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22/04/2020 | FRANCE | N°19DA02561

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 22 avril 2020, 19DA02561


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 septembre 2019 par lequel le préfet du Nord l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 1908339 du 19 novembre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté.
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Par une requête, enregistrée le 24 novembre 2019, le préfet du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 septembre 2019 par lequel le préfet du Nord l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 1908339 du 19 novembre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 novembre 2019, le préfet du Nord demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter l'ensemble des moyens et conclusions présentés par Mme A... devant le tribunal administratif de Lille.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite du rejet de sa demande de réexamen de sa demande d'asile par décision du 17 avril 2019 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le préfet du Nord a, par un arrêté du 26 août 2019, prononcé à l'encontre de Mme A..., ressortissante nigériane née le 3 février 1998, une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de sa mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Le préfet du Nord relève appel du jugement du 19 novembre 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté.

Sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire :

2. Il est constant que Mme A... a été maintenue, dans le cadre de cette instance, au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 2 avril 2020. Par suite, ses conclusions tendant à son admission provisoire à l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet.

Sur le bien-fondé du motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Lille :

3. Aux termes de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, dans le délai prévu à l'article L. 731-2 contre une décision de rejet de l'office, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. (...) ". Aux termes du III de l'article R. 723-19 du même code : " La date de notification de la décision de l'office et, le cas échéant, de la Cour nationale du droit d'asile qui figure dans le système d'information de l'office et est communiquée au préfet compétent et au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration au moyen de traitements informatiques fait foi jusqu'à preuve du contraire. ". Enfin, aux termes de l'article R. 213-6 du même code : " L'étranger est informé, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, du caractère positif ou négatif de la décision prise par le ministre chargé de l'immigration en application de l'article L. 213-8-1. ".

4. Pour annuler l'arrêté en litige, le premier juge s'est fondé sur la circonstance que le préfet du Nord ne justifiait pas, en l'absence de preuve de la notification régulière de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 17 avril 2019, que le refus de la reconnaissance de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire à Mme A... était définitif et que, par suite, le préfet ne pouvait obliger l'intéressée à quitter le territoire français en application du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ressort toutefois des pièces versées au dossier en appel par le préfet du Nord, et en particulier de l'extrait de la base de données " Telemofpra ", relative à l'état des procédures des demandes d'asile, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire en application des dispositions précitées de l'article R. 723-19 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 17 avril 2019 rejetant comme irrecevable la demande de réexamen de la demande d'asile de Mme A... lui a été notifiée le 10 mai 2019. Par suite, le préfet du Nord, qui justifie de la notification régulière de la décision de l'OFPRA à Mme A..., antérieurement à la date de la décision portant obligation de quitter le territoire français, est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté en litige.

5. Il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens développés par Mme A... devant la juridiction administrative.

Sur les autres moyens soulevés par Mme A... :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

6. L'arrêté en litige vise notamment les dispositions du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le préfet du Nord fait notamment état de la circonstance que la demande d'asile de Mme A..., ainsi que la demande de réexamen de cette demande, ont été rejetées par décisions de l'OFPRA du 29 juin 2018 et 17 avril 2019. Il cite également les éléments pertinents relatifs à la situation personnelle de Mme A... dont il avait connaissance à la date de l'arrêté attaqué, notamment la circonstance qu'elle est célibataire et sans charge de famille et qu'elle n'est pas dépourvue d'attaches dans son pays d'origine. Dès lors l'arrêté attaqué comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

7. Ainsi qu'il a été dit au point 4, le préfet du Nord justifie, par la production d'un extrait de la base de données " Telemofpra ", que la décision de rejet de la demande d'asile de Mme A... lui a été notifiée le 10 mai 2019. En se bornant à soutenir, en outre, que la décision prise par l'OFPRA ne lui a pas été notifiée dans une langue qu'elle comprend, Mme A..., en ne produisant aucune pièce au soutien de cet argument, ne met pas la cour en mesure d'apprécier si la formalité prévue par les dispositions de l'article R. 213-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, citées au point 3, a été respectée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 743-1, L. 511-1 et R. 213-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.

8. Si la requérante soutient que la décision en litige est entachée d'un défaut d'examen dès lors que le préfet n'a pas tenu compte des risques qu'elle encourait en cas de retour dans son pays d'origine, elle ne produit au soutien de cet argument aucune pièce de nature à établir la réalité des risques allégués. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que la demande d'asile de Mme A... a été rejetée par l'OFPRA. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation personnelle de Mme A... doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que la décision en litige est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle doit être écarté.

En ce qui concerne le refus d'octroyer un délai de départ volontaire :

9. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / II. - Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification pour rejoindre le pays dont il possède la nationalité (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / (...) f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce (...) qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente (...) ".

10. La décision de refus d'octroi d'un délai de départ volontaire vise les dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et indique que Mme A... ne présente pas de garantie de représentations suffisantes, n'étant ni en mesure de présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité ni de justifier d'une résidence effective et permanente. Dès lors, cette décision, qui comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde, est suffisamment motivée. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision portant refus de départ volontaire doit être écarté.

11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 8 que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français doit être écarté.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

12. Mme A... soulève un moyen de légalité externe à l'encontre de la décision fixant le pays de destination, tiré du défaut de motivation de cette décision. Cependant, l'intéressée n'a soulevé devant le tribunal administratif de Lille que des moyens tirés de l'illégalité interne de la décision attaquée. Par suite elle ne peut, pour la première fois en appel, invoquer des moyens de légalité externe, qui ne sont pas d'ordre public, ceux-ci étant fondés sur une cause juridique distincte et constituant une demande nouvelle, irrecevable en appel.

13. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 8 que Mme A... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision fixant le pays de destination.

14. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

15. Mme A... fait état dans ses écritures d'un danger pour elle en cas de retour dans son pays d'origine dès lors qu'elle y serait victime de traite des êtres humains en raison d'un risque de réintégration au sein d'un réseau de prostitution. Toutefois, la requérante se borne à verser au dossier, au soutien de cet argument, une attestation peu circonstanciée d'une association, et à se prévaloir des données publiques disponibles relatives à la situation des femmes nigérianes intégrées dans de tels réseaux. Dès lors, la requérante n'assortit ses allégations d'aucun élément précis permettant de déterminer si elle est exposée de manière suffisamment personnelle, certaine et actuelle, à des menaces quant à sa vie ou sa liberté ou si elle risque d'être exposée à des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors même au demeurant que sa demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que le préfet du Nord aurait méconnu les stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

16. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 14, les moyens tirés du défaut d'examen et de l'erreur manifeste d'appréciation dont seraient entachées la décision en litige doivent être écartées.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an :

17. Mme A... soulève un moyen de légalité externe à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français, tiré du défaut de motivation de cette décision. Cependant, l'intéressée n'a soulevé devant le tribunal administratif de Lille que des moyens tirés de l'illégalité interne de la décision attaquée. Par suite elle ne peut, pour la première fois en appel, invoquer des moyens de légalité externe, qui ne sont pas d'ordre public, ceux-ci étant fondés sur une cause juridique distincte et constituant une demande nouvelle, irrecevable en appel.

18. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 8 que Mme A... n'est pas fondée à exciper, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision d'interdiction de retour sur le territoire français, de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

19. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger (...). / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...).

20. Dès lors qu'elle n'assortit ses allégations d'aucun élément précis permettant de déterminer si elle est exposée de manière suffisamment personnelle, certaine et actuelle, à des menaces quant à sa vie ou sa liberté dans son pays d'origine, Mme A... n'est ni fondée à soutenir que la décision attaquée est entachée d'une erreur dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle, ni que cette décision méconnaît les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

21. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 26 septembre 2019. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par Mme A... à fin d'injonction et au titre des frais du procès doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle présentée par Mme A....

Article 2 : Le jugement du 19 novembre 2019 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 3 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Lille et ses conclusions présentées devant la cour administrative d'appel de Douai sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme D... A... et à Me B... C....

Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.

N°19DA02561 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA02561
Date de la décision : 22/04/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Paul Louis Albertini
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : CLAISSE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-04-22;19da02561 ?
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