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03/07/2019 | FRANCE | N°19DA00430

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre - formation à 3, 03 juillet 2019, 19DA00430


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A...a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 octobre 2018 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a ordonné son transfert aux autorités espagnoles.

Par un jugement n° 1804456 du 5 février 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 26 octobre 2018.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 21 février 2019, la préfète de Seine-Maritime de

mande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M.A....

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A...a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 octobre 2018 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a ordonné son transfert aux autorités espagnoles.

Par un jugement n° 1804456 du 5 février 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 26 octobre 2018.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 21 février 2019, la préfète de Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M.A....

----------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Michel Richard, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant guinéen, né le 16 avril 1997, a déposé en France une demande d'asile le 25 juillet 2018. La consultation d'Eurodac a fait apparaître l'existence d'une prise d'empreintes en Espagne. Ce pays, consulté par la France, a accepté de le prendre en charge. La préfète de la Seine-Maritime relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 26 octobre 2018 ordonnant le transfert de l'intéressé vers l'Espagne.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Rouen :

2. Aux termes de l'article 4 - Droit à l'information - du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n°603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement ".

3. Il ressort des pièces du dossier que l'entretien individuel dont a bénéficié M. A... le 25 juillet 2018 a été mené en langue française que l'intéressé a déclaré comprendre mais ne pas pouvoir lire. L'agent de la préfecture qui a conduit l'entretien individuel a lu son résumé à l'intéressé. Il ressort également des termes de ce résumé que M. A... a déclaré " avoir compris la procédure engagée à son encontre " et qu'il a été " informé une nouvelle fois oralement de sa mise sous procédure Dublin et que la France va interroger l'Espagne pour savoir si une prise en charge est envisageable ". En outre, il est indiqué, sur le procès-verbal de remise des documents d'information, que " les informations nécessaires à la compréhension du règlement Dublin lui ont été transcrites en français ". M. A..., qui n'allègue pas ne pas parler ou comprendre la langue française, qui est la langue officielle de son pays d'origine, ne contredit pas sérieusement les mentions portées sur les différentes pièces de la procédure ni les indications données sur ces points par la préfète dans ses écritures de première instance et d'appel. Dans ces conditions, l'intéressé n'a pas été privé de la garantie instituée par les dispositions de l'article 4 du règlement précité. Par suite, la préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a retenu ce motif pour annuler sa décision du 26 octobre 2018 ordonnant le transfert de M. A... aux autorités espagnoles.

4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... à l'encontre de l'arrêté attaqué devant la juridiction administrative.

Sur les autres moyens :

5. La préfète de la Seine-Maritime justifie de la délégation de signature donnée à Mme C...D..., cheffe du bureau du droit d'asile, par un arrêté du 24 octobre 2018 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, à l'effet notamment de signer les décisions en litige. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision contestée manque en fait et doit être écarté.

6. Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ". Il résulte de ces dispositions que la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

7. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

8. Il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée vise le règlement du 26 juin 2013. Elle énonce que les contrôles effectués en application des dispositions de l'article 9 du règlement n° 603/2013 ont révélé que M. A... avait été identifié par les autorités espagnoles comme ayant franchi irrégulièrement la frontière. Elle précise également que ces dernières ont été saisies sur le fondement de l'article 13 du règlement n° 604/2013. Elle indique enfin que l'Espagne a accepté de le prendre en charge et doit être regardée comme responsable de l'examen de sa demande d'asile. Dès lors, cet arrêté énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde avec une précision suffisante pour permettre à M. A... de comprendre les motifs de la décision et, le cas échéant, d'exercer utilement son recours. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation manque en fait et doit être écarté.

9. A la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Dès lors, la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles le préfet transfère un demandeur d'asile aux autorités compétentes de l'Etat qui s'est reconnu responsable de l'examen de sa demande.

10. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur (...) / (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

11. Ainsi qu'il a été dit au point 3, M. A... a bénéficié le 25 juillet 2018 d'un entretien individuel en langue française qu'il a déclaré comprendre. Il ressort des éléments figurant dans le compte-rendu de cet entretien, qui ne sont pas sérieusement contestés par l'intéressé, que les exigences du point 4 de l'article 5 du règlement précité ont bien été respectées.

12. La circonstance que l'identité de l'agent ne soit pas mentionnée sur le compte rendu de l'entretien dont a bénéficié M. A... n'est pas de nature à entacher d'illégalité la procédure. En effet, aucune disposition n'impose que soit portée la mention, sur le compte rendu individuel, de l'identité de l'agent qui a conduit l'entretien et en l'absence d'élément permettant d'en douter, il doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener l'entretien prévu par les dispositions citées au point précédent et pour permettre au préfet de déterminer l'Etat responsable. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du point 5 l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

13. M. A... ne conteste pas sérieusement les indications de la préfète de la Seine-Maritime qui précise lui avoir donné copie du résumé de son entretien individuel après lui en avoir donné lecture. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du point 6 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui n'est assorti d'aucune autre précision, doit donc être écarté comme manquant en fait.

14. M. A... a pu faire valoir ses observations lors de l'entretien individuel du 25 juillet 2018. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier qu'au cours de cet entretien, l'intéressé a été informé qu'il disposait d'un délai de huit jours pour fournir tout document qu'il jugerait utile d'ajouter à son dossier. L'arrêté attaqué décidant de son transfert aux autorités responsables de sa demande n'a été pris que le 26 octobre 2018, laissant à l'intéressé la possibilité de présenter utilement des observations. Le moyen tiré du vice de procédure sur ce point doit donc être écarté.

15. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 est dépourvu des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

16. Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

17. M. A... est célibataire et sans enfant à charge en France où il ne démontre pas avoir d'attache particulière. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait transmis aux services préfectoraux des documents décrivant une situation médicale de nature à faire obstacle à son transfert vers l'Espagne. Il n'établit pas davantage l'impossibilité de ce transfert par la production d'une unique ordonnance datée du 16 novembre 2018 prescrivant une IRM de l'épaule gauche. Ainsi, l'intéressé ne justifie pas qu'il serait exposé à des risques personnels constitutifs d'une atteinte grave au droit d'asile en cas de transfert en Espagne. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir que la préfète de la Seine-Maritime aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

18. Le moyen tiré de ce que les services de la préfecture auraient retardé l'exécution de la décision de transfert ne peut être utilement soulevé à l'encontre de la légalité de cette décision.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 26 octobre 2018.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 5 février 2019 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Rouen est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....

Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.

N°19DA00430 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 19DA00430
Date de la décision : 03/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335 Étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. Boulanger
Rapporteur ?: M. Michel Richard
Rapporteur public ?: Mme Fort-Besnard

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-07-03;19da00430 ?
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