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09/07/2019 | FRANCE | N°18DA02535-19DA00157-19DA00158-19DA00183-19DA00836

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3 (bis), 09 juillet 2019, 18DA02535-19DA00157-19DA00158-19DA00183-19DA00836


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté de communes Eure-Madrie-Seine (CCEMS) a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2017 par lequel le préfet de l'Eure a autorisé la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon à se retirer de ladite communauté de communes à compter du 1er janvier 2018.

La communauté de communes Eure-Madrie-Seine a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2017 par lequel le préfet de l'Eure a autorisé la commune de Saint-Aubin-sur-Gail

lon à adhérer à la communauté d'agglomération Seine-Normandie-Agglomération (CASNA)...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté de communes Eure-Madrie-Seine (CCEMS) a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2017 par lequel le préfet de l'Eure a autorisé la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon à se retirer de ladite communauté de communes à compter du 1er janvier 2018.

La communauté de communes Eure-Madrie-Seine a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2017 par lequel le préfet de l'Eure a autorisé la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon à adhérer à la communauté d'agglomération Seine-Normandie-Agglomération (CASNA).

La communauté d'agglomération Seine-Eure (CASE) a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler les arrêtés du 8 septembre 2017 par lesquels le préfet de l'Eure a autorisé la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon à se retirer de la CCEMS et à adhérer à la CASNA.

La communauté d'agglomération Seine-Eure a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de l'Eure a refusé de prendre un arrêté fixant le périmètre du futur établissement public intercommunal qu'elle entendait constituer avec la CCEMS.

La communauté de communes Eure-Madrie-Seine a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de l'Eure a refusé de prendre un arrêté fixant le périmètre du futur établissement public intercommunal qu'elle entendait constituer avec la CASE.

La communauté de communes Eure-Madrie-Seine a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 20 septembre 2017 par laquelle le préfet de l'Eure a refusé de prendre un arrêté fixant le périmètre du futur établissement public intercommunal qu'elle entendait constituer avec la CASE.

Par un jugement n° 1702875, 1702840, 1702878, 1702870, 1702908, 1702915, du 16 octobre 2018, le tribunal administratif de Rouen a annulé les arrêtés du 8 septembre 2017 par lesquels le préfet de l'Eure a autorisé le retrait de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon de la CCEMS et son adhésion à la CASNA, a annulé la décision implicite par laquelle le préfet de l'Eure a refusé de prendre un arrêté fixant le périmètre du futur établissement public intercommunal résultant de la fusion de la CCEMS et de la CASE, a enjoint au préfet de l'Eure de prendre un arrêté fixant ce périmètre dans un délai de trente jours à compter de la notification du jugement et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et des mémoires en réplique, enregistrés les 13 décembre 2018, 28 mai et 20 juin 2019 sous le n° 18DA02535, la communauté d'agglomération Seine Normandie Agglomération et la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon, représentées par le cabinet Richer et associés, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes de première instance de la CCEMS et de la CASE tendant à l'annulation des arrêtés du préfet de l'Eure du 8 septembre 2017 ;

3°) de mettre à la charge de la CCEMS une somme totale de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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II. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 janvier et 13 juin 2019 sous le n° 19DA00157, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 16 octobre 2018.

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III. Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 janvier, 14 mars et 29 avril 2019 sous le n° 19DA00158, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales demande à la cour d'ordonner le sursis à l'exécution des articles 4 et 5 du jugement du tribunal administratif de Rouen du 16 octobre 2018.

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IV. Par une requête et des mémoires enregistrés, les 18 janvier, 14 mars et 29 avril 2019 sous le n° 19DA00183, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales demande à la cour d'ordonner le sursis à l'exécution des articles 4 et 5 du jugement du tribunal administratif de Rouen du 16 octobre 2018.

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V. Par une requête, enregistrée le 9 avril 2019 sous le n° 19DA00836, la communauté d'agglomération Seine Normandie Agglomération et la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon, représentées par le cabinet Richer et associés, demandent à la cour :

1°) d'ordonner le sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Rouen du 16 octobre 2018 ;

2°) de mettre à la charge de la CCEMS une somme totale de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public,

- et les observations de Me D...F..., représentant la communauté d'agglomération Seine Normandie Agglomération et la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon, de Me A...E..., représentant la communauté de communes Eure-Madrie-Seine et de Me C...B..., représentant la communauté d'agglomération Seine-Eure.

Une note en délibéré présentée pour la communauté d'agglomération Seine Normandie Agglomération et la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon a été enregistrée le 27 juin 2019.

Une note en délibéré présentée pour la communauté de communes Eure-Madrie-Seine a été enregistrée le 1er juillet 2019.

Une note en délibéré présentée pour la communauté d'agglomération Seine-Eure a été enregistrée le 2 juillet 2019.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon (1 800 habitants), dans l'Eure, est membre originaire de la communauté de communes Eure-Madrie-Seine (CCEMS), créée le 1er décembre 2002 et regroupant 29 001 habitants. Elle a souhaité rejoindre la communauté d'agglomération Seine Normandie Agglomération (CASNA) et a formulé une demande en ce sens le 19 juin 2017 au préfet de l'Eure sur le fondement de la procédure dérogatoire de l'article L. 5214-26 du code général des collectivités territoriales. Ce dernier a également été saisi le 4 juillet 2017 par la CCEMS et le 31 août 2017 par la communauté d'agglomération Seine-Eure (CASE), projetant de fusionner, d'une demande tendant à édicter un arrêté portant projet de périmètre du futur établissement public de coopération intercommunale (EPCI), sur le fondement de l'article L. 5211-41-3 du code général des collectivités territoriales. Par deux arrêtés du 8 septembre 2017, le préfet de l'Eure a autorisé le retrait de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon de la CCEMS et son adhésion à la CASNA et, par une décision implicite née du silence gardé sur la demande de la CCESM et de la CASE, refusé de fixer un projet de périmètre de l'EPCI qu'elles entendaient former, motif exclusivement pris de la nécessité de présenter un nouveau périmètre à la suite du retrait de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon. Par un jugement du 16 octobre 2018, le tribunal administratif de Rouen a annulé les arrêtés du 8 septembre 2017 et la décision implicite du préfet de l'Eure refusant de fixer un projet de périmètre du futur EPCI formé par la CCESM et la CASE. Par une requête enregistrée sous le n° 18DA02535, la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon et la CASNA demandent l'annulation de ce jugement et le rejet des conclusions de première instance dirigées contre les arrêtés du 8 septembre 2017. La ministre de la cohésion des territoires et de relations avec les collectivités territoriales est intervenue au soutien de ces conclusions et a, par ailleurs, interjeté appel du même jugement par une requête enregistrée sous le n° 19DA00157. La ministre, d'une part, et la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon et la CASNA, d'autre part, ont également demandé, par trois requêtes enregistrées sous les n° 19DA00158, 19DA00183 et 19DA00836, le sursis à l'exécution du jugement litigieux. Les différents appels, au fond et tendant au sursis à l'exécution du jugement attaqué, sont relatifs à une même affaire, soulèvent les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la recevabilité de l'intervention de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales au soutien de la requête n° 18DA02535 :

2. La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales est partie à l'instance d'appel et auteur d'un appel enregistré sous le n° 19DA00157. Elle n'est par suite pas recevable à intervenir au soutien de la requête d'appel présentée par la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon et la CASNA.

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions d'appel de la ministre de la cohésion des territoires et de relations avec les collectivités territoriales et des conclusions présentées par la CASE sur les requêtes n° 18DA02535 et 19DA00157 :

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 5210-1 du code général des collectivités territoriales : " Le progrès de la coopération intercommunale se fonde sur la libre volonté des communes d'élaborer des projets communs de développement au sein de périmètres de solidarité ". Aux termes de l'article L. 5210-1-1 du même code : " (...) III. - Le schéma (départemental de coopération intercommunale) prend en compte les orientations suivantes : (...) 2° La cohérence spatiale des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre au regard notamment du périmètre des unités urbaines au sens de l'Institut national de la statistique et des études économiques, des bassins de vie et des schémas de cohérence territoriale (...) ". Aux termes de l'article L. 5214-1 du même code : " La communauté de communes est un établissement public de coopération intercommunale regroupant plusieurs communes d'un seul tenant et sans enclave. / Elle a pour objet d'associer des communes au sein d'un espace de solidarité, en vue de l'élaboration d'un projet commun de développement et d'aménagement de l'espace (...) ". Aux termes de l'article L. 5214-26 du même code : " Par dérogation à l'article L. 5211-19, une commune peut être autorisée, par le représentant de l'Etat dans le département après avis de la commission départementale de la coopération intercommunale réunie dans la formation prévue au second alinéa de l'article L. 5211-45, à se retirer d'une communauté de communes pour adhérer à un autre établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont le conseil communautaire a accepté la demande d'adhésion. L'avis de la commission départementale de la coopération intercommunale est réputé négatif s'il n'a pas été rendu à l'issue d'un délai de deux mois. Ce retrait s'effectue dans les conditions fixées par l'article L. 5211-25-1. Il vaut réduction du périmètre des syndicats mixtes dont la communauté de communes est membre dans les conditions fixées au troisième alinéa de l'article L. 5211-19 ". Ces dispositions subordonnent la possibilité de retrait qu'elles ouvrent au respect d'un certain nombre de conditions qui s'imposent aux communautés de communes. Lorsque ces conditions sont satisfaites, elles laissent au préfet un large pouvoir d'appréciation pour autoriser ou non un projet de retrait, le juge administratif se bornant, dans le cadre du contrôle qu'il exerce sur les décisions préfectorales prises en application de ces dispositions, à censurer l'erreur manifeste dont serait entachée cette appréciation.

4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient la CCEMS, le retrait de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon n'aura pas pour effet de porter atteinte à la continuité territoriale de la communauté de communes, qui demeurera d'un seul tenant et sans enclave. La circonstance que les limites de la commune ne coïncident qu'à hauteur de 10 % avec celles de la CASNA est, par ailleurs, sans incidence, l'adhésion de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon à la CASNA n'ayant pas plus pour effet de créer une enclave ou de rompre la continuité territoriale de cette communauté d'agglomération.

5. La CCEMS soutient que ces arrêtés méconnaissent le projet commun fondé sur l'existence d'un espace de solidarités dont relève pleinement la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon, qui appartient notamment aux bassins économique et de vie formé avec les communes de Gaillon, Aubevoye et Sainte-Barbe-sur-Gaillon, ces deux dernières ayant rejoint la commune du Vieux-Villez pour former, à compter du 1er janvier 2016, la commune nouvelle du Val d'Hazey.

6. Il ressort toutefois des pièces du dossier, en premier lieu, que la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon, située à l'extrême Sud de la CCEMS, est séparée des centres-bourgs des communes de Gaillon et de Val d'Hazey par des champs et ne forme pas avec elles une unité territoriale dont la préservation de la cohérence géographique et sociale imposerait manifestement son maintien au sein de la CCEMS.

7. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient la CCEMS, le préfet n'est pas tenu, dans l'appréciation qu'il porte sur l'existence et la consistance des bassins de vie, par l'appréciation portée, sur ces mêmes aspects, par l'Institut national de la statistique et des études économiques. Si l'intimée soutient que la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon relève du bassin de vie formé par les communes citées au point 5 et dont la commune de Gaillon constitue le pôle principal, il ressort d'une étude réalisée par la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon dans le cadre du projet litigieux, seul document produit aux fins d'apprécier l'existence et la consistance des bassins de vie en cause et dont les résultats sont invoqués par l'ensemble des parties au présent litige et non contestés, que si la commune relève du bassin de vie de la commune de Gaillon s'agissant des activités quotidiennes, 78 % de ses habitants se rendent, pour exercer leur activité professionnelle, à Vernon ou plus loin vers Paris, 63 % accomplissent leurs courses conséquentes à Vernon, un tiers s'y rendent pour leurs activités sportives, 57 % pour leurs activités ludiques, et 87 % souhaitent un développement des transports en commun vers la commune de Vernon plutôt que vers celle de Gaillon.

8. En troisième lieu, d'une part, si la CCEMS soutient qu'elle a procédé à des investissements économiques importants sur le territoire de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon s'élevant au total à la somme de dix millions d'euros depuis 2002, notamment par la création de cinq zones d'activités économiques, il ressort des pièces du dossier que le dernier investissement d'un montant significatif (2,29 millions d'euros) a eu lieu en 2007 et que la CCEMS reconnaît qu'une partie de ces investissements ont été amortis. En outre, il est constant que les ressources financières issues des zones d'activités de Saint-Aubin-sur-Gaillon ne représentent que 5,48 % des ressources de la CCEMS et qu'au total, depuis 2004, le bilan financier des investissements de la CCEMS pour ces zones est déficitaire à hauteur de 2,59 millions d'euros. D'autre part, si le retrait de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon de la CCEMS a entraîné une baisse des recettes de fonctionnement pour l'année 2018, qui passent de 21,959 millions à 19,517 millions, soit 11 %, cette baisse est demeurée modeste. Si ce retrait entraîne une dégradation du ratio de désendettement de la CCEMS, le montant de sa dette, lui, diminue, permettant ainsi d'envisager, pour l'année 2019, un nouvel emprunt de trois millions d'euros. Il ressort enfin d'une carte de la santé financière des EPCI de l'Eure réalisée par la direction de l'aménagement du territoire au mois d'août 2018, et non contestée, que la CCEMS, demeure, après le départ de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon, dans une situation " très confortable ", avec une note de 75 sur 100, la classant ainsi au second rang du département après la CASE, sa capacité d'autofinancement s'élevant, pour 2017 à 38,43 %, ce qui la classe au 4ème rang des EPCI du département de l'Eure. La CCEMS n'apporte ainsi aucun élément de nature à établir la réalité de difficultés financières liées au retrait de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon, notamment en ce qui concerne la continuité des différents services qu'elle assure au profit des habitants des communes qui la composent.

9. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que si la commission départementale de coopération intercommunale (CDCI), consultée sur le projet de retrait de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon et son adhésion à la CASNA, a rendu, préalablement à l'adoption des arrêtés litigieux, deux avis négatifs, ces avis ont opposé, en formation restreinte, huit à six membres et, en formation plénière, vingt-trois à quinze membres. Par ailleurs, et au surplus, la CDCI a émis un avis favorable à l'arrêté du préfet de l'Eure du 20 août 2018 autorisant à nouveau, à la suite de la suspension des arrêtés litigieux par l'ordonnance du Conseil d'Etat du 4 avril 2018, le retrait de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon de la CCEMS et son adhésion à la CASNA.

10. Enfin, les conséquences du retrait de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon de la CCEMS peuvent également être appréciées à l'aune du projet, formulé préalablement à l'adoption des arrêtés du 8 septembre 2017 litigieux, de fusion de la CCEMS et de la CASE. Il ressort des pièces du dossier que si la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon représente 6,2 % de la population de la CCEMS, elle ne représentera plus que 1,8 % de la population de l'établissement public issu de la fusion de la CCEMS avec la CASE, qui regroupera une population totale de 100 000 habitants et qui sera doté d'un budget de 140 millions d'euros. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le maintien de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon au sein de cette nouvelle structure de coopération intercommunale soit nécessaire à sa cohérence territoriale ou à son équilibre financier.

11. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Eure a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, autoriser la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon à se retirer de la CCEMS et à rejoindre la CASNA. C'est par suite à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ce motif pour annuler les arrêtés du 8 septembre 2017. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la CCEMS devant le tribunal administratif de Rouen.

En ce qui concerne l'exception de non-lieu à statuer invoquée par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales :

12. Si les arrêtés du 8 septembre 2017 ont été abrogés par deux arrêtés du 20 août 2018 du préfet de l'Eure, d'une part, ils ont reçu application entre le 1er janvier 2018, date de leur entrée en vigueur, et le 4 avril 2018, date de l'ordonnance du Conseil d'Etat en prononçant la suspension et, d'autre part, les arrêtés du 20 août 2018 ont eux-mêmes été suspendus par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rouen en date du 21 septembre 2018 devenue définitive. L'abrogation des arrêtés du 8 septembre 2017 n'étant ainsi pas devenue définitive, il y a lieu de statuer sur leur légalité.

En ce qui concerne la recevabilité des recours de première instance :

13. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, d'écarter les fins de non-recevoir soulevées en première instance par le préfet de l'Eure, la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon et la CASNA, et au demeurant non reprises en appel, tirées du défaut d'habilitation de la présidente de la CCEMS pour agir en justice et du défaut d'intérêt à agir de la CCEMS à l'encontre des arrêtés du 8 septembre 2017.

En ce qui concerne la légalité externe des arrêtés du 8 septembre 2017 :

14. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales : " Dans les communes de 3500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal ". Il résulte de ces dispositions, rendues applicables aux conseils communautaires des établissements publics de coopération intercommunale comportant au moins une commune de 3 500 habitants et plus par l'article L. 5211-1 du même code, que le défaut d'envoi avec la convocation de la note explicative de synthèse portant sur chacun des points de l'ordre du jour entache d'irrégularité les délibérations prises, à moins que le maire ou le président de l'établissement public n'ait fait parvenir aux membres du conseil, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d'une information adéquate pour exercer utilement leur mandat.

15. Il ressort des pièces du dossier que les membres du conseil communautaire de la CASNA ont été informés de ce que l'adhésion de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon était inscrite à l'ordre du jour de la réunion du 29 juin 2017 et ont reçu par courriel, en même temps que la convocation, un lien permettant de télécharger les documents afférents à cet ordre du jour sur une plateforme sécurisée. Toutefois, s'il ressort des pièces du dossier que les élus ont été destinataires d'un " rapport de présentation " relatif à l'adhésion de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon, ce rapport, qui ne comportait rien d'autre qu'un rappel de la procédure, ne leur a pas permis de disposer d'une information adéquate pour exercer utilement leur mandat, nonobstant la circonstance, à la supposer établie, de la bonne connaissance du dossier par les conseillers communautaires.

16. En second lieu, aux termes du I de l'article L. 5211-18 du code général des collectivités territoriales : " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 5215-40, le périmètre de l'établissement public de coopération intercommunale peut être ultérieurement étendu, par arrêté du ou des représentants de l'Etat dans le ou les départements concernés, par adjonction de communes nouvelles : 1° Soit à la demande des conseils municipaux des communes nouvelles. La modification est alors subordonnée à l'accord de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale ; 2° Soit sur l'initiative de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale. La modification est alors subordonnée à l'accord du ou des conseils municipaux dont l'admission est envisagée ; 3° Soit sur l'initiative du représentant de l'Etat. La modification est alors subordonnée à l'accord de l'organe délibérant et des conseils municipaux dont l'admission est envisagée. / Dans les trois cas, à compter de la notification de la délibération de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale au maire de chacune des communes membres, le conseil municipal de chaque commune membre dispose d'un délai de trois mois pour se prononcer sur l'admission de la nouvelle commune, dans les conditions de majorité qualifiée requises pour la création de l'établissement public de coopération intercommunale. A défaut de délibération dans ce délai, sa décision est réputée favorable. Les mêmes règles s'appliquent pour les conseils municipaux des communes dont l'admission est envisagée. Dans les cas visés aux 1° et 3°, l'organe délibérant dispose d'un délai de trois mois à compter de la réception de la demande ". Il résulte de ces dispositions, qui sont applicables à l'extension du périmètre d'un établissement public de coopération intercommunale à la suite de l'adhésion d'une commune dans le cadre de l'article L. 5214-26 du même code, que la décision du représentant de l'Etat dans le département ne peut intervenir qu'après qu'ont été recueillis les avis, explicites ou implicites, des conseils municipaux de toutes les communes membres de l'établissement public ainsi que l'accord de l'organe délibérant de l'établissement.

17. Il ressort des pièces du dossier que les arrêtés du préfet du 8 septembre 2017 sont intervenus alors que les communes membres de la CASNA n'avaient pas toutes rendu d'avis explicite et que le délai de trois mois à compter de la notification de la délibération du conseil communautaire de la CASNA sur l'adhésion de Saint-Aubin-sur-Gaillon, au terme duquel naît un avis favorable implicite, n'était pas expiré. La capacité donnée à chaque commune concernée de se prononcer sur l'adhésion constituant une garantie pour la commune, le moyen tiré de ce que le délai de trois mois prévu par l'article L. 5211-18 n'était pas expiré, alors même qu'une majorité qualifiée d'avis favorables aurait déjà été recueillie, est de nature à entraîner l'annulation des décisions attaquées.

18. Il résulte de ce qui précède que la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon et la CASNA ne sont pas fondées à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé les arrêtés du préfet de l'Eure du 8 septembre 2017 et, par voie de conséquence, la décision implicite de rejet par laquelle le préfet de l'Eure a refusé de fixer un projet de périmètre du futur EPCI projeté par la CCEMS et la CASE et dont il ressort des pièces du dossier qu'elle n'est fondée que sur le seul motif tiré du retrait de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon de la CCEMS.

19. Le présent arrêt rejetant les requêtes d'appel formées contre le jugement du tribunal administratif de Rouen du 16 octobre 2018, il n'y a pas lieu de statuer sur les recours présentés par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon et la CASNA, enregistrés sous les n° 19DA00158, 19DA00183 et 19DA00836, tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution dudit jugement.

20. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales dans l'instance n° 18DA02535 n'est pas admise.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les requêtes enregistrées sous les n° 19DA00158, 19DA00183 et 19DA00836 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Rouen du 16 octobre 2018.

Article 3 : Les requêtes présentées par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et par la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon et la CASNA sont rejetées.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, à la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon, à la communauté d'agglomération Seine Normandie Agglomération, à la communauté de communes Eure-Madrie-Seine et à la communauté d'agglomération Seine-Eure.

2

N°18DA02535,19DA00157,19DA00158,19DA00183,19DA00836


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre - formation à 3 (bis)
Numéro d'arrêt : 18DA02535-19DA00157-19DA00158-19DA00183-19DA00836
Date de la décision : 09/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

135-05 Collectivités territoriales. Coopération.


Composition du Tribunal
Président : Mme Courault
Rapporteur ?: M. Julien Sorin
Rapporteur public ?: Mme Leguin
Avocat(s) : DELSOL AVOCATS ; DELSOL AVOCATS ; CABINET PHILIPPE PETIT ET ASSOCIES ; CABINET PHILIPPE PETIT ET ASSOCIES ; CABINET PHILIPPE PETIT ET ASSOCIES ; CABINET RICHER ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-07-09;18da02535.19da00157.19da00158.19da00183.19da00836 ?
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