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19/09/2019 | FRANCE | N°19DA00535

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4e chambre - formation à 3, 19 septembre 2019, 19DA00535


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 27 août 2018 par lequel le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans, d'autre part, de faire injonction, sous astreinte, au préfet de p

olice de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer, dans ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 27 août 2018 par lequel le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans, d'autre part, de faire injonction, sous astreinte, au préfet de police de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour.

Par un jugement n° 1803412 du 1er octobre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er mars 2019, M. B..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 27 août 2018 du préfet de police ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer l'autorisation provisoire de séjour prévue à l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant nigérian né le 21 juillet 1990, a déclaré être entré clandestinement sur le territoire français le 26 septembre 2016. Il a présenté, le 8 décembre 2016, une demande d'asile, qui a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides en date du 31 août 2017, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 30 mars 2018. Ayant sollicité vainement un nouvel examen de sa situation au regard du droit d'asile, laquelle demande a été rejetée pour irrecevabilité par le directeur général de l'Office le 14 juin 2018, M. B... a été interpellé par les services de police du 18ème arrondissement de Paris, le 26 août 2018, pour des faits de violences volontaires et dégradations de biens privés. Le préfet de police, ayant alors constaté l'irrégularité des conditions de séjour en France de l'intéressé, a pris à son endroit, le 27 août 2018, un arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire français, refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, fixant le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français avant l'expiration d'un délai de trois ans. M. B... relève appel du jugement du 1er octobre 2018 par lequel le magistrat désigné par le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande, tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cet arrêté et à ce qu'il soit fait injonction, sous astreinte, au préfet de police de procéder à un nouvel examen de sa situation et, dans cette attente, de l'admettre provisoirement au séjour.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

2. Aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'un mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Néanmoins, ce droit doit être entendu comme relevant des droits de la défense et figurant au nombre des principes généraux du droit de l'Union européenne. L'autorité préfectorale, lorsqu'elle fait obligation à un étranger de quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont issues de la transposition en droit interne de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, doit être regardée comme mettant en oeuvre le droit de l'Union européenne. Il lui appartient, dès lors, d'en appliquer les principes généraux. Il appartient, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause. Dans la présente affaire, cette décision a été prise après que la qualité de réfugié a été définitivement refusée à M. B.... Or, lors de sa demande d'asile, l'étranger est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit reconnue la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire et à produire tous les éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. De plus, il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal d'audition signé par M. B..., que celui-ci a été entendu par les services de police le 27 août 2018 par le truchement d'un interprète en langue anglaise, qu'il a déclaré comprendre, en particulier en ce qui concerne son âge, sa nationalité, sa situation de famille, les raisons et conditions de son entrée en France ainsi que ses conditions d'hébergement. M. B... a eu, ainsi, la possibilité, au cours de cet entretien, de faire connaître des observations utiles et pertinentes de nature à influer la décision à prendre par l'autorité préfectorale. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé disposait d'informations tenant à sa situation personnelle qu'il aurait été empêché de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise la mesure qu'il conteste et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à l'édiction de cette décision. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait le principe général du droit d'être entendu, qui est au nombre des principes fondamentaux du droit de l'Union européenne, doit être écarté.

3. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) / 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; / (...) ". Il ressort des pièces du dossier et, notamment, de deux certificats médicaux établis le 18 juin et 24 septembre 2018 par le docteur G., praticien hospitalier exerçant au centre médico-psychologique de Rouen, que M. B... est suivi régulièrement au sein de cet établissement à raison d'un état de santé rendant nécessaire un suivi et un traitement réguliers et dont l'absence pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Toutefois, ni ces documents, qui ne comportent aucune précision sur la nature de la pathologie dont souffre l'intéressé et les conséquences susceptibles de résulter d'une absence de prise en charge médicale, ni les ordonnances médicales versées au dossier ne suffisaient à créer un doute suffisamment sérieux pour justifier une saisine du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Ces seuls documents ne peuvent davantage suffire à établir que M. B... aurait pu être, à la date à laquelle l'arrêté en litige a été pris, au nombre des ressortissants étrangers qui, visés par les dispositions précitées du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne peuvent légalement faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Il suit de là que, quels que soient les traitements susceptibles d'être prodigués au Nigeria aux personnes souffrant de troubles psychiatriques, le moyen tiré de ce que, pour prendre une telle mesure d'éloignement à l'égard de M. B..., le préfet de police aurait méconnu ces dispositions doit être écarté.

Sur le refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :

4. Si, en vertu du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dispose en principe d'un délai de trente jours pour y satisfaire, ce même II dispose toutefois que l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que cet étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français, lorsque notamment, selon le 1° de ce II, son comportement constitue une menace pour l'ordre public ou, selon le 3° de ce même II, il existe un risque que l'intéressé se soustraie à cette obligation. Les a) et f) du 3° de ce paragraphe II précisent que ce risque est regardé comme établi, sauf circonstances particulières, respectivement si le ressortissant étranger concerné, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour et si ce ressortissant ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment pour ne pas justifier être en possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité et pour n'avoir pas déclaré de lieu de résidence effective et permanente.

5. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté contesté que cet arrêté comporte, avec une précision suffisante, l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet de police s'est fondé pour refuser d'accorder un délai de départ volontaire à M. B... et révèlent, alors même que ces motifs ne reprennent pas l'ensemble des éléments caractérisant sa situation personnelle, que son cas a fait l'objet d'un examen particulier et suffisamment attentif. Ces motifs précisent notamment, contrairement à ce qui est soutenu par le requérant, les éléments sur lesquels le préfet de police s'est fondé pour estimer que la présence de l'intéressé constituait une menace pour l'ordre public, alors d'ailleurs que l'autorité préfectorale n'a pas fondé exclusivement le refus contesté sur ce motif. Par suite, cette décision est suffisamment motivée au regard de l'exigence posée en la matière par le II de l'article L. 511-1 du code des relations entre le public et l'administration.

Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :

6. En vertu du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français dont elle détermine la durée, en tenant compte de la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Ce même III précise que des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui, comme il a été dit au point 1, a déclaré être entré clandestinement sur le territoire français le 26 septembre 2016, ne justifiait, à la date à laquelle l'arrêté contesté a été pris, que d'une ancienneté de séjour de moins de deux années, effectuée en majeure partie dans des conditions irrégulières. Il ne fait état d'aucune attache familiale ni d'aucune relation particulière sur le territoire français, tandis que, célibataire et sans enfant, il n'allègue pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. Il ne se prévaut pas davantage de liens avec la France, dont il ne parle d'ailleurs pas la langue et ne fait état d'aucune perspective d'insertion professionnelle dans ce pays. Enfin, alors qu'il est constant que M. B... a été interpellé à la suite d'une rixe à laquelle il a pris une part active dans un restaurant parisien et qu'il lui a été reproché des faits de dégradation au préjudice de cet établissement, de même que des faits de violences volontaires, la présence de l'intéressé a pu, à bon droit, être regardée comme représentant une menace pour l'ordre public, alors même que ces faits n'ont donné lieu qu'à un rappel à la loi. Enfin, eu égard à ce qui a été dit au point 3, l'état de santé de M. B..., tel que celui-ci en justifie par les pièces qu'il verse au dossier, ne pouvait suffire à constituer des considérations humanitaires de nature à justifier que l'autorité préfectorale renonce à prononcer une interdiction de retour, ni même qu'elle en modère la durée d'effet. Dès lors, en retenant qu'il y avait lieu, au regard de l'ensemble de ces considérations, de lui interdire tout retour sur le territoire français durant trois ans, laquelle durée n'apparaît pas excessive dans les circonstances de l'espèce, le préfet de police n'a ni méconnu les dispositions susmentionnées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui, au demeurant, donnent à l'intéressé la faculté de solliciter l'abrogation de cette mesure de police administrative dès son retour dans son pays d'origine, ni commis d'erreur d'appréciation.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 1er octobre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles qu'il présente sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me D....

Copie en sera transmise au préfet de police.

N°19DA00535 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 19DA00535
Date de la décision : 19/09/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : ELATRASSI-DIOME

Origine de la décision
Date de l'import : 26/09/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-09-19;19da00535 ?
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