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29/01/2019 | FRANCE | N°16DA00134

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3, 29 janvier 2019, 16DA00134


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F...D...a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier de Château-Thierry à lui verser la somme totale de 776 865,99 euros en indemnisation, à hauteur de 70 %, du préjudice qu'elle a subi à raison de la perte de chance de ne pas être victime d'un accident vasculaire cérébral.

Par un jugement n° 1301733 du 19 novembre 2015, le tribunal administratif d'Amiens, après avoir admis l'intervention volontaire de l'Union départementale des familles de la Marne en sa

qualité de curateur de MmeD..., a évalué à 50 % l'ampleur de la chance perdue pa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F...D...a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier de Château-Thierry à lui verser la somme totale de 776 865,99 euros en indemnisation, à hauteur de 70 %, du préjudice qu'elle a subi à raison de la perte de chance de ne pas être victime d'un accident vasculaire cérébral.

Par un jugement n° 1301733 du 19 novembre 2015, le tribunal administratif d'Amiens, après avoir admis l'intervention volontaire de l'Union départementale des familles de la Marne en sa qualité de curateur de MmeD..., a évalué à 50 % l'ampleur de la chance perdue par l'intéressée et a condamné le centre hospitalier de Château-Thierry à lui verser la somme de 86 095,32 euros, sous déduction des provisions déjà versées, en indemnisation des préjudices subis, et à la caisse du régime social des indépendants (RSI), la somme de 31 571,86 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 4 septembre 2013, en remboursement de ses débours, ainsi qu'une somme de 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Il a également alloué à Mme D...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 janvier 2016 et le 11 mai 2017, Mme D... et son curateur, l'Union départementale des associations familiales de la Marne, représentées par Me E...B..., demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 19 novembre 2015 en tant qu'il a limité à 86 095,32 euros, sous déduction des provisions déjà versées, la somme que le centre hospitalier de Château-Thierry a été condamné à lui verser ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Château-Thierry à lui verser la somme totale de 1 117 586 euros en indemnisation des préjudices qu'elle a subis ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Château-Thierry une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 27 décembre 2018 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public,

- et les observations de Me E...B..., représentant Mme D...et l'Union départementale des associations familiales de la Marne.

Considérant ce qui suit :

1. MmeD..., alors âgée de trente-deux ans, qui présentait des violentes céphalées, s'est présentée le 5 mai 2009, à la demande de son médecin traitant, au service des urgences du centre hospitalier de Château-Thierry où, après avoir subi un scanner cérébral qui s'est révélé normal, un traitement antalgique lui a été administré après que le simple diagnostic de céphalées ait été posé. L'intéressée s'est rendue de nouveau au service des urgences du centre hospitalier, le 6 mai 2009, en raison de la persistance des céphalées et de l'apparition de vomissements, de sifflements d'oreille, de cervicalgies et de vertiges. Après disparition des vomissements et des vertiges, le même diagnostic est posé et le même traitement lui est administré. Après avoir consulté le 9 mai 2009 un ostéopathe à raison de la persistance de ces céphalées, Mme D...a présenté des signes d'atteinte neurologique qui ont entraîné son hospitalisation en urgence à l'hôpital de Coulommiers où le diagnostic d'un infarctus vertébro-basilaire gauche et protubérantiel droit en rapport avec une dissection de l'artère vertébrale gauche survenue le 5 mai 2009 a été posé. A la suite des séquelles dont elle demeure atteinte, Mme D...a recherché la responsabilité du centre hospitalier de Château-Thierry. Elle relève appel du jugement du 19 novembre 2015 du tribunal administratif d'Amiens en tant qu'après avoir estimé que l'erreur de diagnostic et la circonstance de ne pas avoir maintenu Mme D...hospitalisée en dépit de la persistance de certains de ses symptômes, étaient constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Château-Thierry, il a limité à 86 095,32 euros la somme que cet établissement a été condamné à lui verser. Le centre hospitalier de Château-Thierry demande la réformation du même jugement en tant qu'il a fixé à 86 095,32 euros, sous déduction des provisions déjà versées, la somme qu'il a été condamné à verser à Mme D...et à 31 571,86 euros la somme qu'il a été condamné à verser la caisse du régime social des indépendants (RSI).

Sur la responsabilité :

2. En premier lieu, l'erreur de diagnostic de dissection de l'artère vertébrale et la circonstance de ne pas avoir maintenu Mme D...hospitalisée en dépit de la persistance de certains de ses symptômes à la suite de sa seconde visite aux urgences le 6 mai 2009 sont constitutives de fautes, au demeurant non contestées, de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Château-Thierry à son égard.

3. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport des experts désignés par le tribunal de grande instance de Soissons, établi le 25 janvier 2012, et sans que cela soit également contesté, qu'en dépit des précautions et des recommandations de l'ostéopathe et en l'absence de négligence, de faute ou de maladresse thérapeutique de sa part, que l'accident vasculaire cérébral a eu lieu au décours immédiat des gestes techniques réalisés par celui-ci. Les experts estiment ainsi que le dommage subi par Mme D...trouve son origine à hauteur de 70 % dans les fautes commises par le centre hospitalier de Château-Thierry et à hauteur de 30 % dans les manipulations pratiquées par l'ostéopathe. Ce partage est admis par les parties et n'est contredit par aucune pièce du dossier. La responsabilité du centre hospitalier à l'égard de Mme D... doit ainsi être limitée à 70 % du montant des préjudices subis.

Sur la perte de chance :

4. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu.

5. Si Mme D...fait valoir que les fautes commises par le centre hospitalier de Château-Thierry sont à l'origine d'une perte de chance totale d'éviter le dommage qu'elle a subi, les experts estiment que rien ne permet d'affirmer que le diagnostic, même correctement posé, et le traitement mis en place, auraient permis d'éviter l'accident vasculaire, seul à l'origine des séquelles neurologiques dont Mme D...reste atteinte. Par suite, le retard de diagnostic de dissection vertébrale ne peut être à l'origine d'une perte de chance totale d'éviter le dommage mais seulement d'une perte de chance qui doit, dans les circonstances de l'espèce, et notamment eu égard à la gravité de la faute résultant du renvoi chez elle de Mme D...lors de sa consultation aux urgences du 6 mai 2009 alors que le tableau clinique particulièrement grave aurait dû alerter l'équipe médicale sur les risques liés à une absence d'hospitalisation, être évaluée à 80 % et non à 50 % comme l'ont estimé les premiers juges.

6. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que la part des préjudices dont l'indemnisation doit être mise à la charge du centre hospitalier de Château-Thierry s'établit à 56 %, compte tenu de la part de responsabilité du centre hospitalier de Château-Thierry retenue à hauteur de 70 % et de la perte de chance d'éviter le dommage fixée à 80 %.

Sur l'évaluation des préjudices de Mme D...et les droits de la caisse du régime social des indépendants :

En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :

S'agissant des dépenses de santé :

7. En application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2006 relative au financement de la sécurité sociale, le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et du recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime. Il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ou, le cas échéant, de ce que cette responsabilité n'est engagée que dans la limite d'une perte de chance pour la victime d'obtenir une amélioration ou d'éviter une aggravation de son état. Le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale.

8. Si Mme D...fait valoir qu'elle a exposé des dépenses de santé pour un montant de 702,32 euros, elle ne justifie cependant avoir exposé des dépenses en lien direct avec son accident vasculaire cérébral que pour la location d'un téléviseur lors de son hospitalisation, d'un fauteuil roulant et d'une canne anglaise pour un montant de 235,04 euros. Par ailleurs, la caisse du RSI justifie avoir effectué des dépenses de santé à compter du 6 mai 2009, date du fait générateur des préjudices, d'hospitalisation de Mme D...et de soins pour un montant de 31 911,48 euros en lien direct avec la faute commise par le centre hospitalier de Château-Thierry. Par suite, le montant de l'indemnité à la charge du centre hospitalier de Château-Thierry s'élève à la somme totale de 32 147,42 euros, soit, après application du taux de 56 % retenu au point 6, une somme de 18 002,55 euros. Il y a ainsi lieu d'allouer à Mme D...la somme de 235,04 euros et à la caisse du RSI la somme de 17 767,51 euros au titre de ce chef de préjudice. En outre, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que Mme D... ne nécessite aucun appareillage et de prothèse. Par suite, la caisse n'est pas fondée à demander le remboursement de dépenses de santé futures sur ce fondement.

S'agissant des frais divers :

9. Mme D...justifie de l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre l'accident vasculaire cérébral qu'elle a subi et les frais de transport engagés par le Dr A...C..., médecin conseil, qui l'a assistée lors de l'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de grande instance de Soissons, d'un montant de 2 000 euros. Elle justifie également d'une visite médicale nécessaire à la conservation de son permis de conduire pour un montant de 24,40 euros. Par ailleurs, si Mme D...fait valoir qu'elle a dû exposer une somme de 662 euros pour le placement en internat de son fils au titre de l'année scolaire 2009-2010, il résulte cependant du justificatif des frais allégués produit que ceux-ci sont relatifs à des frais de scolarité et non à des frais de placement en internat. Par suite, elle ne peut prétendre à une indemnisation de ces frais. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu, compte tenu du taux retenu précédemment, d'allouer à Mme D...la somme de 1 133,66 euros.

S'agissant des dépenses d'assistance par une tierce personne :

Quant à la période avant consolidation :

10. Il ressort du rapport d'expertise judiciaire que Mme D...a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne à raison de dix heures par semaine entre le 18 juillet 2009 et le 27 avril 2010, périodes d'hospitalisation exclues, puis d'une heure par jour à compter du 28 avril 2010 jusqu'à la consolidation de son état, fixé au 18 mai 2011. Cette assistance lui a été apportée par ses parents, chez qui elle est retournée habiter, pour les actes de la vie courante et par sa tante pour les démarches relatives à la gestion de son entreprise. Le principe de réparation intégrale du préjudice impose que les frais liés à l'assistance à domicile de la victime par une tierce personne, alors même qu'elle serait assurée par un membre de sa famille, soient évalués à une somme qui ne saurait être inférieure au montant du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) horaire brut, augmenté des cotisations sociales, appliqué à une durée journalière, dans le respect des règles du droit du travail. En se fondant sur un taux horaire de 13 euros correspondant au coût de l'aide non médicalisée que nécessitait l'état de santé de Mme D... du 18 juillet 2009 au 27 avril 2010 à raison de dix heures par semaine et d'une heure par jour à compter du 28 avril 2010 jusqu'à la date de consolidation de son état de santé, fixée au 18 mai 2011, le coût de l'assistance par une tierce personne pour la période concernée assurée par ses parents peut être évaluée à la somme de 9 425 euros. Après application du taux retenu au point 6, il y a lieu, par suite, d'allouer à Mme D...la somme de 5 278 euros au titre du préjudice lié aux besoins d'assistance par une tierce personne pour la période du 18 juillet 2009 au 18 mai 2011.

Quant à la période après consolidation :

11. Il ressort du rapport d'expertise judiciaire que MmeD..., qui est atteinte d'un déficit fonctionnel permanent de 28 %, a besoin de l'assistance d'une tierce personne à raison de deux heures par semaine. Cette aide lui est assurée par ses parents chez qui elle est retournée vivre. En se fondant sur un taux horaire moyen de rémunération, tenant compte des charges patronales, fixé à 13 euros, et en retenant une base annuelle de 400 jours, incluant les congés payés, il sera fait une juste appréciation de l'indemnisation de MmeD..., dont il ne résulte pas de l'instruction qu'elle percevrait la prestation de compensation du handicap, au titre des frais d'aide par tierce personne déjà exposés à la date du présent arrêt en l'évaluant, pour la période postérieure au 18 mai 2011, date de consolidation de son état de santé, à la somme totale de 11 414 euros. Après application du taux de 56 % retenu au point 6, il y a lieu, par suite, d'allouer à Mme D...la somme de 6 391,84 euros au titre du préjudice lié aux besoins d'assistance par une tierce personne pour la période du 18 mai 2011 à la date de lecture du présent arrêt.

Quant aux besoins futurs :

12. Les experts ont estimé le besoin d'assistance par une tierce personne après consolidation et à titre permanent à deux heures par semaine, soit pour cinquante-sept semaines (400 jours), un coût annuel de 1 482 euros. La requérante étant âgée de 41 ans à la date de lecture du présent arrêt, le coefficient de capitalisation à prendre en compte en application du barème publié à la gazette du palais en 2018 est de 39,302, et les frais futurs d'assistance par une tierce personne peuvent être arrêtés à un capital de 58 245,56 euros. Compte tenu du taux de 56 % retenu précédemment, il sera mis à la charge du centre hospitalier une somme de 32 617,51 euros.

S'agissant des préjudices professionnels de MmeD... :

13. Aux termes de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale : " L'assuré a droit à une pension d'invalidité lorsqu'il présente une invalidité réduisant dans des proportions déterminées, sa capacité de travail ou de gain, c'est-à-dire le mettant hors d'état de se procurer, dans une profession quelconque, un salaire supérieur à une fraction de la rémunération normale perçue dans la même région par des travailleurs de la même catégorie, dans la profession qu'il exerçait avant la date de l'interruption de travail suivie d'invalidité ou la date de la constatation médicale de l'invalidité si celle-ci résulte de l'usure prématurée de l'organisme ". Eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par ces dispositions législatives et à son mode de calcul, en fonction du salaire, fixé par l'article R. 341-4 du code de la sécurité sociale, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité. Dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une pension d'invalidité ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice.

14. Pour se conformer aux règles rappelées ci-dessus, il convient de déterminer, en premier lieu, si l'incapacité permanente conservée par la victime en raison des fautes imputables à l'établissement de santé entraînait des pertes de revenus professionnels et une incidence professionnelle et, dans l'affirmative, d'évaluer ces postes de préjudice sans tenir compte, à ce stade, du fait qu'ils donnaient lieu au versement d'une pension d'invalidité. Pour déterminer ensuite dans quelle mesure ces préjudices étaient réparés par la pension, il y a lieu de regarder cette prestation comme réparant prioritairement les pertes de revenus professionnels et, par suite, comme ne réparant tout ou partie de l'incidence professionnelle que si la victime ne subissait pas de pertes de revenus ou si le montant de ces pertes était inférieur au capital représentatif de la pension.

Quant aux pertes de gains professionnels :

15. Mme D...exerçait la profession de chef d'entreprise d'une société de nettoyage de vérandas. Elle a été placée en arrêt de maladie à compter du 9 mai 2009 puis en invalidité totale à compter du 1er janvier 2011. Son entreprise a été placée en liquidation judiciaire le 10 juin 2011.

16. S'agissant des pertes subies jusqu'à la date de consolidation, il ressort des avis d'imposition des années 2006 à 2009 que le montant des revenus déclarés par Mme D...s'élevait respectivement à 23 369, 24 534, 21 872 et 34 397 euros, soit un montant moyen de revenus annuels de 26 043 euros. En ce qui concerne l'année 2009, il ressort des propres écritures de Mme D...que son entreprise était en plein essor et qu'elle n'a présenté aucune perte de gains. En revanche, en ce qui concerne l'année 2010, l'intéressée n'a perçu aucun revenu. En 2011, pour la période du 1er janvier 2011 au 18 mai 2011, date de consolidation de son état de santé, sa perte de revenus peut être évaluée à 9 983,15 euros. Le montant total de sa perte de revenus s'élève ainsi à la somme de 36 026,15 euros. Toutefois, le préjudice de Mme D... a été partiellement indemnisé par les revenus de remplacement versés par la caisse du RSI durant la période concernée, soit 13 816,39 euros. Mme D...a ainsi subi une perte de revenus non compensée par les revenus de remplacement précités au titre de la période en cause égale à 22 209,76 euros. Le montant total du préjudice subi par Mme D...et la caisse RSI s'élève ainsi à la somme de 36 026,15 euros, le centre hospitalier étant redevable, après application du taux de 56 %, d'une somme de 20 174,64 euros. En application du principe de priorité de la victime, il y a lieu d'allouer à Mme D...cette somme, la caisse du RSI ne peut prétendre à aucun remboursement au titre de ses débours.

17. S'agissant des pertes de revenus postérieurs à la consolidation et futurs, il résulte de l'instruction que MmeD..., qui souffre de troubles de l'équilibre, d'un état dépressif et reste atteinte d'une incapacité permanente partielle de 28 %, n'a pas repris d'activité professionnelle après la liquidation judiciaire de sa société. Si le rapport d'expertise précise que l'intéressée a subi une perte de chance professionnelle, il ne conclut cependant pas à son inaptitude définitive à toute activité professionnelle. Dans ces conditions, sa perte de gains professionnels postérieure à la consolidation ne peut donner lieu à indemnisation, pas plus que la perte future, qui ne présente pas un caractère certain. Par suite, Mme D...n'est pas fondée à demander le versement d'une somme au titre de ce chef de préjudice. Dans ces conditions, la pension d'invalidité versée par la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen en application de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale n'a pu réparer aucune perte de salaires et n'ouvre aucun droit à la caisse par subrogation dans les droits de la victime sur ce chef de préjudice postérieurement au 1er juin 2011.

Quant à l'incidence professionnelle :

18. Comme cela a été dit précédemment, si Mme D...n'est pas inapte définitivement à toute activité professionnelle en particulier comme salariée, elle exerçait avant le préjudice qu'elle a subi une activité de chef d'entreprise nécessitant une bonne endurance physique, des déplacements et des mouvements du rachis cervical qui sont dorénavant contre-indiqués selon les dires des experts. En outre, le rapport d'expertise précise que l'accident dont a été victime Mme D...a eu un retentissement évident sur son activité professionnelle à raison de l'impossibilité de reprendre son activité professionnelle antérieure, d'exercer une activité pénible physiquement et de l'impossibilité d'avoir le choix d'une carrière, d'un avancement ou d'une promotion. Par suite, son état de santé étant à l'origine de la perte de son statut de chef d'entreprise et d'une dévalorisation sur le marché du travail, il y a lieu d'évaluer l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier à raison de cette incidence professionnelle à la somme de 200 000 euros, soit après application du taux de 56 % retenu précédemment, une somme de 112 000 euros. Cependant, la caisse du RSI justifie verser à Mme D...à compter du 1er juin 2011 une pension d'invalidité, qui, en l'absence de perte de revenus, doit être regardée comme réparant l'incidence professionnelle, pour un montant annuel de 9 401 euros. Jusqu'à l'âge légal du départ en retraite, c'est ainsi une somme de 174 830,39 euros que Mme D...percevra au titre de la pension d'invalidité dont il y a lieu de tenir compte pour le calcul du montant de l'incidence professionnelle, qui s'élève ainsi à la somme de 25 169,61 euros (200 000 - 174 830,39). Par suite, il y a lieu d'allouer à Mme D...cette somme, le solde, qui s'élève à 86 830,39 euros, revenant à la caisse du RSI.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

S'agissant des préjudices temporaires :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

19. Mme D...a subi, avant la consolidation de son état de santé fixée au 18 mai 2011, des périodes d'incapacité temporaire totale correspondant à ses périodes d'hospitalisation du 9 mai 2009 au 17 juillet 2009, puis du 16 décembre 2009 au 12 février 2010, ainsi que deux périodes d'incapacité partielle du 18 juillet 2009 au 27 avril 2010 et du 28 avril 2010 au 18 mai 2011, que les experts ont évalué respectivement à 75 % et 50 %. Compte tenu de l'importance des troubles qu'a subis Mme D...pendant ces périodes, à savoir des troubles de l'équilibre, des difficultés pour la marche, des acouphènes et des troubles neurologiques, il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en lui allouant une somme de 8 703,53 euros. Compte tenu du taux retenu précédemment, il y a lieu d'allouer à Mme D...la somme de 4 873,97 euros.

Quant aux souffrances endurées :

20. Les douleurs éprouvées par Mme D...ont été estimées par le rapport d'expertise à 4 sur une échelle de 7. Compte tenu de la rééducation assez importante qu'a dû subir Mme D..., il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 7 201 euros. Compte tenu du taux retenu précédemment, il y a lieu d'allouer à Mme D...la somme de 4 032,56 euros à ce titre.

Quant au préjudice esthétique :

21. Mme D...demande une somme de 2 500 euros en indemnisation du préjudice esthétique temporaire qu'elle a subi à raison de son déplacement en fauteuil roulant jusqu'en avril 2010 puis avec une canne anglaise. Ces éléments sont cependant insuffisants, ainsi que le relève notamment le rapport d'expertise, pour caractériser l'existence d'un préjudice esthétique indemnisable. Par suite, Mme D...n'est pas fondée à demander une indemnisation au titre de ce chef de préjudice.

S'agissant des préjudices permanents :

Quant au déficit fonctionnel permanent :

22. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise que Mme D...demeure atteinte, depuis la date de consolidation de son état de santé, fixée au 18 mai 2011, d'une incapacité permanente partielle évaluée à 28 %. Elle reste atteinte d'un syndrome cérébelleux se manifestant par des difficultés à la marche et à l'équilibre, des troubles de la concentration et du langage, des acouphènes, des douleurs au cou, au dos et dans la jambe gauche ainsi que par un état anxio-dépressif durable. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 50 000 euros. Compte tenu du taux retenu précédemment, il y a lieu d'allouer à Mme D...la somme de 28 000 euros.

Quant au préjudice d'agrément :

23. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Mme D...a dû abandonner la vie associative et sportive qu'elle exerçait auparavant lors des rencontres inter-entreprises et dans un club. Il y a lieu de lui allouer au titre du préjudice d'agrément une somme de 7 500 euros qui sera ramenée à 4 200 euros après application du taux de 56 %.

24. Il résulte de tout ce qui précède que le montant total des préjudices subis par Mme D... et que le centre hospitalier de Château-Thierry doit être condamné à lui verser s'établit à la somme de 132 106,83 euros. Compte tenu du quantum de la demande présentée en première instance par la caisse du RSI qui s'élevait à la somme de 63 854,22 euros, le montant de la somme que le centre hospitalier est condamné à verser à la caisse du RSI doit seulement être porté à la somme de 63 854,22 euros.

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :

25. L'article 1er de l'arrêté du 27 décembre 2018 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale fixe à 1 066 euros, à compter du 1er janvier 2018, le montant maximum de l'indemnité forfaitaire de gestion visée par ces articles. Il y a, dès lors, lieu de porter à 1 080 euros le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion qui a été allouée à la caisse du RSI en première instance et à laquelle elle a droit.

26. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a limité à 86 095,32 euros la somme que le centre hospitalier de Château-Thierry a été condamné à lui verser. Le centre hospitalier n'est quant à lui pas fondé à demander à ce que cette somme soit ramenée à 79 325,934 euros sous déduction des provisions déjà versées.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

27. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Château-Thierry le versement à Mme D...d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 86 065,32 euros que le centre hospitalier de Château-Thierry a été condamné à verser à MmeD..., par le jugement attaqué, est portée à 132 106,83 euros, sous déduction des provisions déjà versées.

Article 2 : La somme de 31 571,86 euros que le centre hospitalier de Château-Thierry a été condamné à verser à la caisse du régime social des indépendants, par le jugement attaqué, est portée à 63 854,22 euros.

Article 3 : Le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion due par le centre hospitalier de Château-Thierry à la caisse du régime social des indépendants est porté à 1 080 euros.

Article 4 : Le centre hospitalier de Château-Thierry versera à Mme D...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le jugement n° 1301733 du 19 novembre 2015 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D...et les conclusions incidentes du centre hospitalier de Château-Thierry sont rejetés.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F...D..., à l'Union départementale des associations familiales de la Marne, au centre hospitalier de Château-Thierry et à la caisse du régime social des indépendants de Picardie.

10

N°16DA00134


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16DA00134
Date de la décision : 29/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public.


Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: Mme Muriel Milard
Rapporteur public ?: Mme Leguin
Avocat(s) : CABINET FARTHOUAT ASSELINEAU et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-01-29;16da00134 ?
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