La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/12/2019 | FRANCE | N°17DA02437

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 10 décembre 2019, 17DA02437


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un jugement n° 1302535 du 11 juin 2015, le tribunal administratif de Rouen, avant dire droit sur la demande de M. B... et Mme A... C..., agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de leur fils mineur F..., de Mmes E... et D... C... ainsi que de M. G... C..., a déclaré le groupe hospitalier du Havre responsable à hauteur de 25 % des conséquences dommageables résultant de la prise en charge de Mme E... C... au mois de janvier 1997, a ordonné le versement d'une provision d'un mo

ntant total de 29 000 euros et a prescrit une expertise, aux fins, notam...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un jugement n° 1302535 du 11 juin 2015, le tribunal administratif de Rouen, avant dire droit sur la demande de M. B... et Mme A... C..., agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de leur fils mineur F..., de Mmes E... et D... C... ainsi que de M. G... C..., a déclaré le groupe hospitalier du Havre responsable à hauteur de 25 % des conséquences dommageables résultant de la prise en charge de Mme E... C... au mois de janvier 1997, a ordonné le versement d'une provision d'un montant total de 29 000 euros et a prescrit une expertise, aux fins, notamment, de procéder à son examen médical, de déterminer la date de consolidation de son état de santé et d'évaluer ses préjudices en lien avec les manquements relevés dans ses motifs.

Par un jugement n° 1302535 du 19 octobre 2017, le tribunal administratif de Rouen :

- a condamné le groupe hospitalier du Havre à verser aux consorts C... une somme globale de 115 046,25 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2013, à condition que les provisions allouées par le jugement avant dire droit du 11 juin 2015 aient été versées ;

- a condamné le groupe hospitalier du Havre à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne une somme de 177 263,12 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 juin 2017, ainsi que la fraction de 25 % des dépenses correspondant aux frais de séjour de Mme E... C... au sein de l'institut " Le Petit Tremblay " au titre de la période du 17 juillet 2016 au 19 octobre 2017, sur présentation de justificatifs, et à lui rembourser 25 % des frais médicaux, pharmaceutiques, de transport et d'appareillage nécessités par l'état de santé de Mme E... C..., au fur et à mesure de leur exposition ;

- a condamné le groupe hospitalier du Havre à verser, à compter de la date du jugement litigieux et par trimestre échu, une indemnité au titre des frais liés au handicap égale à 25 % de la somme, d'une part, d'un montant représentatif de la prise en charge à domicile de Mme E... C... déterminé sur la base du taux quotidien de 44 euros à la même date et revalorisé par la suite par application des coefficients prévus par l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, retenu au prorata du nombre de nuits passées au domicile de la famille au cours du trimestre et, d'autre part, des sommes que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne établira, sur justificatifs, avoir exposées à raison de ce poste de préjudice au titre de la même période trimestrielle, l'indemnité ainsi calculée devant être versée à Mme E... C..., représentée par sa tutrice, tant qu'elle sera inférieure au montant représentatif de la prise en charge à domicile pour le trimestre en cause, et, lorsqu'elle dépassera ce montant, celui-ci devant être versé à l'intéressée et le solde à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne ;

- a condamné le groupe hospitalier du Havre à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

- a laissé à la charge définitive de l'Etat les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 3 732,80 euros par ordonnance du 11 avril 2017.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 décembre 2017 et 8 juillet 2019, les consorts C..., représentés par la Selarl Coubris, Courtois et associés, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement litigieux et de condamner le groupe hospitalier du Havre à leur verser la somme totale de 1 320 632,50 euros ;

2°) de mettre à la charge du groupe hospitalier du Havre une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Ils soutiennent que le montant cumulé de leurs préjudices s'élève à la somme de 1 320 632,50 euros.

Par trois mémoires, enregistrés les 16 avril et 12 novembre 2018 et 12 février 2019, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, représentée par Me J... I..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

- de condamner le groupe hospitalier du Havre à lui verser une somme de 127 156,02 euros au titre des dépenses de santé actuelles, une somme de 768,45 euros au titre des dépenses de santé futures réelles, 25 % des dépenses de santé à venir, une somme de 49 374,44 euros au titre des dépenses liées au handicap actuelles, 25 % des dépenses liées au handicap à venir, et 12,5 % des frais de séjour de Mme E... C... au sein de l'institut " Le Petit Tremblay " pour la période du 17 juillet 2016 au 19 octobre 2017 ;

- de condamner le groupe hospitalier du Havre à lui verser une somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

- de mettre à la charge du groupe hospitalier du Havre une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public,

- et les observations de Me H..., représentant le groupe hospitalier du Havre.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement avant dire droit du 11 juin 2015, le tribunal administratif de Rouen, après avoir jugé la responsabilité du groupe hospitalier du Havre engagée à hauteur de 25 % des conséquences dommageables à l'égard des consorts C... et de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne en raison des fautes commises à l'occasion de la prise en charge de Mme E... C... les 13 et 30 janvier 1997, a diligenté une expertise aux fins de préciser les préjudices subis. Les consorts C... et la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne interjettent appel du jugement du 19 octobre 2017 du tribunal administratif de Rouen en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs prétentions indemnitaires. Par la voie de l'appel incident, le groupe hospitalier du Havre qui ne conteste plus en appel sa responsabilité, ni l'ampleur de la perte de chance perdue par Mme E... C..., demande une réduction des sommes mises à sa charge.

Sur les préjudices patrimoniaux de Mme E... C... :

En ce qui concerne les dépenses de santé actuelles :

2. Les consorts C... ne présentent aucune demande au titre des frais d'hospitalisation intégralement supportés par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne dont les débours réclamés s'élèvent, pour ce poste de préjudice, à la somme totale de 308 784,28 euros. Si le groupe hospitalier du Havre soutient qu'il convient de soustraire à cette somme 61 837,72 euros correspondant à des frais d'hospitalisation du 30 janvier au 19 mai 1997 dont il n'est pas établi qu'ils seraient en lien direct avec les fautes commises les 13 et 30 janvier 1997, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que cette hospitalisation, rendue nécessaire par l'état de santé particulièrement dégradé de la jeune E..., résulte directement des fautes commises par le groupe hospitalier du Havre, à savoir un retard de diagnostic de l'hémosidérose dont elle est atteinte et un retard de transfusion sanguine ayant entraîné une perte de chance d'échapper à un arrêt cardiaque et aux séquelles neurologiques qui en ont résulté. La circonstance qu'au cours de cette hospitalisation, des examens ayant eu exclusivement pour objet une exploration pulmonaire aient été réalisés n'est pas de nature à regarder cette hospitalisation, prise dans son ensemble, comme étant dépourvue de lien direct avec les fautes commises. En revanche, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne n'établit pas le lien entre les séquelles neurologiques résultant de l'arrêt cardiaque du 30 janvier 1997 et le séjour hospitalier du 2 au 5 décembre 2008 au centre hospitalier de Garches dont il est constant qu'il n'a eu pour autre objet que le traitement de l'hémosidérose pulmonaire de E.... Il y a par suite lieu de soustraire à la somme demandée par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne au titre des frais d'hospitalisation la somme de 2 511 euros correspondant à ce séjour hospitalier. Il y a également lieu d'en soustraire la somme de 5 406,82 euros correspondant à une hospitalisation du 5 au 9 janvier 2009 au centre hospitalier de Garches, alors que le groupe hospitalier du Havre établit qu'à la même période, E... était hospitalisée au centre hospitalier Necker de Paris pour des examens portant sur l'hémosidérose pulmonaire sans rapport avec les séquelles neurologiques de l'arrêt cardiaque du 30 janvier 1997. Il en ira de même de la somme de 2 761,82 euros demandés au titre d'une hospitalisation du 6 au 9 avril 2010 au centre hospitalier de Garches, alors qu'aux mêmes dates E... était hospitalisée à l'hôpital Necker de Paris. Au total, il y a lieu de porter la somme accordée par le point 3 du jugement attaqué au titre des frais d'hospitalisation de 243 610,24 euros à 298 104,64 euros, soit 74 526,16 euros après application du coefficient de 25 % résultant du jugement du 11 juin 2015.

3. S'agissant des frais supportés par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne au titre de l'hébergement de E... à l'Institut d'éducation motrice (IEM) " Le Petit Tremblay " de Saint-Pierre-du-Perray du 6 janvier 2014 au 30 mai 2018, chiffrés à la somme de 393 807,70 euros, il y a lieu, comme l'ont estimé à juste titre les premiers juges, de les regarder comme consistant, pour moitié, en des dépenses de santé et, pour moitié, en des frais liés au handicap. Si la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne demande, au titre des frais de santé, une somme totale de 197 497,75 euros, elle ne justifie ni du surplus de 1 187,79 euros demandés sur la période du 4 janvier 2016 au 13 juillet 2016, ni des frais exposés de cette date au 30 mai 2018 qu'elle devrait pourtant être en mesure, au jour du présent arrêt, de justifier. Il y a par suite lieu de confirmer la somme de 196 903,85 euros allouée à ce titre par les premiers juges, soit 49 225,96 euros après application du coefficient de 25 %.

4. S'agissant des frais de transport, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne n'établit pas le lien entre la somme de 1 106,65 euros demandée et les séquelles neurologiques de E... en se bornant à soutenir qu'ils seraient " en rapport avec les hospitalisations ", alors, ainsi qu'il a été dit au point 2, que plusieurs séjours hospitaliers ne présentent pas de lien suffisamment direct avec les fautes commises par le groupe hospitalier du Havre les 13 et 30 janvier 1997. Il n'y a, par suite, pas lieu de mettre à la charge du groupe hospitalier du Havre cette somme contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges.

5. En revanche, l'attestation d'imputabilité faisant foi jusqu'à preuve du contraire, et celle-ci ayant été établie sur la base des " seules prestations liées aux séquelles neurologiques, à l'exclusion de la prise en charge de la maladie de base [l'hémosidérose] ", le groupe hospitalier du Havre n'établit pas, en se bornant à soutenir qu'aucun lien n'est établi entre la somme de 1 235,42 euros, à laquelle la caisse primaire de l'Essonne évalue en appel le montant des frais médicaux exposés, et quatre consultations médicales figurant sur l'attestation, que les frais en cause n'auraient pas été exposés pour la prise en charge des séquelles neurologiques de E.... Il y a par suite lieu de mettre à sa charge, au profit de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, ladite somme et de ramener la somme allouée par les premiers juges de 3 208,58 euros à 1 235,42 euros.

En ce qui concerne les dépenses de santé futures :

6. Il résulte de l'instruction que les dépenses de santé futures nécessitées par l'état de Mme E... C... ne peuvent être déterminées avec suffisamment de précision. Il y a lieu par suite, comme l'a jugé à juste titre le tribunal administratif, de condamner le groupe hospitalier du Havre à supporter 25 % des dépenses de santé exposées par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne en lien direct avec la faute commise et, le cas échéant, par Mme E... C..., au fur et à mesure de leurs débours et sur justificatifs, l'indemnité ainsi mise à sa charge devant être attribuée par préférence à la victime, en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

En ce qui concerne les frais liés au handicap actuels :

S'agissant des frais supportés par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne :

7. Si la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne demande, au titre des frais liés au handicap, une somme totale de 197 497,75 euros, il y a lieu, pour les motifs exposés au point 3, de condamner le groupe hospitalier du Havre à lui verser, à ce titre, une somme de 196 903,85 euros, soit 49 225,96 euros après application du coefficient de 25 %.

S'agissant des frais supportés par les consorts C... :

8. D'une part, lorsque le juge administratif indemnise, dans le chef de la victime d'un dommage corporel, la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit, à cette fin, se fonder sur un taux horaire permettant, dans les circonstances de l'espèce, le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat, sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.

9. D'autre part, en vertu des principes qui régissent l'indemnisation par une personne publique des victimes d'un dommage dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire de l'indemnisation allouée à la victime d'un dommage corporel au titre des frais d'assistance par une tierce personne le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. Il en est ainsi alors même que les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage. La déduction n'a toutefois pas lieu d'être lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune.

10. Par deux mesures d'instruction en date des 26 septembre et 28 octobre 2019, la cour a demandé aux consorts C... la production, le cas échéant, des aides perçues destinées à compenser, en tout ou en partie, les frais liés au handicap de Mme E... C.... En réponse à ces mesures d'instruction, les consorts C... se sont bornés à soutenir qu'elle ne percevait plus l'allocation aux adultes handicapés, sans l'établir ni apporter plus de précision. En n'établissant pas, ce qu'il leur appartenait de faire, l'absence de perception de toute aide destinée à couvrir les frais d'assistance par tierce personne, ils ne justifient ainsi à ce titre d'aucun préjudice patrimonial sur la période allant du 27 décembre 1998 au 30 mai 2018. Il y a par suite lieu de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a condamné le groupe hospitalier du Havre à verser, pour les frais de handicap passés, aux consorts C... une somme totale, après application du coefficient de 25 %, de 78 796,25 euros.

11. Depuis le 1er juin 2018, Mme E... C... est hébergée dans un appartement privatif du foyer Léopold Bellan, où elle réside seule. Si l'article 5 du contrat d'hébergement en date du 6 juin 2018 prévoit que restent à sa charge les tâches quotidiennes d'entretien et d'aménagement, les courses et les frais de transport, ce même article 5 stipule que " l'entretien de votre linge, la confection des repas, le rangement et le ménage de votre chambre seront effectués par vos soins avec l'aide, si nécessaire, de l'équipe éducative ". L'article 3 stipule quant à lui que l'équipe pluridisciplinaire vise à " orienter, guider et soutenir la personne dans l'organisation et la gestion de sa vie quotidienne (...), le bien-être et la santé, les activités culturelles, sportives et de loisirs (...) ". Il résulte ainsi des termes mêmes du contrat d'hébergement que l'assistance de Mme E... C... est assurée par l'équipe du foyer. Les consorts C..., qui se bornent à soutenir sans plus de précision que ses besoins d'aide extérieure restent identiques ne sont, par suite, pas fondés à demander une indemnisation au titre des besoins en assistance par une tierce personne entre le 1er juin 2018 et la date de lecture de l'arrêt.

En ce qui concerne les frais liés au handicap futurs :

12. Si Mme E... C... venait à ne plus être hébergée au foyer Léopold Bellan, il lui appartiendrait alors de faire connaître au groupe hospitalier du Havre l'évolution de sa situation et de ses besoins en assistance par une tierce personne. Dans l'hypothèse où de tels besoins viendraient à apparaître, le groupe hospitalier du Havre devrait en assumer 25 % du coût, résultant de la différence entre le montant des besoins et celui des aides éventuellement perçues par Mme E... C... destinées à les couvrir, qu'il verserait à l'intéressée en priorité, en application des principes énoncés à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, et, le cas échéant, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, si elle était amenée à prendre en charge une partie de ce coût. Le point 9 du jugement attaqué doit ainsi être réformé en ce qu'il prévoit la durée et les modalités de calcul des besoins futurs d'assistance par une tierce personne.

En ce qui concerne la perte de revenus :

13. Lorsque la victime se trouve, du fait d'un accident corporel survenu dans son jeune âge, privée de toute possibilité d'exercer un jour une activité professionnelle, la seule circonstance qu'il soit impossible de déterminer le parcours professionnel qu'elle aurait suivi ne fait pas obstacle à ce que soit réparé le préjudice, qui doit être regardé comme présentant un caractère certain, résultant pour elle de la perte des revenus qu'une activité professionnelle lui aurait procuré ainsi que de la pension de retraite consécutive. Il y a lieu de réparer ce préjudice par l'octroi à la victime, à compter de sa majorité et sa vie durant, d'une rente fixée sur la base du salaire médian net mensuel de l'année de sa majorité et revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale. Doivent être déduites de cette rente les sommes éventuellement perçues par la victime au titre de l'allocation aux adultes handicapés.

14. En l'espèce, en l'état de l'instruction, Mme E... C..., qui exerce une activité à caractère professionnel au sein d'un établissement et service d'aide par le travail depuis le 3 septembre 2018, ne peut être regardée comme privée de toute possibilité d'exercer une activité professionnelle ni de percevoir une rémunération. Par suite, elle n'est pas fondée à demander une indemnisation destinée à compenser la perte de revenus qu'une activité professionnelle aurait pu lui procurer.

En ce qui concerne l'incidence professionnelle et scolaire :

15. Il est en revanche établi que sa situation ne lui permettra pas une insertion normale sur le marché du travail ni d'envisager une carrière similaire à celle qui aurait pu être la sienne en l'absence des fautes commises par le groupe hospitalier du Havre. Il y a lieu, compte-tenu du jeune âge de l'intéressée au moment de l'accident, du handicap dont elle demeure atteinte, et du montant de la rémunération qu'elle perçoit pour son activité au sein de l'établissement et service d'aide par le travail (ESAT) " Les ateliers du Moulin ", d'évaluer l'incidence professionnelle du dommage à la somme de 50 000 euros. En application du coefficient de 25 %, il y a par suite lieu de condamner le groupe hospitalier du Havre à lui verser, à ce titre, une somme de 12 500 euros.

16. Il résulte de l'instruction que l'état de santé de Mme E... C... est caractérisé, notamment, depuis son plus jeune âge, par des difficultés d'apprentissage qui ont imposé sa scolarisation au sein d'une classe d'intégration scolaire destinée aux élèves en situation de handicap moteur ainsi qu'aux situations de pluri-handicap. Le préjudice scolaire qui en est résulté peut-être évalué à la somme de 20 000 euros, soit 5 000 euros après application du coefficient de 25 %.

17. Il y a par suite lieu de ramener la somme allouée par les premiers juges de 30 000 à 17 500 euros en indemnisation de ces chefs de préjudice.

Sur les préjudices extrapatrimoniaux de Mme E... C... :

En ce qui concerne le déficit fonctionnel temporaire :

18. Il résulte du rapport d'expertise que le déficit fonctionnel temporaire subi par Mme E... C... en raison de la faute imputable au groupe hospitalier du Havre a été total durant les 130 jours d'hospitalisation nécessaires au traitement de l'hémosidérose pulmonaire et des séquelles neurologiques résultant de l'arrêt cardiaque du 30 janvier 1997, soit du 13 janvier 1997 au 16 janvier 1997, du 30 janvier 1997 au 19 mai 1997, du 30 mai 1997 au 4 juin 1997, du 1er octobre 1997 au 6 octobre 1997, du 20 janvier 1998 au 22 janvier 1998, du 15 décembre 1999 au 18 décembre 1999 et du 11 décembre 2000 au 14 décembre 2000. Entre ces périodes (soit 1 302 jours) et jusqu'au 20 novembre 2008 (soit 2 896 jours), soit au total 4 198 jours (1 302 + 2 896), ce déficit fonctionnel a été estimé par l'expert à 50 %. Du 21 novembre 2008 au 26 novembre 2015, date de la consolidation, soit 2 560 jours, le déficit a été estimé à 25 %. Les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante évaluation du préjudice subi en le fixant à la somme de 42 000 euros, soit 10 500 euros après application du coefficient de 25 %.

En ce qui concerne le pretium doloris :

19. Les premiers juges ont procédé à une juste évaluation du préjudice résultant des souffrances endurées par Mme E... C..., évaluées à 3,5 sur une échelle de 7, en retenant à ce titre une somme de 8 000 euros, justifiée non pas tant par l'intensité que par la durée de ces souffrances, avant application du coefficient de 25 %. Il y a par suite lieu de mettre à la charge du groupe hospitalier du Havre à ce titre une somme de 2 000 euros.

En ce qui concerne le préjudice esthétique temporaire :

20. Caractérisé, selon l'expert, par " une boiterie, une amyotrophie du membre inférieur et des cicatrices secondaires à la poste des cathéters ", il y a lieu d'évaluer le préjudice esthétique temporaire subi par Mme E... C... du 30 janvier 1997 au 26 novembre 2015, soit près de dix-neuf ans, à la somme de 4 000 euros, et par suite de mettre à la charge du groupe hospitalier du Havre, après application du coefficient de 25 %, une somme de 1 000 euros.

En ce qui concerne le déficit fonctionnel permanent :

21. Les consorts C... n'apportent pas les éléments suffisants, en se bornant à se référer de façon abstraite au barème d'évaluation médico-légale de l'association des médecins experts en dommage corporel, pour critiquer utilement le montant de 55 000 euros retenu par les premiers juges pour une victime âgée de presque vingt ans à la date de la consolidation et souffrant d'un déficit fonctionnel permanent évalué par l'expert à 25 %. Il y a par suite lieu de mettre à la charge du groupe hospitalier du Havre à ce titre, après application du coefficient de 25 %, une somme de 13 750 euros.

En ce qui concerne le préjudice esthétique permanent :

22. Fixé à 3 sur une échelle de 7 par l'expert, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de confirmer l'évaluation faite par les premiers juges et d'accorder à Mme E... C... à ce titre une somme de 10 000 euros, soit 2 500 euros après application du coefficient de 25 %.

En ce qui concerne le préjudice d'agrément :

23. L'état de Mme E... C... l'empêchant de s'adonner normalement aux diverses activités de loisirs qu'elle aurait pu pratiquer en l'absence de l'accident subi, il y a lieu de confirmer l'évaluation faite par les premiers juges et de lui accorder à ce titre une somme de 6 000 euros, après application du coefficient de 25 %, une somme de 1 500 euros.

En ce qui concerne le préjudice d'établissement :

24. Il y a lieu de confirmer, par adoption des motifs des premiers juges, la somme de 50 000 euros correspondant au préjudice d'établissement et de condamner le groupe hospitalier du Havre à indemniser Mme E... C..., après application du coefficient de 25 %, à hauteur de 12 500 euros.

25. Il résulte de ce qui précède que la somme de 104 546,25 euros que le groupe hospitalier du Havre a été condamné à verser à Mme E... C... est ramenée à la somme de 61 250 euros, dont il convient de déduire la somme de 20 000 euros allouée à titre provisionnel par le jugement du 11 juin 2015, soit 41 250 euros. Cependant, dès lors qu'en appel le groupe hospitalier du Havre doit être regardé comme demandant que l'indemnité accordée en première instance soit ramenée à la somme de 59 296,61 euros, déduction faite de la somme allouée à titre provisionnel, la cour ne saurait, sans aller au-delà des conclusions dont elle est saisie, condamner le groupe hospitalier du Havre à verser à Mme E... C... une somme inférieure à ce montant.

26. Mme E... C... est également fondée à demander que le groupe hospitalier du Havre lui rembourse 25 % des frais de santé futurs et ceux liés au handicap futurs selon les modalités définies aux points 6 et 12 du présent arrêt.

27. La somme de 177 263,12 euros que le groupe hospitalier du Havre a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne est ramenée à 174 213,50 euros. La caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne est également fondée à demander que le groupe hospitalier du Havre lui rembourse 25 % des frais de santé futurs et ceux liés au handicap futurs selon les modalités définies aux points 6 et 12 du présent arrêt. Enfin, dès lors que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne tendant à la majoration des sommes qui lui sont dues au titre des prestations versées sont rejetées par le présent arrêt, la caisse ne peut prétendre à une augmentation du montant de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

En ce qui concerne les préjudices subis par les proches :

28. Les premiers juges ont pu à bon droit apprécier le préjudice d'affection des deux parents de Mme E... C... en l'évaluant à la somme de 25 000 euros chacun, et celui de ses trois frères et soeur à 10 000 euros chacun, soit, après application du coefficient de 25 %, à 6 250 euros et 2 500 euros respectivement. Par suite, les époux C... ne sont pas fondés à demander à ce que leur préjudice moral soit évalué à la somme de 40 000 euros chacun et à ce que le préjudice des frères et soeur de E... soit évalué à la somme de 30 000 euros chacun.

29. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 104 546,25 euros que le groupe hospitalier du Havre a été condamné par le jugement attaqué à verser à Mme E... C..., représentée par sa tutrice, est ramenée à la somme de 59 296,61 euros, déduction faite de la provision de 20 000 euros allouée par l'article 5 du jugement avant dire droit du 11 juin 2015.

Article 2 : La somme de 177 263,12 euros que le groupe hospitalier du Havre a été condamné par le jugement attaqué à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne est ramenée à la somme de 174 213,50 euros.

Article 3 : Le groupe hospitalier du Havre prendra à sa charge, à hauteur de 25 %, les frais de santé et liés au handicap futurs supportés par Mme E... C... et, le cas échéant, par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, dans les conditions déterminées aux points 6 et 12 du présent arrêt.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 19 octobre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C..., à Mme A... C..., à M. B... C..., à M. F... C..., à Mme D... C..., à M. G... C..., au groupe hospitalier du Havre et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne.

2

N°17DA02437


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé.


Références :

Publications
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Président : Mme Courault
Rapporteur ?: M. Julien Sorin
Rapporteur public ?: Mme Leguin
Avocat(s) : SELARL COUBRIS COURTOIS et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Date de la décision : 10/12/2019
Date de l'import : 16/12/2019

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 17DA02437
Numéro NOR : CETATEXT000039498350 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-12-10;17da02437 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award