Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B...a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 mai 2018 par lequel le préfet de la Somme a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 1802303 du 16 novembre 2018, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cet arrêté.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 décembre 2018, le préfet de la Somme demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de Mme B....
--------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Christian Boulanger, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. La requérante se présentant sous le nom de Mme B..., ressortissante ivoirienne, déclare être née le 21 mai 1999 et être entrée en France en août 2014. Le juge des enfants du tribunal de grande instance d'Amiens a ordonné son placement auprès du service de l'aide sociale à l'enfance jusqu'à sa majorité par un jugement du 1er octobre 2014. L'intéressée a ensuite bénéficié d'un contrat d'accueil jeune majeur jusqu'au 30 mai 2018. Le préfet de la Somme relève appel du jugement du 16 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a annulé son arrêté du 28 mai 2018 refusant à la requérante un titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif d'Amiens :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) / 2° bis A l'étranger dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3, qui a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance et sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 311-7 n'est pas exigée / (...) ".
3. D'autre part, selon les dispositions de l'article R. 611-8 du même code : " Est autorisée la création (...) d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé VISABIO (...). / Ce traitement a pour finalité : / de mieux garantir le droit au séjour des personnes en situation régulière et de lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France, en prévenant les fraudes documentaires et les usurpations d'identité / (...) ". Aux termes de l'article R. 611-9 de ce code : " Les données à caractère personnel enregistrées dans le traitement automatisé prévu à l'article R. 611-8 sont : / 1° Les images numérisées de la photographie et des empreintes digitales des dix doigts des demandeurs de visas, collectées par les chancelleries consulaires et les consulats français équipés du dispositif requis. / (...) / 2° Les données énumérées à l'annexe 6-3 communiquées automatiquement par le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé Réseau mondial visas (...) lors de la demande et de la délivrance d'un visa. / (...) ". Aux termes de l'article R. 611-10 du même code : " Les données à caractère personnel mentionnées au 1° de l'article R. 611-9 peuvent également être collectées (...) / : 1° Par les chancelleries consulaires et les consulats des autres Etats membres de l'Union européenne / (...) ". Il résulte de ces dispositions que parmi les données énumérées à l'annexe 6-3 du code, figurent celles relatives à l'état civil, notamment le nom, la date et le lieu de naissance et aux documents de voyage du demandeur de visa ainsi que ses identifiants biométriques.
4. Enfin, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Ces dernières dispositions posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe cependant à l'administration, si elle entend renverser cette présomption, d'apporter la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non-conforme à la réalité des actes en cause. Cette preuve peut être apportée par tous moyens et notamment par les données à caractère personnel enregistrées dans le traitement automatisé dénommé Visabio. En revanche, l'administration française n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre Etat afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet Etat est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.
5. La requérante soutient que le passeport biométrique mentionnant une naissance le 21 mai 1999, dont elle s'est prévalue auprès de l'administration, est authentique. Cependant, il ressort des pièces versées aux débats par le préfet que la consultation du logiciel Visabio a révélé que l'intéressée était connue sous l'identité de Bi Andrea Boti et qu'un visa lui avait été délivré par les autorités consulaires italiennes au vu d'un passeport mentionnant une naissance le 8 juillet 1996. L'intimée ne développe aucune contestation argumentée quant au bien-fondé de ces éléments. Dans ces conditions, à supposer même que le passeport détenu par l'intéressée soit authentique, elle n'est pas fondée à s'en prévaloir comme étant son propre passeport. La circonstance qu'elle ait été confiée aux services de l'aide sociale à l'enfance ne suffit pas, par elle-même, à remettre en cause le bien-fondé des éléments d'identité figurant dans le logiciel Visabio, puisque la décision du juge des enfants n'est pas une constatation de faits retenue par le juge judiciaire répressif de nature à s'imposer au juge administratif. Les pièces versées au dossier par l'intimée relatives à sa scolarité en Côte d'Ivoire, dont la valeur probante n'est pas établie, ne sont pas davantage de nature à remettre en cause les éléments d'identité figurant dans le logiciel Visabio. Dès lors, le préfet a pu, à juste titre, considérer que la requérante était majeure à son arrivée en France et lui refuser un titre de séjour notamment sur le fondement du 2° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le préfet de la Somme est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens a retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de cet article pour annuler son arrêté du 28 mai 2018.
6. Il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'intimée devant la juridiction administrative.
Sur le refus de titre de séjour :
7. Par un arrêté du 17 janvier 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs, le préfet de la Somme a donné à M. Jean-Charles Geray, secrétaire général de la préfecture de la Somme, délégation à l'effet de signer tous arrêtés relevant des attributions de l'Etat dans le département, à l'exclusion de certaines mesures limitativement énumérées. Au nombre de ces exceptions ne figurent pas les actes et décisions concernant le séjour et l'éloignement des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué doit être écarté.
8. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Chaque année, un rapport présente au Parlement l'activité réalisée au titre du présent 11° par le service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre ". Aux termes de l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. / (...) ".
9. La partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
10. Il ressort de l'avis du 17 avril 2018 que le préfet a, conformément à l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, saisi le collège de médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) préalablement à sa décision refusant un titre de séjour à l'intimée. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet aurait, en omettant de solliciter l'avis du collège des médecins de l'OFII, entaché sa décision d'un vice de procédure doit être écarté.
11. La requérante ayant demandé son admission exceptionnelle au séjour pour soins, le préfet de la Somme a consulté le collège des médecins de l'OFII qui, par un avis du 17 avril 2018, a estimé que si l'état de santé de l'intéressée nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle pouvait bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine et voyager sans risque vers ce pays. Les pièces médicales versées aux débats par l'intimée, si elles décrivent la pathologie dont elle souffre ainsi que les traitements médicaux dont elle bénéficie sur le territoire français, ne sont pas de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le préfet, au vu notamment de l'avis du collège des médecins de l'OFII. En particulier, l'intéressée n'établit pas qu'il n'existerait pas d'offre de soins appropriés à sa pathologie dans son pays d'origine ni qu'elle ne pourrait effectivement en bénéficier. Dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le refus du préfet de lui délivrer un titre de séjour méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. Il ressort des pièces du dossier que la requérante séjourne en France depuis un peu moins de quatre ans à la date de l'arrêté attaqué. Elle est célibataire, sans enfant à charge. Elle ne justifie pas, en outre, avoir noué des liens sociaux et professionnels d'une particulière intensité en France. Elle n'établit qu'elle serait isolée en cas de retour en Côte d'Ivoire. Dès lors, compte tenu des conditions particulières et de la durée du séjour en France de l'intéressée, le préfet de la Somme n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision a été prise. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
13. Pour les mêmes motifs que ceux évoqués au point 7, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.
14. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 11, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui font obstacle à ce qu'il soit fait obligation de quitter le territoire aux étrangers malades qui ne pourraient pas bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, doit être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Somme est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a annulé son arrêté du 28 mai 2018. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par Mme B... à fin d'injonction et au titre des frais liés au litige doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 16 novembre 2018 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.
Article 2 : La demande de première instance et les conclusions d'appel de Mme B... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme D... B...et à Me A...C....
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Somme.
N°18DA02453 6