires de M. B... pour tardiveté et condamné le centre hospitalier de Dieppe à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime une somme de 10 320,38 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 mars 2016 et de leur capitalisation à compter du 2 mars 2017.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 janvier 2019 et 17 janvier 2020, sous le n° 19DA00031, M. B..., représenté par Me E... F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Dieppe à lui verser une somme de 116 413,63 euros en indemnisation des préjudices résultant de sa prise en charge le 21 décembre 2008 ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Dieppe les entiers dépens et une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- ses conclusions de première instance n'étaient pas tardives, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges ;
- l'absence de réalisation d'une ostéosynthèse dès le 21 décembre 2008 est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Dieppe à son égard ;
- le montant de ses préjudices s'élève à la somme totale de 116 413,63 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 janvier 2020, le centre hospitalier de Dieppe, représenté par Me A... D..., conclut au rejet de la requête.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur,
- et les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été victime le 21 décembre 2008 d'un accident lors d'un match de football, causant un traumatisme à sa cheville gauche. Lors de son admission au centre hospitalier de Dieppe, une fracture de la malléole interne a été diagnostiquée. M. B... a bénéficié d'un traitement orthopédique par la pose d'un plâtre, renouvelé le 13 janvier 2009 en l'absence de consolidation suffisante de la fracture, puis retiré le 3 février 2009. Le 12 février 2009, M. B... a subi, dans une clinique privée, une intervention chirurgicale consistant en l'ostéosynthèse par haubanage de la fracture. Les suites de cette intervention ont été marquées par l'apparition d'une pseudarthrose compliquée d'une algodystrophie imposant la réalisation de plusieurs autres interventions chirurgicales. Estimant fautives les conditions de sa prise en charge par le centre hospitalier de Dieppe le 21 décembre 2008, M. B... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation de Haute-Normandie qui, par un avis du 4 décembre 2014 rendu à la suite d'un rapport d'expertise remis le 10 novembre 2014, a estimé le centre hospitalier de Dieppe responsable du dommage subi par M. B... à hauteur de 15 % correspondant à la perte d'une chance de s'y soustraire. A la suite du refus de la société hospitalière d'assurances mutuelles, assureur du centre hospitalier de Dieppe, de formuler une proposition d'indemnisation, la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime a saisi le tribunal administratif de Rouen le 26 avril 2016. Sa requête a été communiquée à M. B... qui a formulé des conclusions indemnitaires par un mémoire enregistré le 30 mars 2018. M. B... interjette appel du jugement du 29 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté ces conclusions pour tardiveté. La caisse primaire d'assurance maladie de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime interjette appel de ce jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses conclusions indemnitaires. Le centre hospitalier de Dieppe interjette appel incident du jugement, estimant non remplies les conditions de l'engagement de sa responsabilité à l'égard de M. B... et de la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". L'article L. 1142-7 du code de la santé publique prévoit qu'une personne qui s'estime victime d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins peut saisir la commission de conciliation et d'indemnisation et que cette saisine interrompt le délai de recours contentieux jusqu'au terme de la procédure engagée devant la commission.
3. Il résulte, par ailleurs, du principe de sécurité juridique que le destinataire d'une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s'il entend obtenir l'annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Toutefois, cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par l'article L. 1142-28 du code de la santé publique.
4. Il résulte de l'instruction que M. B... a eu connaissance de la décision du 22 avril 2015 de la société hospitalière d'assurances mutuelles, assureur du centre hospitalier de Dieppe, refusant de lui présenter une offre d'indemnisation au plus tard le 17 mai 2016, date à laquelle il a reçu communication de la demande de première instance de la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime. Il résulte des principes rappelés aux points 2 et 3 que, le délai d'un an n'étant pas applicable s'agissant des recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique, M. B... pouvait régulièrement saisir le tribunal administratif de conclusions indemnitaires le 30 février 2018. Par suite, c'est à tort que le tribunal a rejeté comme irrecevables les conclusions indemnitaires de M. B... dont il était saisi. Son jugement en date du 29 novembre 2018 doit, dès lors, être annulé en tant qu'il a rejeté pour tardiveté ces conclusions.
5. Il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions de M. B... et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime devant le tribunal administratif.
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Dieppe :
6. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".
7. Pour estimer la responsabilité du centre hospitalier de Dieppe engagée à l'égard de M. B..., les premiers juges ont retenu le caractère fautif du traitement orthopédique de la fracture subie le 21 décembre 2008, au détriment d'un traitement chirurgical par ostéosynthèse. S'ils se sont fondés sur les conclusions du rapport d'expertise selon lequel le déplacement de la malléole interne était " trop important " pour envisager le recours à un traitement simplement orthopédique, il résulte du même rapport d'expertise que les radiographies réalisées les 21 et 30 décembre 2008 ont mis en évidence, respectivement, " une fracture peu déplacée de la malléole interne " et une absence de déplacement. Il résulte par ailleurs des développements circonstanciés et non contestés du médecin-conseil de la société hospitalière d'assurances mutuelles, en date du 24 novembre 2014, que, en l'absence de déplacement marqué de la malléole interne, le choix thérapeutique d'un traitement orthopédique est conforme aux règles de l'art s'il est accompagné d'un suivi hospitalier régulier, ce qui a été le cas en l'espèce jusqu'au 10 février 2009, date de la dernière consultation de M. B... au centre hospitalier de Dieppe. Le médecin-conseil relève également qu'en première intention, le traitement orthopédique présente l'avantage de soustraire le patient aux " complications à type d'infection ou de complications vasculo-nerveuses ou cutanée et de limiter celle d'algodystrophie ", et que le recours à un traitement chirurgical peut être envisagé en seconde intention en l'absence de consolidation spontanée de la fracture.
8. Il résulte de ce qui précède que, si les documents versés au dossier ne permettent pas de retenir avec certitude l'absence de faute commise par le centre hospitalier lors de la prise en charge de M. B... le 21 décembre 2008, ils ne permettent non plus ni de parvenir à la conclusion inverse, ni d'apprécier la conformité aux règles de l'art du suivi dont a bénéficié M. B... au centre hospitalier de Dieppe jusqu'au 10 février 2009, date de sa dernière consultation avant l'intervention du 12 février 2009 en clinique privée. Il y a lieu dans ces conditions pour la cour d'ordonner avant dire droit une expertise de nature à l'éclairer sur ces questions.
DÉCIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la requête de M. B... et de la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime, avant dire-droit, procédé à une expertise en vue :
1°) d'examiner M. B..., de prendre connaissance de son entier dossier médical et décrire précisément les conditions de sa prise en charge par le centre hospitalier de Rouen entre le 21 décembre 2008 et le 10 février 2009 ;
2°) de déterminer si, eu égard à l'état de la fracture de M. B... le 21 décembre 2008, un traitement chirurgical d'urgence par ostéosynthèse était nécessaire, ou bien si un traitement orthopédique de première intention était conforme aux règles de l'art et si, dans cette hypothèse, M. B... a fait l'objet d'un suivi hospitalier régulier conforme aux données acquises de la science.
3°) le cas échéant, de fixer la date de consolidation et le taux d'incapacité permanente partielle dont demeure atteint M. B....
Article 2 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire communiquer les documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins et aux diagnostics pratiqués qu'il estime nécessaires à l'accomplissement de sa mission et pourra entendre tous sachants.
Article 3 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2, R. 621-9 et R. 621-14 du code de justice administrative. Le rapport d'expertise sera déposé en deux exemplaires dans le délai fixé par le président de la cour à compter de la date de notification du présent arrêt en application de l'article R. 621-2 de ce code. L'expert en notifiera des copies aux parties intéressées.
Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statués en fin d'instance.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime et au centre hospitalier de Dieppe.
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N°19DA00031, 19DA00223