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09/07/2019 | FRANCE | N°18DA00432

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3 (bis), 09 juillet 2019, 18DA00432


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 16 janvier 2017 par lequel le préfet du Nord a ordonné la perquisition de son domicile.

Par un jugement n° 1702516 du 29 décembre 2017, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 février 2018 et le 22 mars 2019, M. C..., représenté par Me B...D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2

) d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 16 janvier 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 16 janvier 2017 par lequel le préfet du Nord a ordonné la perquisition de son domicile.

Par un jugement n° 1702516 du 29 décembre 2017, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 février 2018 et le 22 mars 2019, M. C..., représenté par Me B...D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 16 janvier 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;

- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur,

- et les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C...interjette appel du jugement du 29 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'ordre de perquisition n° 2017/003 du préfet du Nord du 16 janvier 2017.

Sur la régularité du jugement :

2. Les moyens tirés de ce que les premiers juges auraient entaché leur jugement d'erreurs de droit et d'appréciation relèvent du bien-fondé du jugement et non de sa régularité.

Sur la légalité de l'ordre de perquisition :

3. En application de la loi du 3 avril 1955 modifiée, l'état d'urgence a été déclaré par le décret du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur le territoire métropolitain et en Corse, et à compter du 18 novembre 2015 dans les départements et territoires d'outre-mer, en application du décret du même jour. L'état d'urgence a été prorogé pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015, par l'article 1er de la loi du 20 novembre 2015, puis à nouveau prorogé par des dispositions législatives successives. En dernier lieu, l'article 1er de la loi du 19 décembre 2016 a prorogé l'état d'urgence jusqu'au 15 juillet 2017.

4. Aux termes de l'article 2 de la loi du 20 novembre 2015, l'état d'urgence " emporte, pour sa durée, application de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans sa rédaction résultant du 7° de l'article 4 de la présente loi ". Aux termes du I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, dans sa version modifiée par l'article 5 de la loi du 21 juillet 2016 en vigueur à la date de la décision attaquée : " Le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peut, par une disposition expresse, conférer aux autorités administratives mentionnées à l'article 8 le pouvoir d'ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. / La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence d'un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu'en présence de l'occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins (...) ".

5. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Les décisions qui ordonnent des perquisitions sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 présentent le caractère de décisions administratives individuelles défavorables qui constituent des mesures de police. Comme telles, et ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, elles doivent être motivées en application de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, désormais codifié à l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration.

6. La motivation exigée par ces dispositions doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit ainsi que des motifs de fait faisant apparaître les raisons sérieuses qui ont conduit l'autorité administrative à penser que le lieu visé par la perquisition est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Dès lors que la perquisition est effectuée dans un cadre de police administrative, il n'est pas nécessaire que la motivation de la décision qui l'ordonne fasse état d'indices d'infraction pénale. Le caractère suffisant de la motivation doit être apprécié en tenant compte des conditions d'urgence dans lesquelles la perquisition a été ordonnée, dans les circonstances exceptionnelles ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. Si les dispositions de l'article 4 de la loi du 11 juillet 1979, codifié à l'article L. 211-6 du code des relations entre le public et l'administration, prévoient qu'une absence complète de motivation n'entache pas d'illégalité une décision lorsque l'urgence absolue a empêché qu'elle soit motivée, il appartient au juge administratif d'apprécier au cas par cas, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, si une urgence absolue a fait obstacle à ce que la décision comporte une motivation même succincte.

7. Il ressort des pièces du dossier que l'ordre de perquisition en litige, qui vise la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, les lois des 20 novembre 2015, 19 février, 20 mai, 21 juillet et 19 décembre 2016, qui en prorogent l'application, et les décrets du 14 novembre 2015 relatifs à son application, mentionne que M. C...entretient des liens avec des individus connus pour leur soutien aux thèses djihadistes ou velléitaires pour la Syrie, et avec deux jeunes filles qui sont parties sur zone syrienne, et que son comportement constitue une menace pour l'ordre et la sécurité publics. Il contient, par suite, l'énoncé des éléments de fait et de droit qui en constituent le fondement, et permet à M. C...de les contester utilement. Le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision ne peut, dès lors, qu'être écarté. Compte tenu de cette motivation suffisante, le préfet du Nord n'était, en tout état de cause, pas tenu de faire droit à la demande de communication des motifs de la décision en litige, qui figurent dans cette décision.

8. Il ressort des pièces du dossier que la mention, dans les visas de l'arrêté en litige du 1° de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960, déclaré contraire à la Constitution par la décision n° 2016-567/568 QPC du Conseil constitutionnel du 23 septembre 2016, constitue une simple erreur de plume sans incidence sur la légalité de la décision en litige dès lors que celle-ci à la date à laquelle elle a été prise est fondée sur l'article 11-I de la même loi, dans sa rédaction issue de la loi du 21 juillet 2016. Par suite, le moyen tiré du défaut de base légale de l'ordre de perquisition du préfet du Nord ne peut qu'être écarté.

9. Aucune disposition législative, ni aucun principe ne s'oppose à ce que les faits relatés par les " notes blanches " produites par l'autorité administrative, qui ont été versées aux débats et soumises aux échanges contradictoires, soient susceptibles d'être pris en considération par le juge administratif. Les premiers juges pouvaient donc, sans porter atteinte au droit de M. C...à un procès équitable, prendre en considération les éléments factuels présents dans le document présenté par le préfet du Nord comme une " note blanche " émanant des services de renseignements, et qui lui a été communiqué dans le cadre de la procédure contradictoire. La circonstance que cette note répond aux moyens soulevés dans le mémoire introductif de première instance n'est pas de nature à elle seule à ôter le caractère probant des éléments de fait qui y sont rapportés, et dont M. C...n'établit pas qu'ils seraient postérieurs à la décision en litige et n'auraient, de ce fait, pas pu en constituer le fondement. En outre, si les conditions matérielles d'exécution des perquisitions sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat à l'égard des personnes concernées par les perquisitions, elles sont sans incidence sur la légalité de l'ordre de perquisition, par définition antérieur à son exécution. Par suite, le moyen tiré de ce que le droit à un procès équitable de M. C...aurait été méconnu ne peut qu'être écarté.

10. Il ressort des pièces du dossier que, ainsi qu'il a été dit au point 7, pour prendre l'ordre de perquisition contesté, le préfet du Nord a estimé que le comportement de M.C..., qui entretient des liens avec des individus connus pour leur soutien aux thèses djihadistes ou velléitaires pour la Syrie, et avec deux jeunes filles qui sont parties sur zone syrienne, constitue une menace pour l'ordre et la sécurité publics. Si M. C...conteste que les échanges de messages par le biais des réseaux sociaux avec l'une des deux jeunes filles puisse constituer un " lien ", il ne conteste pas sérieusement entretenir des liens ou être en relation avec des individus soutenant des thèses djihadistes. Il ressort ainsi, notamment, de la " note blanche " produite par le préfet du Nord devant les premiers juges, dont les éléments précis et circonstanciés ne sont pas utilement contredits par M.C..., que ce dernier a été en contact ou a rendu visite à des individus soupçonnés d'association de malfaiteurs terroriste criminelle, dont l'un est proche des auteurs de l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray du 26 juillet 2016. La circonstance que ce document soit postérieur à la décision en litige est sans incidence sur la légalité de celle-ci dès lors qu'il fait référence à des faits antérieurs qui lui ont servi de fondement. Dans ces conditions, à la date à laquelle la mesure de perquisition a été prise, compte tenu des informations susmentionnées dont disposait alors l'autorité administrative, et eu égard au contexte ayant conduit à la mise en oeuvre de l'état d'urgence et à sa prorogation, le préfet du Nord a pu, sans commettre d'erreur de fait ni d'erreur d'appréciation, estimer que le comportement de M. C...constituait une menace pour la sécurité et l'ordre publics justifiant une perquisition. Les moyens tirés de ce que l'ordre de perquisition en litige serait entaché d'erreurs de fait et d'erreur d'appréciation, et serait disproportionné aux buts en vue desquels la décision a été prise doivent, par suite, être écartés.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Ses conclusions présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C...et au ministre de l'intérieur.

Copie sera adressée au préfet du Nord.

2

N°18DA00432


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre - formation à 3 (bis)
Numéro d'arrêt : 18DA00432
Date de la décision : 09/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

49-06-01 Police. Aggravation exceptionnelle des pouvoirs de police. État d'urgence.


Composition du Tribunal
Président : Mme Courault
Rapporteur ?: M. Julien Sorin
Rapporteur public ?: Mme Leguin
Avocat(s) : LEPERS DELEPIERRE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-07-09;18da00432 ?
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