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29/11/2018 | FRANCE | N°16DA00746

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre - formation à 3, 29 novembre 2018, 16DA00746


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B...et Annick G...ont demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté leur demande indemnitaire préalable et de condamner l'Etat à leur verser à chacun, d'une part, la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice de perte de chance de garder leur fille, Natacha, auprès d'eux et, d'autre part, la somme de 35 000 euros en réparation de leur préjudice moral.

Par un jugement n° 1400425 du 18 février 2

016, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision de rejet de leur dem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B...et Annick G...ont demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté leur demande indemnitaire préalable et de condamner l'Etat à leur verser à chacun, d'une part, la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice de perte de chance de garder leur fille, Natacha, auprès d'eux et, d'autre part, la somme de 35 000 euros en réparation de leur préjudice moral.

Par un jugement n° 1400425 du 18 février 2016, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision de rejet de leur demande indemnitaire, a retenu la responsabilité sans faute de l'Etat dans le décès de Mme H... G...et l'a condamné à verser à M. et Mme G... la somme de 25 000 euros chacun.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 avril 2016, et des mémoires, enregistrés le 16 juin 2017, le 28 novembre 2017 et le 9 novembre 2018, M. et MmeG..., représentés par la SCPA..., de Bailliencourt et associés, demandent à la cour :

1°) de reconnaître la responsabilité pour faute lourde de l'Etat ;

2°) de rejeter l'intervention du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions ;

3°) de condamner l'Etat à leur verser une somme de 65 000 euros chacun en réparation de l'ensemble de leur préjudice ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michel Richard, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur public,

- et les observations de Me D...A..., représentant M. et MmeG....

Considérant ce qui suit :

1. La cour d'assises du département du Nord a, par un arrêt du 24 janvier 2014, condamné M. C... E...à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre de Mme H...G..., commis le 5 septembre 2010 alors qu'il était en liberté conditionnelle. Par un arrêt du même jour, la cour d'assises, statuant sur l'action civile, a également condamné M. E... à réparer les préjudices des parties civiles à l'instance. La commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) a, par des décisions du 11 février 2015, du 11 mars 2015 et du 13 mai 2015, mis à la charge du fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme (FGTI) une somme globale de 249 390,11 euros à verser aux ayants-droits de Mme G.... Saisi par les parents de celle-ci, M. B... G...et Mme F...G..., qui ne précisaient pas avoir reçu une indemnisation du FGTI, d'une demande tendant à la réparation de leur préjudice moral et du préjudice lié à la perte de chance de conserver leur fille auprès d'eux pour un montant total de 65 000 euros chacun, le tribunal administratif de Lille, après avoir retenu la responsabilité sans faute de l'Etat, l'a condamné à verser aux parents de Mme G... la somme de 25 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral par un jugement du 18 février 2016. Ceux-ci en relèvent appel en tant que la responsabilité pour faute de l'Etat peut être engagée et que le tribunal a limité le montant de leur indemnisation à la somme globale de 50 000 euros. Pour sa part, le FGTI demande que l'Etat soit condamné à lui verser la somme globale de 100 000 euros mise à sa charge par la CIVI et versée aux parents de Mme H...G...au titre de leur préjudice moral.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article 706-3 du code de procédure pénale : " Toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne (...) ". L'indemnité ainsi prévue est allouée par une commission instituée dans le ressort de chaque tribunal de grande instance et versée par le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions. Aux termes de l'article 706-11 du même code : " Le fonds est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction ou tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle, le remboursement de l'indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes / (...) ". Il résulte de ces dispositions que le fonds de garantie, lorsqu'il a indemnisé un dommage causé par une infraction, peut exercer un recours subrogatoire à l'encontre non seulement de l'auteur de cette infraction mais également de toute personne tenue de réparer le dommage, notamment parce qu'elle y a concouru dans des conditions de nature à engager sa responsabilité.

3. En raison de la subrogation du fonds de garantie dans les droits de la victime qu'instituent ces dispositions, régissant un mode d'indemnisation fondé sur la solidarité nationale, et en application des principes qui gouvernent la procédure devant le juge administratif, ce dernier, informé de ce que la personne victime d'une infraction au sens des dispositions ci-dessus a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infraction pénale ou obtenu une indemnité versée par le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions doit, à peine d'irrégularité de son jugement, mettre en cause le fonds dans l'instance dont il est saisi afin, d'une part, de permettre à celui-ci d'exercer son droit de subrogation et, d'autre part, de s'assurer qu'il ne procédera pas, s'il donne suite à la demande de condamnation, à une double indemnisation des mêmes préjudices.

4. Par une requête formée le 7 mai 2015, le FGTI a saisi le tribunal administratif de Lille d'une demande tendant à engager la responsabilité sans faute de l'Etat dans le décès de Mme H... G...afin d'obtenir le remboursement des sommes qu'il a versées à ses proches, y compris ses parents, en réparation des préjudices subis. Le tribunal était ainsi informé, à la date à laquelle il s'est prononcé sur la demande de M. et Mme G..., de ce qu'ils avaient obtenu une indemnité versée par le FGTI au titre de leur préjudice moral. Dès lors, en s'abstenant de mettre en cause le fonds dans l'instance dont il était saisi afin, d'une part, de permettre à celui-ci d'exercer son droit de subrogation et, d'autre part, de s'assurer qu'il ne procéderait pas, s'il donnait suite à la demande de condamnation, à une double indemnisation des mêmes préjudices, le tribunal a entaché d'irrégularité son jugement qui, par suite, doit être annulé.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par M. et Mme G... devant le tribunal administratif de Lille et la cour.

Sur la responsabilité de l'Etat pour faute lourde :

6. En première instance, M. et Mme G... se sont bornés à invoquer la responsabilité sans faute de l'Etat dans le décès de leur fille, Mme H...G.... En appel, les intéressés fondent également leur demande indemnitaire sur la responsabilité pour faute lourde de l'Etat en raison des dysfonctionnements du service public judiciaire. Il n'appartient cependant qu'à la juridiction judiciaire de connaître d'actions mettant en cause la responsabilité pour faute de l'Etat du fait du fonctionnement du service public de la justice judiciaire. Par suite, la demande présentée par les requérants devant la cour, laquelle repose d'ailleurs sur un fondement nouveau et distinct de la demande introductive formée le 16 janvier 2014 devant le tribunal à la suite du rejet de leur demande indemnitaire, ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative et doit, par suite, être rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :

7. La mise en oeuvre du régime de la libération conditionnelle, instauré à des fins d'intérêt général, est à l'origine d'un risque spécial pour les tiers susceptible d'engager, même en l'absence de faute, la responsabilité de l'Etat. Ce risque doit être regardé comme réalisé et, partant, de nature à engager la responsabilité de l'Etat, lorsqu'une infraction est commise par un ancien détenu durant toute la période pendant laquelle il bénéficie d'un tel régime, qu'il se soit soustrait ou non aux obligations inhérentes à celui-ci. Ainsi, la responsabilité sans faute de l'Etat est engagée du fait du décès par homicide volontaire de Mme H...G..., tuée le 5 septembre 2010 par M. C... E... alors placé en liberté conditionnelle suite à un jugement du 28 septembre 2009 du juge d'application des peines du tribunal de grande instance de Lille.

Sur la réparation des préjudices de M. et Mme G...:

8. La nature et l'étendue des réparations incombant à une collectivité publique ne dépendent pas de l'évaluation du dommage faite par l'autorité judiciaire dans un litige auquel cette collectivité n'a pas été partie, mais doivent être déterminées par le juge administratif compte tenu des règles relatives à la responsabilité des personnes morales de droit public.

9. M. et Mme G... se prévalent devant la juridiction du préjudice moral et physique causé à la victime elle-même du fait des souffrances endurées avant sa mort. Ils ont cependant déjà été indemnisés par le FGTI de ce poste de préjudice en qualité d'héritiers de leur fille à hauteur de 60 000 euros. Leur demande ne peut dès lors qu'être rejetée sur ce point, le tribunal administratif de Lille ayant d'ailleurs condamné l'Etat à rembourser cette somme au FGTI par un jugement du 29 décembre 2017 devenu définitif sur ce point.

10. S'agissant du montant de leur préjudice moral et d'affection, il résulte des pièces versées au dossier que M. et Mme G... entretenaient des relations très intenses avec leur fille qu'ils voyaient quasiment quotidiennement. Eu égard à la douleur éprouvée du fait du caractère brutal du décès de leur enfant, intervenu dans des conditions dramatiques, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à la somme de 50 000 euros chacun. Il résulte toutefois de l'instruction que M. et Mme G... en ont été indemnisés par le FGTI et ne peuvent donc en demander réparation par l'Etat dans le cadre de la présente instance.

11. Les requérants demandent enfin à être indemnisés de leur perte de chance de vivre auprès de leur fille ou de troubles dans leurs conditions d'existence mais de tels chefs de préjudice ne peuvent en l'espèce être regardés, compte tenu des écritures des intéressés, comme distincts du préjudice moral et d'affection pour lequel ils ont été indemnisés à hauteur de 50 000 euros chacun par le FGTI.

Sur l'action subrogatoire du FGTI :

12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2, 10 et 11 que le FGTI, légalement subrogé dans les droits des parents de Mme H...G...à qui il a versé la somme de 50 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral et d'affection, est fondé, à ce titre, à solliciter la condamnation de l'Etat, dont la responsabilité est engagée, à lui verser la somme de 100 000 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires de M. et Mme G... doivent être rejetées. En revanche, il y a lieu de condamner l'Etat à verser au FGTI la somme totale de 100 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 5 mars 2015, date de réception par le garde des sceaux, ministre de la justice, de la demande préalable du FGTI.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante vis à vis de M. et Mme G..., la somme que ceux-ci demandent au titre des frais liés au litige.

15. En revanche, il y a lieu, sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au FGTI.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 18 février 2016 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande indemnitaire de M. et Mme G...et le surplus de leurs conclusions sont rejetés.

Article 3 : L'Etat est condamné à verser au fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions une somme de 100 000 euros en réparation du préjudice moral de M. et Mme G...assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 mars 2015.

Article 4 : L'Etat versera au FGTI une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...G..., à Mme F...G..., au Fonds de garantie des victimes d' actes de terrorisme et d'autres infractions et au garde des sceaux, ministre de la justice.

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