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21/03/2019 | FRANCE | N°18DA01662

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 21 mars 2019, 18DA01662


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...A...a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 25 juin 2018 de la préfète de la Seine-Maritime ordonnant son transfert aux autorités autrichiennes.

Par un jugement n° 1802372 du 18 juillet 2018, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 août 2018 et un mémoire enregistré le 12 février 2019, M.A..., représenté

par Me B...C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...A...a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 25 juin 2018 de la préfète de la Seine-Maritime ordonnant son transfert aux autorités autrichiennes.

Par un jugement n° 1802372 du 18 juillet 2018, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 août 2018 et un mémoire enregistré le 12 février 2019, M.A..., représenté par Me B...C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 25 juin 2018 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de sept jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et d'enregistrer sa demande d'asile dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement d'exécution (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M.A..., ressortissant afghan, né le 15 septembre 1996, déclare être entré le 1er janvier 2018 sur le territoire français et y a présenté une demande d'asile. La consultation, par l'autorité administrative, du fichier Eurodac a permis de constater que l'intéressé avait déjà présenté une telle demande en Autriche. La préfète de la Seine-Maritime a adressé aux autorités autrichiennes une demande de reprise en charge de M. A...sur leur territoire. Les autorités autrichiennes ont expressément accepté cette reprise en charge le 2 mars 2018 sur le fondement du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par un arrêté du 25 juin 2018, la préfète de la Seine-Maritime a ordonné la remise de M. A... aux autorités autrichiennes. M. A...relève appel du jugement du 18 juillet 2018 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. Tout d'abord, aux termes de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. / 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".

3. Il résulte de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 que le transfert peut avoir lieu pendant une période de six mois à compter de l'acceptation de la demande de prise en charge, cette période étant susceptible d'être portée à dix-huit mois si l'intéressé " prend la fuite ". Aux termes de l'article 7 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, qui n'a pas été modifié sur ce point par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 : " 1. Le transfert vers l'Etat responsable s'effectue de l'une des manières suivantes : a) à l'initiative du demandeur, une date limite étant fixée ; b) sous la forme d'un départ contrôlé, le demandeur étant accompagné jusqu'à l'embarquement par un agent de l'Etat requérant et le lieu, la date et l'heure de son arrivée étant notifiées à l'Etat responsable dans un délai préalable convenu : c) sous escorte, le demandeur étant accompagné par un agent de l'Etat requérant, ou par le représentant d'un organisme mandaté par l'Etat requérant à cette fin, et remis aux autorités de l'Etat responsable (...) ". Il résulte de ces dispositions que le transfert d'un demandeur d'asile vers un Etat membre qui a accepté sa prise ou sa reprise en charge, sur le fondement du règlement du 26 juin 2013, s'effectue selon l'une des trois modalités définies à l'article 7 cité ci-dessus : à l'initiative du demandeur, sous la forme d'un départ contrôle ou sous escorte.

4. Il résulte aussi clairement des dispositions mentionnées au point précédent que, d'une part, la notion de fuite doit s'entendre comme visant le cas où un ressortissant étranger se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant. D'autre part, dans l'hypothèse où le transfert du demandeur d'asile s'effectue sous la forme d'un départ contrôlé, il appartient, dans tous les cas, à l'Etat responsable de ce transfert d'en assurer effectivement l'organisation matérielle et d'accompagner le demandeur d'asile jusqu'à l'embarquement vers son lieu de destination. Une telle obligation recouvre la prise en charge du titre de transport permettant de rejoindre l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile depuis le territoire français ainsi que, le cas échéant et si nécessaire, celle du pré-acheminement du lieu de résidence du demandeur au lieu d'embarquement. Enfin, dans l'hypothèse où le demandeur d'asile se soustrait intentionnellement à l'exécution de son transfert ainsi organisé, il doit être regardé comme en fuite au sens des dispositions de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 rappelées au point 1.

5. Ensuite, aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 du même code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (jusqu'à l'aéroport Charles-de-Gaulle, dans le but de prendre ensuite le vol Air France) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". En vertu du II du même article, lorsque la décision de transfert est accompagnée d'un placement en rétention administrative ou d'une mesure d'assignation à résidence notifiée simultanément, l'étranger dispose d'un délai de quarante-huit heures pour saisir le président du tribunal administratif d'un recours et ce dernier dispose d'un délai de soixante-douze heures pour statuer. Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ". L'article L. 742-6 du même code prévoit que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".

6. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. A...a été informé, par la remise d'un document récapitulant les modalités de son transfert par le pôle central d'éloignement de la police des frontières, qu'il a refuse de signer le 24 août 2018, de la réservation d'un billet d'avion de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle à destination de Vienne, pris en charge par l'administration. Toutefois, .l'obligation décrite au point 4 recouvre non seulement la prise en charge des titres de transport, mais aussi, le cas échéant et si nécessaire, celle du pré-acheminement du lieu de résidence du demandeur au lieu d'embarquement. L'autorité préfectorale n'a en l'espèce pas prévu d'assurer effectivement l'organisation matérielle et l'accompagnement de M. A...depuis Rouen, où il est domicilié, jusqu'à l'aéroport Charles-de-Gaulle, dans le but de prendre ensuite le vol Air Franceprévue le 27 août 2018 à 9 h 10, à destination de Vienne, en Autriche, et ainsi, seul son titre de transport par avion, à l'exception du pré-acheminement, avait été pris en charge par l'administration. Dès lors, le départ de M. A...doit être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant été laissé à son initiative au sens des dispositions mentionnées ci-dessus, et non comme ayant été organisé sous la forme d'un départ contrôlé ou sous escorte. Par suite et alors même que M. A... n'a pas embarqué à l'aéroport de Roissy-Charles-de Gaulle, et a refusé de signer le document précisant les modalités d'acheminement lorsqu'il s'est présenté à la préfecture de Rouen, ce qui constitue un indice d'un comportement tendant à faire obstacle à la mesure d'éloignement le concernant, ce fait ne saurait suffire à lui seul, et alors qu'il soutient sans être contredit avoir été dans l'impossibilité de bénéficier d'un pré-acheminement et qu'il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que la préfète aurait procédé à une quelconque autre démarche tendant à exécuter la mesure d'éloignement, à établir que M. A...se soit soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à la mesure d'éloignement le concernant. Il ne peut, ainsi, être regardé comme ayant pris la fuite au sens des dispositions mentionnées ci-dessus de l'article 29 du règlement (UE) n° 614/2013. Dès lors, la préfète de la Seine-Maritime disposait d'un délai de six mois, et non de dix-huit mois, en admettant même que les autorités autrichiennes aient été informées par le réseau DubliNet de la prolongation de ce délai dans les conditions prévues par l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003, pour procéder au transfert de M.A.jusqu'à l'aéroport Charles-de-Gaulle, dans le but de prendre ensuite le vol Air France

8. Il ressort aussi des pièces du dossier et de ce que qui a été dit au point 7 que le délai initial de six mois dont disposait la préfète de la Seine-Maritime pour procéder à l'exécution de sa décision de transférer M. A...vers l'Autriche a été interrompu par la saisine du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen. Ce délai a recommencé à courir à compter du jugement rendu par ce dernier, notifié le 19 juillet 2018. Par suite, la décision de transfert est devenue caduque dès lors qu'elle ne pouvait régulièrement faire l'objet d'une décision de prorogation du fait de la fuite de l'intéressé, qui ne s'est pas soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à la mesure d'éloignement le concernant, et qu'elle n'a pas été matériellement exécutée. La France est donc devenue responsable de la demande d'asile de l'intéressé sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n° 604-2013 rappelées au point 3. Le litige ayant perdu son objet, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A...tendant à l'annulation de l'arrêté de transfert du 25 juin 2018.

9. Si, compte tenu de la caducité de la décision de transfert attaquée, la France est l'Etat membre responsable de la demande d'asile présentée par M.A..., le présent arrêt qui se borne à prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de transfert n'implique, par elle-même, aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées par M. A...doivent être rejetées.

10. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement au conseil de M. A... de la somme qu'il demande sur le fondement de cet article.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. A...aux fins d'annulation de l'arrêté de transfert du 25 juin 2018.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A...est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...A..., au ministre de l'intérieur et à Me B...C.jusqu'à l'aéroport Charles-de-Gaulle, dans le but de prendre ensuite le vol Air France

Copie en sera adressée pour information à la préfète de la Seine-Maritime.

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N°18DA01662

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18DA01662
Date de la décision : 21/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Paul Louis Albertini
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SELARL MADELINE-LEPRINCE-MAHIEU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-03-21;18da01662 ?
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