Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Artois a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la condamnation solidaire du centre hospitalier régional universitaire de Lille et de l'Etablissement français du sang (EFS) à lui verser la somme de 18 360,03 euros en remboursement des frais qu'elle a exposés du fait de la contamination de M. D... G...par le virus de l'hépatite C.
Par un jugement n° 1510717 du 21 décembre 2016, le tribunal administratif de Lille a fait droit à la demande de la CPAM de l'Artois tendant à la condamnation de l'EFS à lui rembourser ses débours, augmentés des intérêts au taux légal, a mis à la charge de cet établissement l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ainsi que la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la caisse primaire et non compris dans les dépens, et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 février et 1er septembre 2017, l'Etablissement français du sang, représenté par Me H... F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant que le tribunal administratif de Lille a fait droit aux conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie dirigées contre lui ;
2°) de rejeter dans cette mesure la demande de première instance de la caisse primaire d'assurance maladie.
Il soutient que :
- la prescription quadriennale prévue par la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 est acquise ;
- l'origine transfusionnelle de la contamination n'est pas établie ;
- il ne bénéficie pas de la couverture assurantielle à laquelle l'article L. 1221-14 du code de la santé publique subordonne l'action subrogatoire des tiers payeurs.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 juillet 2017 et le 16 avril 2018, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois, représentée par Me A...E..., conclut au rejet de la requête et demande, en outre, à la cour d'actualiser le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion mise à la charge de l'Etablissement français du sang au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et de mettre à sa charge une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par l'Etablissement français du sang ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 2 mai 2018, M.G..., représenté par Me C...B..., demande à la cour :
1°) de condamner l'Etablissement français du sang à lui verser une somme totale de 321 300 euros en indemnisation des préjudices qu'il a subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C et de constater qu'il se réserve la possibilité d'exercer un nouveau recours en cas d'aggravation ultérieure de son préjudice ;
2°) de mettre à la charge de l'Etablissement français du sang les dépens de l'instance ainsi qu'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Charles-Edouard Minet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. G..., né le 26 juillet 1961, a été victime d'un accident de la circulation le 10 septembre 1983. Admis le même jour au centre hospitalier régional universitaire de Lille, il a reçu des produits sanguins en raison d'une hémorragie massive secondaire à un traumatisme cranio-facial, associée à une fracture fémorale. L'Etablissement français du sang interjette appel du jugement du 21 décembre 2016 en tant que le tribunal administratif de Lille, estimant la contamination de M. G... imputable à ces transfusions, l'a condamné à rembourser à la CPAM de l'Artois ses débours. M. G... demande à la cour de condamner l'Etablissement français du sang à l'indemniser de ses préjudices.
Sur l'appel de l'Etablissement français du sang :
2. Il résulte de la combinaison des dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique et du deuxième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale que les caisses de sécurité sociale, lorsqu'elles ont versé des prestations à la victime de préjudices résultant d'une contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang, peuvent exercer un recours subrogatoire contre l'Etablissement français du sang (EFS), en sa qualité de fournisseur des produits à l'origine de la contamination et, par suite, de responsable du dommage, ou en sa qualité de repreneur des obligations des établissements de transfusion sanguine qui ont fourni ces produits.
3. D'une part, selon les termes mêmes de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et modifié par les dispositions du I de l'article 188 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, la prescription décennale qu'il institue s'applique aux actions en responsabilité tendant à la réparation de dommages résultant d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins et dirigées contre des professionnels de santé, des établissements de santé publics ou privés, ainsi qu'à certaines actions engagées contre l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidarité nationale, en particulier celles présentées sur le fondement de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique par les victimes de préjudices résultant d'une contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins. En revanche, le législateur n'a pas entendu rendre la prescription décennale applicable aux actions en responsabilité tendant à la réparation de dommages liés à des actes médicaux mais dirigées contre des personnes autres que des professionnels de santé, des établissements de santé ou l'ONIAM. Il s'ensuit que l'action subrogatoire des caisses de sécurité sociale contre l'EFS, établissement public administratif, en sa qualité de fournisseur des produits à l'origine de la contamination ou de repreneur des obligations des établissements de transfusion sanguine qui ont fourni ces produits, relève de la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics, sous réserve du cas où le fournisseur de produits sanguins dont l'EFS reprend les obligations n'aurait pas eu une personnalité morale distincte de celle d'un établissement de santé.
4. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. / Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public ". L'article 2 de la même loi dispose que " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement ; / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance (...) ". L'article 16 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit, quant à lui : " Toute personne tenue de respecter une date limite ou un délai pour présenter une demande, déposer une déclaration, exécuter un paiement ou produire un document auprès d'une autorité administrative peut satisfaire à cette obligation au plus tard à la date prescrite au moyen d'un envoi postal, le cachet de la poste faisant foi, ou d'un procédé télématique ou informatique homologué permettant de certifier la date d'envoi (...) ".
5. En l'espèce, il résulte des investigations menées par l'expert désigné en référé par le tribunal administratif de Lille, dont les résultats ne sont contredits par aucun élément précis fourni par l'EFS, que les produits sanguins administrés à M. G... provenaient nécessairement du centre de transfusion sanguine de Lille. Il ne résulte pas de l'instruction que celui-ci n'aurait pas eu une personnalité morale distincte de celle du centre hospitalier régional universitaire de Lille ou de tout autre établissement de santé. Par suite, l'action exercée contre l'EFS par la CPAM de l'Artois, subrogée dans les droits de M. G..., est soumise à la prescription quadriennale régie par la loi du 31 décembre 1968.
6. Le délai de quatre ans prévu par les dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 court, en ce qui concerne les dépenses de santé remboursées à la victime par la caisse de sécurité sociale avant la date de consolidation des dommages, au premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les dépenses ont été exposées. Les débours dont la caisse demande le remboursement étant antérieurs à la fin du mois de juin 2010, à laquelle l'expert a fixé la consolidation de l'état de santé de M. G..., le délai de prescription de quatre ans prévu par l'article 1er de cette loi a commencé à courir, au plus tard, le 1er janvier 2011. La demande d'expertise dont M. G... a saisi le tribunal administratif de Lille en août 2008 est, en tout état de cause, sans incidence à cet égard, dès lors que le juge des référés y a répondu par une ordonnance non contestée du 23 février 2009. Si, enfin, la CPAM de l'Artois soutient que le cours de la prescription a été interrompu par une réclamation adressée à l'EFS en date du 3 juin 2014, elle ne justifie pas de l'envoi de ce courrier, que l'établissement conteste avoir reçu, au plus tard le 31 décembre 2014. Il s'ensuit que la créance dont se prévaut la caisse primaire était atteinte par la prescription à cette dernière date. L'EFS est donc fondé à l'opposer à l'action engagée contre lui par une requête de la CPAM de l'Artois du 29 décembre 2015, précédée d'une demande préalable reçue le 4 décembre 2015.
7. Il résulte de tout ce qui précède que l'EFS est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille l'a condamné à verser à la CPAM de l'Artois une somme de 18 360,03 euros en remboursement de ses débours, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2015, et a mis à sa charge une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation de M. G... :
8. M. G..., qui n'a pas sollicité devant les premiers juges l'indemnisation de ses préjudices, n'est pas recevable à demander pour la première fois en appel que ceux-ci soient mis à la charge de l'EFS. Dans ces conditions, ses conclusions à fin d'indemnisation doivent être rejetées.
Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :
9. Dès lors que le présent arrêt rejette la demande de la caisse primaire tendant au remboursement de ses débours, celle-ci n'a pas droit à l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Ces dispositions font obstacle à ce que les frais exposés tant par la CPAM de l'Artois que par M. G... et non compris dans les dépens soient mis à la charge de l'EFS, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1510717 du 21 décembre 2016 du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il a condamné l'Etablissement français du sang à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois la somme de 18 360,03 euros en remboursement de ses débours, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 1995 et a mis à la charge de cet établissement l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ainsi qu'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 2 : Les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois devant le tribunal administratif de Lille et dirigées contre l'Etablissement français du sang sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par les parties devant la cour est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Etablissement français du sang, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois, au centre hospitalier régional universitaire de Lille et à M. D... G....
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N°17DA00343