Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... E... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 13 février 2019 par lequel la préfète de la Somme lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit, d'enjoindre à la préfète de la Somme de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'État une somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 1901555 du 2 juillet 2019 le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 janvier 2020, M. C... A... E..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 13 février 2019 par lequel la préfète de la Somme lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Somme de lui délivrer un titre de séjour, à défaut de réexaminer sa situation, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée ;
- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n°2004-374 du 29 avril 2004 ;
- l'ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A... E..., ressortissant marocain né le 29 juillet 1989, déclare être entré en France le 26 août 2012. Par arrêté du préfet de la Somme du 30 mai 2017, M. A... E... s'est vu délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " et a été autorisé à travailler en qualité de cuisinier au sein d'un restaurant situé à Clichy (Hauts-de-Seine). Par arrêté du 24 juillet 2018, confirmé par jugement du tribunal administratif d'Amiens du 1er février 2019, la préfète de la Somme a refusé d'accorder une autorisation de travail demandée en vue d'occuper un emploi d'échafaudeur. Par arrêté du 13 février 2019, la préfète de la Somme a refusé à M. A... E... la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. A... E... relève appel du jugement du 2 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté précité du 13 février 2019.
Sur le refus de titre de séjour :
2. Aux termes de l'article 3 de l'accord franco-marocain : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention "salarié" éventuellement assortie de restrictions géographiques ou professionnelles. / Après trois ans de séjour continu en France, les ressortissants marocains visés à l'alinéa précédent pourront obtenir un titre de séjour de dix ans. (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger titulaire de la carte de résident de longue durée-UE définie par les dispositions communautaires applicables en cette matière et accordée dans un autre Etat membre de l'Union européenne qui justifie de ressources stables et suffisantes pour subvenir à ses besoins et, le cas échéant, à ceux de sa famille ainsi que d'une assurance maladie obtient, sous réserve qu'il en fasse la demande dans les trois mois qui suivent son entrée en France et sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée : / 5° Une carte de séjour temporaire portant la mention de l'activité professionnelle pour laquelle il a obtenu l'autorisation préalable requise, dans les conditions définies, selon le cas, aux 1°, 2° ou 3° de l'article L. 313-10. Pour l'application du présent article, sont prises en compte toutes les ressources propres du demandeur et, le cas échéant, de son conjoint, indépendamment des prestations familiales et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 351-9, L. 351-10 et L. 351-10-1 du code du travail. Ces ressources doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance et sont appréciées au regard des conditions de logement ".
4. Aux termes de l'article 8 de la directive 2003/109/CE du conseil du 25 novembre 2003 modifiée relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée : " (...) 3. Le permis de séjour de résident de longue durée - CE peut être émis sous forme de vignette adhésive ou de document séparé. Il est émis selon les règles et le modèle type prévus par le règlement (CE) n° 1030/2002 du Conseil du 13 juin 2002 établissant un modèle uniforme de titre de séjour pour les ressortissants de pays tiers (1). Sous la rubrique " catégorie du titre de séjour ", les États membres inscrivent " résident de longue durée - CE ". Cette dernière mention est, selon la version espagnole de cette directive, " Residente de larga duracion - CE ".
5. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-marocain prévoit la délivrance de titres de séjour pour l'exercice d'une activité salariée, la préfète de la Somme n'a pu, sans erreur de droit, se fonder en l'espèce sur les dispositions de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour refuser de délivrer à M. A... E..., ressortissant marocain, le titre de séjour que celui-ci sollicitait afin de pouvoir exercer une activité salariée en France.
6. Toutefois, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. En l'espèce, la décision attaquée trouve son fondement légal dans les stipulations de l'article 3 de l'accord franco-marocain et le pouvoir général de régularisation du préfet pour examiner la demande d'admission au séjour en qualité de salarié de M. A... E.... Cette substitution de base légale n'a en outre pas pour effet de priver l'intéressé d'une garantie et l'administration disposait du même pouvoir d'appréciation. Par suite, ce fondement légal peut être substitué au fondement erroné retenu par la préfète.
7. A l'appui de sa demande de délivrance de titre de temporaire séjour " salarié ", M. A... E... a produit un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein en qualité d'échafaudeur. Il soutient bénéficier d'une carte de résidence de longue durée et se prévaut du bénéfice des dispositions de l'article L. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, il ne dispose pas de la détention d'une carte de résidence de longue durée-CE mais d'un titre de séjour délivré par les autorités espagnoles et portant la mention " permiso de residencia 17/11/14 valido hasta 17/11/19 " et ne peut utilement soutenir que la préfète de la Somme a méconnu les dispositions de de l'article L. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. M. A... E... a été embauché, en juillet 2017, par la société AG Batiment, sur un emploi d 'échafaudeur, sans en avoir ni la qualification, ni l'expérience puisque sa formation ne remontait qu'au 20 et 21 novembre 2017, aussi ne peut-il se prévaloir de la durée et des conditions dans lesquelles il a vécu et travaillé en France depuis de nombreuses années. Dès lors, en refusant d'accorder l'autorisation de travail demandée par M. A... E... en vue d'occuper un emploi d'échafaudeur, la préfète n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation de sa situation.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
9. L'arrêté du 13 février 2019 attaqué vise les textes dont il fait application, notamment les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables à l'intéressé. Par ailleurs, il indique les éléments déterminants de la situation de M. A... E... qui ont conduit la préfète de la Somme à refuser la délivrance d'un titre de séjour. L'arrêté précité comporte ainsi les circonstances de fait et de droit qui en constitue le fondement et qui ont permis à M. A... E... d'en discuter utilement. Si M. A... E... soutient bénéficier du statut de résident de longue durée en Espagne, l'arrêté en litige ne comportant en outre aucune motivation portant sur un élément de fait relatif à une éventuelle menace qu'il constituerait pour l'ordre public ou la sécurité publique, le titre de séjour en sa possession n'est toutefois pas une carte de résident de longue durée, telle que prévue par la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée. Le moyen tiré du défaut de motivation manque en fait et doit dès lors être écarté.
10.M. A... E... se prévaut également de son insertion dans la société française depuis son arrivée en France en 2012, dès lors notamment qu'il a été embauché en contrats à durée indéterminée depuis le mois de novembre 2015. Toutefois il résulte de ce qui a été dit au point 6 que M. A... E... s'est vu refuser la délivrance d'une autorisation de travail par décision du préfet de la Somme du 24 juillet 2018. M. A... E..., est en outre célibataire et sans enfant, et il n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, ni en Espagne, où la carte de résident décrite ci-dessus lui a été délivrée. Dans ces conditions, comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, et eu égard à ses conditions de séjour en France, la décision susvisée n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation et ne porte pas au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise, et ne méconnaît pas plus l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur le pays de destination :
11. Aux termes du dernier alinéa du I de l'article L. 511-1 : " L'obligation de quitter le territoire français fixe le pays à destination duquel l'étranger est renvoyé en cas d'exécution d'office ". Aux termes de l'article L. 513-2 du même code : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité (...) ; / 2° Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; / 3° Ou à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible (...) ". Aux termes de l'article L. 531-1 du même code : " L'étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne (...) peut être remis aux autorités compétentes de l'État membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 531-2 du même code : " L'article L. 531-1 est applicable à (...) / (...) l'étranger détenteur d'un titre de résident de longue durée-UE en cours de validité accordé par un autre État membre qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français. (...) ".
12. Il ressort des pièces du dossier que si M. A... E... est titulaire d'une carte de résident délivrée par les autorités espagnoles, valide jusqu'au 19 novembre 2019, cette carte ne comporte pas l'inscription prévue par la directive du 25 novembre 2003. M. A... E... ne bénéficiant pas d'une carte de résident de longue durée délivrée par un autre État-membre de l'Union européenne, il ne saurait sérieusement soutenir que la préfète de la Somme ne pouvait faire application que des seules dispositions de l'article L.531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que la préfète de la Somme a fixé à tort le pays d'origine de M. A... E... comme pays de renvoi doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 2 juillet 2019, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande. Les conclusions qu'il présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., au ministre de l'intérieur et à Me B... D....
Copie en sera adressée pour information à la préfète de la Somme.
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N° 20DA00005