Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 11 avril 2018 de la préfète de la Seine-Maritime ordonnant son transfert aux autorités suédoises.
Par un jugement n° 1801293 du 27 avril 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 juillet 2018, M. A..., représenté par Me C...D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen du 27 avril 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 11 avril 2018 de la préfète de la Seine-Maritime ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime d'enregistrer sa demande d'asile sans délai à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocat dans les conditions prévues par l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B...A..., ressortissant afghan né le 1er janvier 1997, a sollicité auprès de la préfète de la Seine-Maritime le 8 décembre 2017 son admission au séjour au titre de l'asile. Les contrôles effectués par les services de la préfecture ont révélé que l'intéressé avait été identifié en Suède le 25 octobre 2015. La préfète de la Seine-Maritime a, le 27 décembre 2017, saisi les autorités suédoises d'une demande de reprise en charge, en application de l'article 18.1 b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui a fait l'objet d'un accord explicite le 30 décembre 2017. Par un arrêté du 11 avril 2018, la préfète de la Seine-Maritime a ordonné son transfert aux autorités suédoises. M. A...interjette appel du jugement du 27 avril 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la prise en compte par le tribunal de pièces rédigées en langue anglaise :
2. Aucun texte ni aucune règle générale de procédure n'interdisait au magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen, qui n'a ainsi commis aucune irrégularité, de tenir compte, pour apprécier l'existence de l'accord de reprise en charge donné par les autorités suédoises, du document rédigé en langue anglaise produit par la préfète de la Seine-Maritime, alors même que celui-ci n'était accompagné d'aucune traduction certifiée conforme.
Sur la légalité de l'arrêté du 11 avril 2018 de la préfète de la Seine-Maritime :
En ce qui concerne la légalité externe :
S'agissant des conditions dans lesquelles les empreintes digitales de M. A... ont été recueillies et traitées :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Chaque État membre relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque demandeur d'une protection internationale âgé de 14 ans au moins et la transmet au système central dès que possible et au plus tard 72 heures suivant l'introduction de la demande de protection internationale telle que définie à l'article 20, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013, accompagnée des données visées à l'article 11, points b) à g) du présent règlement ". Ni ces dispositions, qui font obligation aux demandeurs d'asile âgés de quatorze ans au moins d'accepter que leurs empreintes digitales soient relevées, ni aucune autre, ne prévoient que l'autorité compétente doive recueillir au préalable le consentement des intéressés. Le moyen tiré de ce que M. A... n'aurait donné son accord à cet effet ni aux autorités suédoises, ni aux autorités françaises est, par suite, inopérant.
4. En second lieu, les dispositions du paragraphe 4 de l'article 25 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 prévoient qu'un expert en empreintes digitales vérifie immédiatement, dans l'Etat membre de réception, le résultat de la comparaison entre les empreintes digitales qu'il a transmises et les données dactyloscopiques enregistrées dans la base de données centrale du système " Eurodac ". Ainsi que l'énonce le point 21 de l'exposé des motifs de ce règlement, ces dispositions ont pour objet de garantir la détermination exacte de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile. Selon le même article 25, cette vérification constitue pour les Etats membres une obligation.
5. Au cas d'espèce, M.A..., qui indique lui-même avoir présenté une demande d'asile en Suède, se borne à soutenir que la comparaison entre ses empreintes digitales relevées en France et celles enregistrées dans la base de données centrale du système " Eurodac " n'aurait pas été réalisée par un expert compétent à cette fin. Il ne conteste toutefois aucune des informations issues de la comparaison de ses empreintes digitales avec les données contenues dans cette base de données, qui sont concordantes avec ses propres déclarations. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 25 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 n'est ainsi pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé et doit, par suite, être écarté.
S'agissant de la procédure de détermination de l'Etat responsable :
6. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable (...) ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite (...) ; / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ".
7. En l'absence d'élément contraire apporté par M. A..., qui en outre ne conteste pas avoir déclaré comprendre et lire le farsi, la préfète de la Seine-Maritime établit, par la production de la première page des brochures communes signée par l'intéressé, lui avoir remis dans une langue qu'il comprend l'information prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
8. En second lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".
9. Il ressort du compte-rendu de l'entretien qui s'est déroulé le 11 décembre 2017 dans les locaux de la préfecture de police de Paris, et il n'est pas sérieusement contesté, que M. A... a été personnellement reçu par un agent de la préfecture de police de Paris lequel doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien. Il ressort du même document que l'entretien s'est déroulé avec l'assistance téléphonique d'un interprète en langue farsi, que l'intéressé avait déclaré comprendre. Si, en outre, M. A... soutient que cet entretien ne se serait pas déroulé dans des conditions garantissant sa confidentialité, il ne donne à cet égard aucune précision. Par suite, le moyen tiré de ce que l'entretien individuel n'a pas été conforme aux dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.
S'agissant de la motivation de l'arrêté contesté :
10. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
11. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
12. L'arrêté en litige vise le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et précise, en particulier, que M. A... a demandé l'asile en Suède le 25 octobre 2015 et que les autorités suédoises, saisies le 27 décembre 2017 sur le fondement du paragraphe 1, b), de l'article 18 de ce règlement, ont accepté de le reprendre en charge le 30 décembre 2017. Il est, ainsi, suffisamment motivé.
En ce qui concerne la légalité interne :
13. En premier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
14. La Suède étant membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de la Seine-Maritime aurait à tort considéré que cette présomption était irréfragable. M. A... ne produit, en outre, aucun élément propre à sa situation particulière, dont il résulterait que son dossier ne serait pas traité par les autorités suédoises dans des conditions répondant à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Enfin, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier qu'en cas de rejet de cette demande, les autorités suédoises procéderaient à son renvoi vers l'Afghanistan sans examiner au préalable s'il y serait soumis à des risques pour sa vie ou sa sécurité ou de subir des traitements inhumains ou dégradants. Par suite, en décidant de prononcer le transfert de M. A...vers la Suède, la préfète de la Seine-Maritime n'a méconnu ni les dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni, enfin, celles de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne.
15. En deuxième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
16. La faculté qu'ont les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un Etat tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet, et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
17. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige que la préfète de la Seine-Maritime, qui a notamment relevé que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. A...ne relevait pas des dérogations prévues par l'article 17 du règlement précité, a effectivement pris en compte la possibilité que la France examine la demande d'asile de l'intéressé alors même qu'elle n'en était pas responsable. La simple production d'un certificat médical établissant une prise en charge depuis plusieurs mois de céphalées et d'insomnies, qui n'a pas été porté à la connaissance de l'autorité préfectorale avant la date de l'arrêté en litige, n'est en outre pas de nature à regarder l'arrêté litigieux comme ayant méconnu les dispositions de l'article 17 précitées.
18. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent, et en l'absence de tout élément sur la situation personnelle de M. A...et notamment en l'absence d'attache familiale en France, qu'il n'est pas fondé à soutenir que la préfète de la Seine-Maritime n'aurait pas procédé à un examen approfondi de sa situation, ni examiné la possibilité de traiter sa demande d'asile, ni, en l'absence d'éléments de nature exceptionnelle ou humanitaire invoqués, qu'elle aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.
19. Il résulte de ce tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées, de même que la demande présentée par son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., au ministre de l'intérieur et à Me C...D....
Copie sera adressée à la préfète de la Seine-Maritime.
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N°18DA01373