Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F...A...et ses fils, M. C...A...et M. B...A..., ont demandé au tribunal administratif de Lille de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) le versement d'une somme totale de 120 600 euros en indemnisation des préjudices qu'ils ont subis du fait de la contamination de Mme A...par le virus de l'hépatite C.
Par un jugement n° 1400943 du 13 avril 2016, le tribunal administratif de Lille a mis à la charge de l'ONIAM au profit de MM. B...et C...A...une somme de 40 500 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 14 février 2014, une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 juin 2016 et le 28 novembre 2018, l'ONIAM, représenté par Me E...D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 13 avril 2016 ;
2°) de ramener l'indemnisation accordée à MM. C...et B...A...à la somme maximale de 22 518,73 euros ;
3°) de rejeter le surplus des conclusions des consortsA....
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur,
- et les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme F...A..., née le 28 novembre 1928, a été informée le 2 juin 1997, à la suite d'un bilan biologique approfondi, de sa contamination par le virus de l'hépatite C. Estimant cette contamination imputable aux transfusions sanguines reçues entre le 14 et le 18 avril 1981 dans le cadre d'une intervention cardiaque sous circulation extracorporelle au centre hospitalier régional universitaire de Lille, Mme A...ainsi que ses deux fils, MM. B...et C...A..., ont saisi l'ONIAM d'une demande d'indemnisation des préjudices résultant de cette contamination. Refusant l'offre d'indemnisation proposée par l'Office, Mme A...et ses deux fils ont demandé au tribunal de mettre à sa charge l'indemnisation de l'ensemble de leurs préjudices respectifs, subis à la suite de la contamination de MmeA.... A la suite du décès de MmeA..., survenu au cours de l'instance devant le tribunal administratif de Lille, le 16 novembre 2014, MM. B...et C...A..., ayants droit de MmeA..., ont informé le tribunal qu'ils reprenaient l'instance. L'ONIAM interjette appel du jugement du 13 avril 2016 par lequel le tribunal administratif de Lille a mis à sa charge au profit des consorts A...la somme de 40 500 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 14 février 2014 en indemnisation des préjudices subis par leur mère, et la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par la voie de l'appel incident, les consorts A...demandent la réformation de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à leurs conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices subis par leur mère, et a rejeté celles tendant à l'indemnisation de leurs préjudices propres.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 634-1 du code de justice administrative : " Dans les affaires qui ne sont pas en état d'être jugées, la procédure est suspendue par la notification du décès de l'une des parties ou par le seul fait du décès, de la démission, de l'interdiction ou de la destitution de son avocat. Cette suspension dure jusqu'à la mise en demeure pour reprendre l'instance ou constituer un avocat ". Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur ou tout mémoire contenant des éléments nouveaux, est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.
3. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 15 mai 2015, l'avocat de Mme A...et de ses fils a informé le tribunal administratif de Lille du décès de sa cliente, survenu le 16 novembre 2014. En application des dispositions citées au point 2 de l'article L. 634-1 du code de justice administrative, le greffe du tribunal a, par un courrier du 22 janvier 2016, accordé à ce conseil un délai de trente jours pour lui indiquer si les ayants droit de Mme A...souhaitaient poursuivre l'affaire. Un mémoire de reprise d'instance a été enregistré au greffe du tribunal administratif de Lille le 28 janvier 2016. Il résulte toutefois de l'instruction, et notamment du relevé de l'application informatique " Sagace " produit par le requérant, que ni la lettre du 15 mai 2015, ni le mémoire du 28 janvier 2016 n'ont été communiqués à l'ONIAM ou à son conseil. Compte tenu de l'incidence du décès d'une personne ayant subi une contamination sanguine sur l'indemnisation de ses préjudices, la méconnaissance de l'obligation de communiquer tout mémoire contenant un élément nouveau a préjudicié aux droits de l'ONIAM, qui est, dès lors, fondé à soutenir que le jugement du tribunal administratif de Lille est irrégulier. Par suite, ce jugement du 13 avril 2016 doit être annulé.
4. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par les consorts A...devant le tribunal administratif de Lille.
Sur le principe de l'indemnisation :
5. Mme A...a subi, le 14 avril 1981, du fait d'une décompensation de sa cardiopathie, une intervention cardiaque sous circulation extra-corporelle durant laquelle elle a bénéficié de la transfusion de trois flacons de plasma frais congelés, et sept culots de concentré globulaire et un plasma. Un diagnostic de contamination par le virus de l'hépatite C (VHC) a été posé le 4 juin 1997. L'enquête transfusionnelle réalisée par l'Etablissement français du sang n'a pas abouti au contrôle de la sérologie VHC de l'ensemble des donneurs à l'origine des produits sanguins qui lui ont été transfusés. Relevant que Mme A...ne présentait pas de facteur de risque majeur de contamination par le VHC autre que transfusionnel, l'ONIAM a considéré, dans un courrier du 20 décembre 2013, que Mme A...apportait un faisceau d'indices suffisamment précis et concordants permettant de faire présumer que sa contamination trouvait son origine dans les produits sanguins transfusés, et a donc reconnu, au terme d'un raisonnement qui n'est entaché ni d'erreur de fait, ni d'erreur de droit, sa qualité de débiteur de la créance d'indemnisation au titre de la solidarité nationale.
Sur la date de stabilisation de son état de santé :
6. D'un commun accord, les parties ont fixé la date de stabilisation de l'état de santé de Mme A...au 14 juin 2012, date du dernier acti-test indiquant un degré de fibrose classée F3, en l'absence d'indication de traitement en raison de sa pathologie cardiaque. Il y a lieu, en l'absence de tout élément au dossier en sens contraire, de retenir cette date de stabilisation.
Sur l'indemnisation des préjudices subis par MmeA... :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
7. Les consorts A...se bornent à mentionner " pour mémoire ", les préjudices patrimoniaux subis par MmeA.... Il n'y a donc pas lieu d'examiner ces chefs de préjudices, pas plus qu'il n'y a lieu de déclarer le présent arrêt opposable à la CPAM de Roubaix Tourcoing dans la mesure où il ne préjudicie pas à ses droits.
En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux temporaires :
8. Il résulte de l'instruction qu'il s'est écoulé trente-et-une années entre la contamination de Mme A...par le VHC en 1981 et la stabilisation de son état de santé en 2012. Les consorts A...font valoir que leur mère a souffert, depuis sa contamination, d'une asthénie chronique, ayant d'ailleurs conduit au bilan de santé qui a permis de révéler sa contamination. Les courriers médicaux produits par MM. A...font toutefois état, en 2003, d'une patiente asymptomatique dont l'examen clinique est normal, et en 2012, d'un état de santé satisfaisant compte tenu de ses autres pathologies. Il sera fait une juste appréciation de son déficit fonctionnel temporaire en l'évaluant à la somme de 18 000 euros.
9. S'agissant du pretium doloris, il résulte de l'instruction que Mme A...n'a pas reçu de traitement après le diagnostic de sa contamination par le VHC, notamment en raison de sa cardiopathie. Elle n'en a donc pas subi les effets secondaires. Elle a toutefois subi deux biopsies, et a dû faire des bilans sanguins trimestriels sur toute la période s'étant écoulée entre sa contamination et la consolidation de son état de santé. Il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en allouant à ce titre une somme de 1 500 euros.
En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux permanents :
10. L'ONIAM a évalué le déficit fonctionnel permanent de MmeA..., atteinte d'une fibrose sévère de classe F3, à 8 %, ce que les consorts A...ne contestent pas. Compte tenu de l'espérance de vie moyenne à un âge donné, de l'âge de Mme A...à la date de stabilisation, et de son décès intervenu en cours d'instance deux ans et cinq mois après cette date, à l'âge de quatre-vingt-six ans, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à la somme de 3 000 euros.
11. S'agissant du préjudice d'agrément, si les consorts A...soutiennent que la contamination de leur mère par le VHC a empêché celle-ci de voyager comme elle en avait l'habitude, ils n'établissent pas la réalité de ce préjudice.
12. Il résulte de l'instruction qu'il s'est écoulé près de dix-sept années entre la date à laquelle la contamination de Mme A...a été diagnostiquée et son décès. Si durant cette période elle n'a pas développé de symptômes liés à cette contamination, en dehors d'une asthénie, elle a pu légitimement éprouver des inquiétudes du fait de sa contamination par la maladie qui avait été diagnostiquée et des conséquences graves qui pouvaient en résulter. Contrairement à ce que soutient l'ONIAM, les consorts A...sont en droit d'obtenir l'indemnisation du préjudice moral certain subi par leur mère, et résultant notamment de la conscience d'être atteinte d'une maladie grave. Compte tenu toutefois de l'âge de l'intéressée, à la date du diagnostic, et de ses autres pathologies, notamment sa cardiopathie, il sera fait une juste appréciation du " préjudice spécifique de contamination " invoqué par les consorts A...en leur allouant à ce titre la somme de 5 000 euros.
13. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 à 12, que doit être mise à la charge de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale, au profit de MM. B...et C...A...en leur qualité d'ayants droit, une somme de 27 500 euros en indemnisation des préjudices subis par leur mère.
Sur l'indemnisation des préjudices de MM. B...et C...A... :
14. Aux termes de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique : " Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite B ou C ou le virus T-lymphotropique humain causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s'applique le présent chapitre sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l'office mentionné à l'article L. 1142-22 dans les conditions prévues à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 3122-1, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 3122-2, au premier alinéa de l'article L. 3122-3 et à l'article L. 3122-4, à l'exception de la seconde phrase du premier alinéa. / Dans leur demande d'indemnisation, les victimes ou leurs ayants droit justifient de l'atteinte par le virus de l'hépatite B ou C ou le virus T-lymphotropique humain et des transfusions de produits sanguins ou des injections de médicaments dérivés du sang. L'office recherche les circonstances de la contamination. S'agissant des contaminations par le virus de l'hépatite C, cette recherche est réalisée notamment dans les conditions prévues à l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Il procède à toute investigation sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. / L'offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis du fait de la contamination est faite à la victime dans les conditions fixées aux deuxième, troisième et cinquième alinéas de l'article L. 1142-17 ". Ces dispositions instituent un régime spécifique de prise en charge par la solidarité nationale des dommages résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C qui a vocation à réparer l'ensemble de ces dommages, qu'ils aient été subis par les patients victimes de telles infections ou par leurs proches.
15. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par MM. B...et C...A...en raison de la contamination de leur mère par le virus de l'hépatite C en le fixant à la somme de 2 000 euros chacun.
Sur les intérêts :
16. La somme globale de 31 500 euros mise à la charge de l'ONIAM au profit des consorts A...portera intérêts au taux légal à compter du 14 février 2014, date d'introduction de leur requête devant le tribunal administratif de Lille.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 1 500 euros à verser aux consorts A...sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1400943 du 13 avril 2016 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : L'ONIAM versera aux consorts A...la somme de 31 500 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 février 2014.
Article 3 : L'ONIAM versera aux consorts A...la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à M. C...A...et à M. B... A....
Copie sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix Tourcoing.
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N°16DA01165