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08/11/2018 | FRANCE | N°16DA00193

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 08 novembre 2018, 16DA00193


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Clemessy a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 31 juillet 2012 par laquelle l'inspecteur du travail de la 7ème section de la Seine-Maritime a refusé d'autoriser le licenciement de M. J...K....

Par un jugement n° 1202744 du 3 décembre 2015, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision de l'inspecteur du travail.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 janvi

er 2016 et le 15 octobre 2018, M. J... K..., représenté par Me C...D..., demande à la cour :

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Clemessy a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 31 juillet 2012 par laquelle l'inspecteur du travail de la 7ème section de la Seine-Maritime a refusé d'autoriser le licenciement de M. J...K....

Par un jugement n° 1202744 du 3 décembre 2015, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision de l'inspecteur du travail.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 janvier 2016 et le 15 octobre 2018, M. J... K..., représenté par Me C...D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de confirmer la décision de l'inspecteur du travail ;

3°) de mettre à la charge de la SA Clemessy, la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président-rapporteur,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- et les observations de Me A...F..., représentant M. K...et la Fédération générales des mines et de la métallurgie CFDT, et de Me L...H..., représentant la SA Clemessy.

Considérant ce qui suit :

1. M. K...a été embauché le 21 novembre 1988 par la SA Clemessy, filiale du groupe Eiffage, en qualité de conducteur de chantier affecté à l'agence Maine-Normandie située à Bihorel. Au niveau de cet établissement, M. K...est délégué du personnel titulaire, membre du comité d'établissement, délégué syndical. Il est également investi, au niveau de la SA Clemessy et du groupe Eiffage, des mandats de membre titulaire des comités central d'entreprise et de groupe Eiffage, exerce aussi les fonctions de délégué syndical central et de coordinateur syndical du groupe Clemessy et consacre l'intégralité de son temps de travail à l'exercice de ses mandats. Il relève appel du jugement du 3 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision du 31 juillet 2012 par laquelle l'inspecteur du travail de la 7e section de la Seine-Maritime a refusé d'autoriser son licenciement.

Sur l'intervention de la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT :

2. Aux termes de l'article 21 des statuts de la Fédération générale des mines et de la métallurgie (FGMM) CFDT : " Pour l'exercice de sa personnalité juridique, la FGMM est représentée dans tous ses actes par le Secrétaire Général ou le Secrétaire Général adjoint (ou l'un d'eux nommément désigné par le Secrétaire Général s'ils sont plusieurs) ou par le Secrétaire National Trésorier qui en rendent compte au Bureau Fédéral. Ils pourront en cas de besoin se faire assister ou représenter par un mandataire de justice qu'ils désigneront. Ils sont notamment habilités à engager au nom de la FGMM toute action en justice et accomplir les formalités de dépôt et de publicité consécutives aux modifications des statuts ainsi qu'à la désignation des membres du Bureau Fédéral. / La FGMM peut également être représentée par toute autre personne désignée par le Bureau Fédéral qui précisera alors la durée et l'étendue de son mandat. En cas d'urgence, le Secrétaire Général ou le Secrétaire Général Adjoint ou le Secrétaire National Trésorier peut procéder à cette désignation, dont il rend compte au Bureau Fédéral. "..

3. La FGMM justifie d'un intérêt suffisamment direct à l'annulation de l'arrêté en litige. Son intervention au soutien des conclusions de M. K...doit, dès lors, être admise.

Sur la régularité du jugement :

4. Tout d'abord, M. K...soutient qu'en refusant de surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la procédure pénale dont il fait l'objet et en tenant compte d'éléments concernant cette procédure pénale, le tribunal administratif de Rouen a méconnu les droits de la défense ainsi que le secret de l'instruction. Il demande ainsi à la cour de surseoir à statuer, ou, à défaut, d'écarter tout argument de la SA Clemessy relatif à cette procédure pénale en cours. Toutefois, aucun principe général du droit, ni aucune disposition législative ou réglementaire ne faisaient obligation au tribunal administratif de surseoir à statuer jusqu'à l'aboutissement de la procédure pénale. Pour les mêmes motifs, il n'y a pas lieu pour la cour de surseoir à statuer.

5. Ensuite, en l'absence de disposition le prévoyant expressément, l'article 11 du code de procédure pénale ne peut faire obstacle au pouvoir et au devoir qu'a le juge administratif de joindre au dossier, sur production spontanée d'une partie, des éléments d'information recueillis dans le cadre d'une procédure pénale et de statuer au vu de ces pièces après en avoir ordonné la communication pour en permettre la discussion contradictoire. Dès lors, à supposer même que les pièces produites par la SA Clemessy soient couvertes par le secret de l'instruction, les conclusions tendant à ce qu'elles soient écartées du dossier doivent être rejetées.

Sur le bien fondé du jugement :

6. En premier lieu, la conduite d'opérations d'expertise est soumise, en vertu de dispositions législatives et réglementaires qui n'ont d'autre but que d'assurer la régularité de la procédure, au contrôle de l'autorité judiciaire qui a procédé à la désignation de l'expert. Il ne ressort pas du jugement du 3 décembre 2015 du tribunal administratif de Rouen, d'une part, que ce dernier se serait prononcé sur la régularité de l'expertise judiciaire effectuée par M.I..., ingénieur en électronique et informatique désigné par le tribunal de grande instance de Mulhouse, en se bornant à préciser que " l'expertI..., a opéré dans le respect de la procédure contradictoire et le respect de la confidentialité qui s'attache au droit syndical, sous le contrôle de l'autorité judiciaire " et, d'autre part, que l'irrégularité alléguée par M.K..., au demeurant non reconnue par le juge judiciaire, faisait obstacle à ce que ce rapport d'expertise soit retenu à titre d'élément d'information et à ce que, le ministre chargé du travail et l'employeur ayant pu présenter leurs observations au cours de la procédure écrite qui a suivi le dépôt du rapport et la juridiction administrative disposant maintenant des éléments d'information nécessaires à la solution du litige, il soit statué au fond. Ainsi, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif se serait prononcé sur la régularité de l'expertise et de ce qu'elle serait irrégulière doit être écarté.

7. En deuxième lieu, en vertu des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. Dans le cas où des investigations complémentaires ont été diligentées par l'employeur, elles ne sont de nature à justifier un report du déclenchement de ce délai que si elles sont nécessaires à la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié. Il appartient alors au juge du fond d'apprécier cette nécessité et, dans le cas où il estime ces investigations inutiles, de déclarer la poursuite pour motif disciplinaire prescrite.

8. Il ressort des pièces du dossier que si les faits reprochés à M. K...se sont déroulés en septembre et octobre 2010, la SA Clemessy n'a pu avoir connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur de ces faits que le 19 avril 2012, date à laquelle elle a eue connaissance des conclusions provisoires de l'expertise effectuée par M.I.... Ainsi, les faits n'étaient pas prescrits lorsque la SA Clemessy a convoqué M. K...à l'entretien préalable en vue de son licenciement le 10 mai 2012, en application des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail.

9. En dernier lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un acte ou un comportement du salarié survenu en dehors de l'exécution de son contrat de travail, notamment dans le cadre de l'exercice de ses fonctions représentatives, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits en cause sont établis et de nature, compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l'entreprise, à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé.

10. Il ressort des pièces du dossier que, le 28 septembre 2010, MmeB..., gestionnaire ressources humaines de la société Clemessy, affectée à l'agence de Bihorel, a constaté, à son retour dans l'entreprise le 28 septembre 2010, qu'elle avait reçu les accusés de réception de six courriers électroniques provenant de l'ordinateur attribué à M.K..., alors que ce dernier n'était pas destinataire de ces courriels. M.E..., ingénieur en automatismes et collègue de M. K...était parvenu à s'introduire dans les dossiers et fichiers des ordinateurs de membres du personnel, en particulier ceux de Mme B... et de M. G..., directeur de l'agence de Clemessy de Bihorel, et a reconnu avoir optimisé le système de transfert des dossiers de ces deux cadres, en installant sur son ordinateur un dispositif de détection des données nouvelles, afin de les copier automatiquement et de procéder au transfert de fichiers et courriers électroniques. En outre, M. K...a reconnu avoir consulté les six courriers électroniques adressés à MmeB.... Il ressort aussi du rapport d'expertise du 29 mai 2012 et des déclarations de M. E...que, entre le 23 septembre et le 20 octobre 2010, quatre clés USB contenant des milliers de courriers électroniques de Mme B...et de M. G...avaient été échangées entre M. K...et M.E.... Malgré l'utilisation d'un logiciel de nettoyage de disque dur par les intéressés, de nombreuses traces de ces fichiers ont d'ailleurs été retrouvées sur l'ordinateur de M.K.... Si ce dernier soutient encore, en cause d'appel, qu'il n'avait pas connaissance du contenu des clés USB, il est constant, au regard des déclarations de M.E..., que M. K... avait bien connaissance de ses agissements et qu'il a consulté à plusieurs reprises les données informatiques, dont certaines de nature privée et confidentielle, de MmeB..., gestionnaire des ressources humaines. Ainsi, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la matérialité des faits reprochés à M. K...est avérée.

11. Un agissement du salarié intervenu en dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de son contrat de travail. Le fait, pour un salarié de consulter, à plusieurs reprises, des données informatiques confidentielles de ses collègues, doit être regardé comme une méconnaissance par l'intéressé de ses obligations contractuelles à l'égard de son employeur. Ces faits, dont la matérialité est établie au regard du point 12, doivent, dès lors être regardés comme un manquement à l'obligation de loyauté à l'égard de la SA Clemessy, qui découle de son contrat de travail, sans que M. K...ne puisse invoquer la protection due aux lanceurs d'alerte. Ils sont par suite constitutifs d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de M.K.... Dans ces conditions, la décision de l'inspecteur du travail du 31 août 2012 devait être annulée.

12. Le moyen tiré de ce que le maintien de M. K...au sein de la SA Clemessy est possible, est inopérant.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. K...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision du 31 juillet 2012 par laquelle l'inspecteur du travail de la 7e section de la Seine-Maritime a refusé d'autoriser son licenciement.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la SA Clemessy, qui n'est pas partie perdante, le versement à M. K... de la somme de 3 000 euros qu'il demande au titre des frais exposés. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. K...le versement à la SA Clemessy d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT est admise.

Article 2 : La requête de M. K...est rejetée.

Article 3 : M. K...versera à la SA Clemessy la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. J...K..., à la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT, à la SA Clemessy et à la ministre du travail.

Copie sera adressée, pour information, au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts-de-France.

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N°16DA00193

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16DA00193
Date de la décision : 08/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Paul Louis Albertini
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : CABINET BRIHI-KOSKAS et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-11-08;16da00193 ?
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