La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/07/2019 | FRANCE | N°18DA02305

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 18 juillet 2019, 18DA02305


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 2 avril 2018 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 1802845 du 25 septembre 2018, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 novem

bre 2018, M. C... D..., représenté par Me A... B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 2 avril 2018 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 1802845 du 25 septembre 2018, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 novembre 2018, M. C... D..., représenté par Me A... B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Jimmy Robbe, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant ivoirien né le 1er janvier 2000, déclare être entré irrégulièrement en France le 2 août 2016. Il a été interpellé par les services de police judiciaire le 2 avril 2018. Par un arrêté du même jour, le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé, à son encontre, une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. D... relève appel du jugement du 25 septembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les moyens communs à plusieurs décisions :

2. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte attaqué peut être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

Sur les autres moyens dirigés contre la décision d'obligation de quitter le territoire :

3. Cette décision comprend l'énoncé des considérations de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde. Par suite, et alors que le préfet du Nord n'était pas tenu de faire état de l'ensemble des éléments de fait relatifs à la situation de M. D..., et notamment la circonstance qu'il est entré en France en qualité de mineur isolé, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit être écarté.

4. Il ne résulte ni de la motivation de l'arrêté en litige, ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet du Nord, pour obliger M. D... à quitter le territoire français, n'aurait pas procédé à un examen sérieux et complet de la situation de celui-ci.

5. Aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations, applicables uniquement aux relations entre les institutions européennes et les administrés, est inopérant à l'encontre de la décision obligeant M. D... à quitter le territoire français. Cependant, le droit d'être entendu préalablement à toute décision qui affecte sensiblement et défavorablement les intérêts de son destinataire constitue l'une des composantes du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne.

6. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 5 novembre 2014, Mukarubega, C166/13 et CJUE, 11 décembre 2014, Boudjilida, C249/13), le droit à être entendu se définit comme celui de toute personne à faire connaître, de manière utile et effective, ses observations écrites ou orales au cours d'une procédure administrative, avant l'adoption de toute décision susceptible de lui faire grief. Ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation, pour l'administration, d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales. Une atteinte à ce droit n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle la décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision, ce qu'il lui revient, le cas échéant, d'établir devant la juridiction saisie.

7. Il ressort des pièces du dossier, et ainsi que l'ont déjà relevé à bon droit les premiers juges, que lors de son audition par les services de police le 2 avril 2018, préalablement à l'édiction de l'arrêté attaqué, M. D... a été interrogé sur l'irrégularité de son séjour, informé de l'éventualité que le préfet du Nord prenne une décision d'éloignement à son encontre, et invité à présenter ses observations. Dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que son droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par les principes généraux du droit de l'Union européenne, a été méconnu. En outre, M. D... n'établit, ni même d'ailleurs n'allègue, qu'il aurait été privé de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision. Le moyen tiré de la méconnaissance du droit à être entendu doit par suite être écarté.

8. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / (...) / ".

9. Il ressort des pièces du dossier que, pour obliger M. D... à quitter le territoire français, le préfet du Nord s'est fondé sur la circonstance que l'intéressé ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, conformément à l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, et alors même qu'il serait entré en France en qualité de mineur isolé, M. D..., qui n'est pas titulaire d'un titre de séjour en cours de validité et qui d'ailleurs n'avait pas antérieurement à l'arrêté en litige sollicité la délivrance d'un titre de séjour, entrait dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de ces dispositions et de l'erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation au regard de ces dispositions doivent être écartés.

10. Indépendamment de l'énumération donnée par l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une telle mesure à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse lui être fait légalement obligation de quitter le territoire français.

11. M. D... n'est pas fondé à invoquer à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-15 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ces dernières ne prévoyant pas que les ressortissants étrangers qui entrent dans leurs prévisions se voient délivrer de plein droit un titre de séjour.

12. M. D..., qui est entré en France à l'âge de seize ans, est célibataire et sans charge de famille. S'il soutient, sans être contredit par le préfet, que ses parents sont décédés tous deux en 2012, et si, à la date de l'arrêté en litige, il est inscrit, au titre de l'année scolaire 2017/2018, en 1ère littéraire au lycée privée Sainte-Claire de Lille, il n'établit pas pour autant être isolé dans son pays d'origine ni avoir tissé des liens d'une particulière intensité sur le territoire français. Par suite, compte tenu des conditions du séjour en France de M. D... et de sa durée, le préfet du Nord n'a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision a été prise. Il n'a, par suite, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes raisons, le préfet du Nord n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M. D....

13. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 12 que M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision l'obligeant à quitter le territoire français est illégale.

Sur la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :

14. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) II. (...) / l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / (...) / f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues par les articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 (...). ".

15. Il ressort des pièces du dossier que M. D..., entré irrégulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Cependant, il verse au dossier la copie de son passeport en cours de validité ainsi qu'une attestation établie le 8 février 2018 par le directeur du pôle hébergement de l'association baptiste pour l'entraide et la jeunesse (ABEJ) justifiant qu'il est hébergé, depuis le 13 février 2017, au centre d'hébergement et de réinsertion sociale de cette association, situé 9/533 avenue Denis Cordonnier à Lille. M. D... a d'ailleurs indiqué résider à cette adresse lors de son audition par les services de police du 2 avril 2018. À la date de l'arrêté en litige, M. D... est, ainsi qu'il a été dit, inscrit, au titre de l'année scolaire 2017/2018, en 1ère littéraire au lycée privée Sainte-Claire de Lille, et amené, à ce titre, à se présenter aux épreuves anticipées de français du baccalauréat. Ces circonstances particulières justifiaient que soit écarté le risque de fuite de la part de M. D.... Ainsi, le préfet du Nord, en estimant qu'il existait un risque que M. D... se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet, a fait une inexacte application des dispositions du II de l'article L. 511-1 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

16. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que la décision lui refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire est entachée d'illégalité, et à en demander l'annulation.

Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant un an :

17. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour (...) ".

18. Il résulte de ce qui a été dit au point 16 qu'il y a lieu d'annuler par voie de conséquence la décision interdisant à M. D... le retour sur le territoire français pour une durée d'un an, qui n'aurait pu légalement être prise en l'absence de décision refusant de lui octroyer un délai de départ volontaire.

Sur décision fixant le pays de destination :

19. Il résulte de ce qui a été dit au point 13 que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français doit être écarté.

20. L'arrêté en litige, en tant qu'il fixe le pays de renvoi de M. D..., expose les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde. Il est, dès lors, suffisamment motivé.

21. M. D... se borne à soutenir qu'il est " susceptible de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine ", sans donner aucune précision sur la nature des risques auxquels il serait exposé. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

22. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 19 à 21 que M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination est illégale.

23. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions lui refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire et lui interdisant le retour sur le territoire français.

Sur les frais du procès :

24. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme demandée sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 25 septembre 2018 du tribunal administratif de Lille est annulé uniquement en tant qu'il a rejeté la demande de M. D... tendant à l'annulation des décisions du 2 avril 2018 portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français.

Article 2 : Les décisions du 2 avril 2018 refusant à M. D... l'octroi d'un délai de départ volontaire et lui interdisant le retour sur le territoire français sont annulées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., au ministre de l'intérieur et à Me A... B....

N°18DA02305 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18DA02305
Date de la décision : 18/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. Richard
Rapporteur ?: M. Jimmy Robbe
Rapporteur public ?: Mme Fort-Besnard
Avocat(s) : DEWAELE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-07-18;18da02305 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award