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20/12/2018 | FRANCE | N°18DA01744

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 20 décembre 2018, 18DA01744


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...B...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 18 octobre 2017 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite d'office.

Par un jugement n°1801979 du 20 juillet 2018, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une

requête, enregistrée le 20 août 2018, MmeB..., représentée par Me A... D..., demande à la cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...B...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 18 octobre 2017 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite d'office.

Par un jugement n°1801979 du 20 juillet 2018, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 août 2018, MmeB..., représentée par Me A... D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 20 juillet 2018 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du préfet du Nord du 18 octobre 2017 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de cent euros par jour de retard ou, à défaut, d'enjoindre au préfet de réexaminer sa demande de titre de séjour sous les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Valérie Petit, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. MmeB..., ressortissante tunisienne, née le 23 juillet 1985, s'est mariée en Tunisie le 28 août 2012 avec un ressortissant français. Elle est entrée en France le 5 septembre 2014, sous couvert d'un visa long séjour portant la mention " vie privée et familiale " valable jusqu'au 9 mai 2015. A l'expiration de son visa, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par un arrêté du 18 octobre 2017, le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme B...relève appel du jugement du 20 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande dirigée contre cet arrêté.

Sur la fin de non-recevoir opposée en première instance par le préfet du Nord :

2. L'administré comme le justiciable, à qui il appartient en principe, en cas de déménagement, de faire connaître à l'administration ou au greffe de la juridiction son changement d'adresse, prend néanmoins les précautions nécessaires pour que le courrier lui soit adressé à sa nouvelle adresse, et ne puisse donc lui être régulièrement notifié qu'à celle-ci, lorsqu'il informe La Poste de sa nouvelle adresse en demandant que son courrier y soit réexpédié.

3. Il ressort des pièces du dossier que le pli recommandé 2C12107265008 contenant l'arrêté contesté a été adressé à la dernière adresse de Mme B...connue par l'administration. Ce pli a été retourné le 8 novembre 2017 au préfet du Nord avec la mention " pli avisé et non réclamé ". Toutefois, par un courrier du 23 janvier 2018, le service clientèle de la Poste admet qu'une anomalie s'est produite concernant cette lettre recommandée dans le cadre du contrat de réexpédition de la requérante. Dans ces conditions, alors même que Mme B...n'a pas informé le préfet de son changement d'adresse, la demande de MmeB..., enregistrée le 7 mars 2018 au greffe du tribunal administratif de Lille n'était pas tardive. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le préfet du Nord doit être écartée.

Sur la décision de refus de titre de séjour :

4. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le renouvellement de la carte de séjour délivrée au titre du 4° de l'article L. 313-11 est subordonné au fait que la communauté de vie n'ait pas cessé, sauf si elle résulte du décès du conjoint français. Toutefois, lorsque l'étranger a subi des violences familiales ou conjugales et que la communauté de vie a été rompue, l'autorité administrative ne peut procéder au retrait du titre de séjour de l'étranger et en accorde le renouvellement. (....). En vertu de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 : " Un titre de séjour d'une durée de dix ans, ouvrant droit à 1'exercice d'une activité professionnelle, est délivré de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français : / 1 a) Au conjoint tunisien d'un ressortissant français, marié depuis au moins un an, à condition que la communauté de vie entre époux n'ait pas cessé (...) ". L'article 11 de cet accord stipule que : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur les points non traités par l'Accord. / Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent accord, dans les conditions prévues par sa législation " ;

5. L'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 renvoie, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord et nécessaires à sa mise en oeuvre. Il résulte des dispositions mentionnées ci-dessus de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, issues du 7° de l'article 17 de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, telles qu'éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a entendu créer un droit particulier au séjour au profit des personnes victimes de violences conjugales ayant conduit à la rupture de la vie commune avec leur conjoint de nationalité française. La circonstance que l'article 10 de l'accord franco-tunisien ne prévoit pas le cas des personnes pour lesquelles la communauté de vie a été rompue, pour le motif évoqué ci-dessus, ne fait pas obstacle à l'application des dispositions de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Il est constant qu'à la date de l'arrêté contesté, la vie commune entre la requérante et son mari avait cessé. Toutefois, Mme B... soutient que cette rupture est consécutive au comportement violent de son mari, qui l'a agressée physiquement le 6 novembre 2016. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier du compte rendu des urgences établi le jour même des faits, que des ecchymoses au cou, aux genoux et à la face antérieure du bras droit, une dermabrasion de la face antérieure du tibia droit et un oedème du poignet droit ont été médicalement constatés et que Mme B...a expliqué avoir été étranglée et frappée par son mari. Le certificat médical descriptif pour coups et blessures, établi le même jour, énonce qu'il est à prévoir, sauf complications, une incapacité totale de travail de dix jours. Dans ces circonstances, quand bien même Mme B...n'a pas déposé de main courante au commissariat après ces faits et qu'elle n'a finalement déposé plainte auprès du procureur de la République qu'en janvier 2018, le préfet du Nord a inexactement apprécie sa situation au regard des dispositions de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de lui renouveler son titre de séjour. Par suite, dans les circonstances particulières de l'espèce, Mme B...est fondée à demander l'annulation de la décision lui refusant un titre de séjour. Par voie de conséquence, les décisions l'obligeant à quitter le territoire et fixant le pays de destination ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux doivent être annulées.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme B...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction assorties d'astreinte :

8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ".

9. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 6, l'exécution du présent arrêt implique que soit délivré à Mme B...un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", sous réserve d'un changement de circonstances de droit et de fait à la date du présent arrêt. Il y a lieu, par suite, en application des dispositions précitées de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet du Nord de délivrer le titre de séjour sollicité par l'intéressée dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme B...et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 20 juillet 2018 et l'arrêté du préfet du Nord du 18 octobre 2017 préfet du Nord sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Nord de délivrer à Mme B...un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sous réserve d'un changement de circonstances de droit et de fait à la date du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B...la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...B...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée pour information au préfet du Nord.

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N°18DA01744


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18DA01744
Date de la décision : 20/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: Mme Valérie Petit
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : MANNESSIER

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-12-20;18da01744 ?
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