La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/10/2018 | FRANCE | N°16DA01339

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre - formation à 3, 11 octobre 2018, 16DA01339


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Douai a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement Electricité de France (EDF) et Electricité Réseau Distribution France (ERDF) à lui verser la somme de 10 479 853 euros, majorée des intérêts légaux avec anatocisme et, à titre subsidiaire, de fixer le montant de la redevance d'occupation du domaine public communal dont auraient dû s'acquitter ces sociétés depuis près d'un siècle par équivalence des sommes dont s'est acquittée illégalement la collectivité

.

Par un jugement n° 1307586 du 23 mai 2016, le tribunal administratif de Lille ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Douai a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement Electricité de France (EDF) et Electricité Réseau Distribution France (ERDF) à lui verser la somme de 10 479 853 euros, majorée des intérêts légaux avec anatocisme et, à titre subsidiaire, de fixer le montant de la redevance d'occupation du domaine public communal dont auraient dû s'acquitter ces sociétés depuis près d'un siècle par équivalence des sommes dont s'est acquittée illégalement la collectivité.

Par un jugement n° 1307586 du 23 mai 2016, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande et mis à la charge de la commune une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 juillet 2016, et un mémoire, enregistré le 29 mai 2017, la commune de Douai, représentée par Me C...D..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement en ce qu'il a rejeté sa demande indemnitaire fondée sur la mise en oeuvre de l'article 12 du cahier des charges annexé à la convention de concession de service public du 17 décembre 1923 ;

2°) d'annuler l'article 2 du même jugement qui a mis à sa charge une somme de 2 000 euros à Electricité de France au titre des frais liés au litige ;

3°) de condamner Electricité de France à lui verser la somme de 10 479 853 euros majorée des intérêts légaux avec anatocisme en réparation du préjudice subi ;

4°) à titre subsidiaire, avant dire droit, ordonner la réalisation d'une expertise et enjoindre à Electricité de France dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir et, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, de communiquer l'intégralité des factures émises depuis les trente dernières années à l'encontre de la commune de Douai ;

5°) de mettre à la charge d'Electricité de France la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'énergie ;

- la loi n°46-628 du 8 avril 1946 ;

- le décret n°60-1288 du 22 novembre 1960;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michel Richard, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur public,

- et les observations de Me C...D..., représentant la commune de Douai, de Me A...F..., représentant Electricité de France, et de Me B...E..., représentant Electricité Réseau Distribution France.

Considérant ce qui suit :

1. Par un contrat de concession du 17 décembre 1923, la commune de Douai a attribué à la société Saint-Quentinoise d'éclairage et de chauffage la concession du service public de la distribution de l'électricité sur son territoire pour une durée de quarante ans. Cette durée a commencé à courir à compter du jour d'approbation du contrat par le préfet, soit le 9 janvier 1924. Le cahier des charges annexé à la concession, conçu sur le modèle alors en vigueur, a fixé les conditions d'exploitation. En outre, une convention pour l'éclairage public a été conclue entre les parties le même jour. Elle a prévu, au titre des conditions tarifaires, la fourniture à la ville par le concessionnaire d'une gratuité partielle d'électricité au regard des besoins constatés en 1923. Electricité de France (EDF) a été substituée à cette société, comme titulaire du contrat de concession, par application de la loi du 8 avril 1946 portant nationalisation et création d'un monopole pour le transport et la distribution de l'électricité en France. Par une délibération du 18 février 1952, la ville de Douai a adopté un premier avenant au contrat de concession ayant pour objet, dans un contexte de rénovation de l'éclairage public et d'augmentation de sa puissance, " d'annuler " la convention d'éclairage public du 17 décembre 1923 et d'intégrer notamment les avantages tarifaires consentis dans l'article 12 du cahier des charges modifié. Cet avenant, signé par les parties le 29 mai 1952, a été approuvé par le préfet le 27 mars 1953. Il était ainsi prévu que la commune qui " s'engage à prendre au concessionnaire toute l'énergie électrique nécessaire à ses services " bénéficierait d'une réduction de 20 à 25 % sur le tarif applicable aux particuliers pour l'éclairage des voies publiques et des bâtiments communaux. Il était également stipulé que la ville de Douai bénéficierait de 105 000 kwh gratuits pour l'année 1952 avec une augmentation de 700 kwh par année à compter de 1953 et dans la limite de 25% de l'énergie totale fournie pour l'éclairage public.

2. La commune de Douai relève appel du jugement du 23 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de Lille, par l'article 1er de son jugement, a rejeté sa demande en tant que, présentée sur le fondement contractuel, elle tendait à ce qu'Electricité de France lui verse la somme de 10 479 853 euros, calculée à compter de l'année 1984, correspondant aux remises tarifaires que le concessionnaire avait décidé à tort de ne plus lui appliquer depuis le 9 janvier 1964, date prévue pour l'expiration de la concession. La commune de Douai relève également appel de l'article 2 du jugement qui met à sa charge une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur l'application des stipulations tarifaires prévues à l'article 12 du cahier des charges de la concession :

3. La commune de Douai fonde sa demande indemnitaire sur la double circonstance que la convention de concession est restée en vigueur par tacite reconduction après son échéance prévue au 9 janvier 1964 et que les stipulations de l'article 12 du cahier des charges mentionnées au point 1 sont restées inchangées depuis cette date. Tout en limitant ses prétentions à la période courant à compter de l'année 1984, la commune en déduit qu'Electricité de France doit être condamnée à l'indemniser du montant correspondant à celui des avantages tarifaires contenus à l'article 12 dont elle aurait dû bénéficier au cours du temps.

4. Il est constant que les conditions d'exploitation contenues dans le cahier des charges annexé à la concession ont fait l'objet d'un avenant n° 2 relatif à la tension et à la fréquence du courant et qu'un avenant n° 3 a été approuvé par le conseil municipal de la ville de Douai, le 5 décembre 1960, reprenant les termes du mémorandum signé entre les parties en décembre 1959, afin de mettre fin à des divergences d'interprétation apparues entre la ville et son concessionnaire sur plusieurs points techniques tels que la prise en charge de l'allumage et de l'extinction de l'éclairage, le remplacement des lampes, l'entretien des appareils d'éclairage, des consoles et des candélabres. Il était d'ailleurs convenu entre les parties, au point 8 de ce document, que les accords relatifs à l'éclairage public " se termineront au plus tard à la date d'expiration de l'actuel cahier des charges de concession, soit le 9 janvier 1964, ou deviendront caducs en cas de révision lors de la parution du nouveau cahier des charges prévu par l'art 37 de la loi du 8 avril 1946 ". La commune intention des parties n'était donc pas, à la lumière de ces accords, de maintenir les avantages tarifaires antérieurement consentis au-delà du 9 janvier 1964.

5. Il résulte également de l'instruction qu'à la suite de l'intervention du décret du 22 janvier 1960 approuvant un nouveau cahier des charges type pour la concession à EDF des distributions d'énergie électriques et fixant la procédure à suivre pour réviser des cahiers des charges en vigueur, - procédure ensuite précisée par des circulaires des 26 décembre 1960 et 14 février 1961 -, EDF a saisi, par une lettre du 25 mai 1961, la commune d'une demande de révision du cahier des charges de la concession. Il résulte également d'une étude réalisée à la même époque par EDF à partir d'une situation au 31 décembre 1961 sur les " conditions tarifaires à consentir à la ville ", vraisemblablement dans le cadre des négociations pour la révision du cahier des charges, que le maintien des avantages tarifaires existants contenus à l'article 12 par rapport à l'application d'un nouveau tarif dit " bénévole " se révélait moins intéressant pour la ville, sans en outre, que le cumul d'une tranche gratuite avec le " tarif bénévole " soit envisagé.

6. Dans le cadre des négociations entamées dès la fin de l'année 1959 pour la définition de la nouvelle convention de concession, la commune de Douai a adopté une délibération du 5 décembre 1960 qui avalise, sur le principe, les nouvelles modalités de rénovation et de financement de l'éclairage public de la ville impliquant la fin de la participation d'EDF aux dépenses d'entretien et de consommation d'éclairage public prévues au cahier des charge moyennant une participation à la première tranche de travaux de 150 000 nouveaux francs et qui autorise la signature, avec EDF de conventions nécessaires à l'exécution du programme de rénovation.

7. Ultérieurement, lors de la séance du 1er mars 1962, le maire de Douai a également rappelé au conseil municipal que les anciens cahiers des charges allaient être dénoncés et a présenté les termes d'un accord conclu avec EDF selon lequel la participation de 150 000 nouveaux francs serait versée par EDF dès l'approbation du nouveau cahier des charges. Il a précisé que la ville pourrait bénéficier de l'application d'un " tarif particulièrement intéressant " prévu pour l'éclairage public sous réserve de prendre en charge l'entretien de ces installations. Par la délibération du même jour, le maire a été autorisé à signer ces accords. Aux termes de cette délibération, " les anciens cahiers des charges sont dénoncés ". La signature de cette nouvelle convention entre la commune de Douai et EDF, soumise à approbation préfectorale, est attestée par une lettre du 26 décembre 1963 du sous-préfet de Douai. L'instruction n'a toutefois pas permis de retrouver un exemplaire de cette convention. Il n'est en tout état de cause pas établi ni même allégué que le préfet aurait refusé de l'approuver.

8. A la suite d'une mesure d'instruction diligentée par la cour, la commune a produit un projet de convention qu'il est difficile de rattacher à une délibération précise, et qui est ni daté, ni signé. Il comprend une nouvelle rédaction de l'article 12 qui reprend les avantages tarifaires précédents mais prévoit également que " le concessionnaire s'engage à faire bénéficier la Ville de tout tarification plus avantageuse que celle définie ci-dessus [c'est-à-dire avec réduction de tarifs de 25 ou 20 % par rapport aux tarifs des particuliers] et qui serait consentie par EDF sur le plan national " pour l'alimentation du réseau d'éclairage public, avec une application automatique ou après information de la commune, selon les cas.

9. Par ailleurs, par une lettre du 3 janvier 1964, le maire de Douai a remercié EDF du versement d'une participation 150 000 nouveaux francs correspondant aux frais de modernisation des installations d'éclairage public de la ville de Douai, qui, selon toute vraisemblance, correspond à la participation évoquée aux points 6 et 7. Ce versement semble ainsi corroborer la mise en oeuvre des nouvelles conditions tarifaires entre les parties.

10. Enfin, aucune pièce du dossier ne confirme que les anciens avantages tarifaires tels que prévus par l'article 12 initial du cahier des charges annexé à la concession auraient continué à recevoir application après le 9 janvier 1964. En revanche, d'autres documents conduisent à constater leur abandon au profit de tarifs nationaux plus avantageux consentis par EDF. En particulier, un courrier du 18 mai 1967 adressé par EDF à la commune de Douai fait état de la mise en place du tarif universel devant conduire à un abaissement sensible des tarifs " actuellement consentis " à la ville et chiffre ces gains à environ 45 000 F. Il comporte une formule finale selon laquelle " sauf avis contraire de votre part, nous vous ferons bénéficier de ces nouveaux tarifs dès le prochain relevé de facturation ". Dans sa réponse du 24 mai 1967, la commune indique clairement souhaiter en bénéficier.

11. Il résulte de l'ensemble de ces éléments, d'une part, qu'une nouvelle convention de concession semble avoir été effectivement conclue fin 1963 en faveur du maintien d'un régime de concession comportant de nouvelles clauses tarifaires. D'autre part et en tout état de cause, il en résulte également que la commune intention des parties a clairement été de mettre fin au plus tard le 9 janvier 1964 aux stipulations tarifaires antérieures pour leur substituer de manière préférentielle un nouveau régime tarifaire excluant le maintien spécifique des réductions tarifaires propres à la ville de Douai au profit de modalités tarifaires communes plus avantageuses. La pratique constante confirme cette évolution.

12. Au demeurant, la société Electricité de France a, par un courrier du 1er février 1995, transmis à la commune, après que celle-ci eut sollicité le retour aux anciennes clauses, indiqué à celle-ci que " l'abandon des anciennes clauses de l'article 12 l'ont été dans l'intérêt de la ville de Douai en accord avec les autorités municipales (...) / remplacement en 1962 des dispositions particulières se rapportant à la fourniture de l'énergie en EP ( énergie gratuite et - 25% sur le tarif des particuliers) par une nouvelle tarification (tarif bénévole) qui s'est soldé par un gain financier de 31% sur la facture d'énergie EP de la commune ".

13. Enfin, si la commune de Douai fait valoir que d'autres stipulations contractuelles de la convention de concession de 1924 ont été maintenues et ont pu recevoir application comme celles de l'article 22 du cahier des charges propre au régime des biens de retour, dont la commune requérante s'est notamment prévalue dans le cadre du litige l'opposant à ERDF ayant donné lieu à la décision n° 342788 du 21 décembre 2012 rendue en Assemblée par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, cette circonstance est par elle-même sans incidence sur le maintien des stipulations de l'article 12 du cahier des charges dont dépend le règlement du présent litige et qui, comme il a été dit, ont fait l'objet d'une évolution distincte.

14. Il résulte de tout ce qui a été dit que la commune de Douai n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort qu'Electricité de France ne lui a plus fait application, à compter du 9 janvier 1964, des stipulations tarifaires précisées à l'article 12 de l'ancien cahier des charges de la concession.

15. Par conséquent, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription opposée par Electricité de France ou sur les conclusions subsidiaires de la commune tendant, notamment, à ce qu'une expertise soit ordonnée, que la commune de Douai n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation d'Electricité de France à lui verser la somme de 10 479 853 euros.

Sur les conclusions dirigées contre l'article 2 du jugement relatif aux frais exposés en première instance :

16. Ayant eu la qualité de partie perdante devant le tribunal administratif de Lille, la commune de Douai n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a mis à sa charge une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les frais liés au litige d'appel :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge d'Electricité de France qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune de Douai demande au titre des frais liés au litige.

18. En revanche, il y a lieu, sur le fondement de ces dernières dispositions, de mettre à la charge de la commune de Douai le paiement de la somme de 2 000 euros à Electricité de France au titre des mêmes frais.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Douai est rejetée.

Article 2 : la commune de Douai versera à Electricité de France une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Douai, à Electricité de France et à Electricité Réseau Distribution France.

N°16DA01339 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16DA01339
Date de la décision : 11/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05 Marchés et contrats administratifs. Exécution financière du contrat.


Composition du Tribunal
Président : M. Yeznikian
Rapporteur ?: M. Michel Richard
Rapporteur public ?: Mme Fort-Besnard
Avocat(s) : SCP BIGNON LEBRAY et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-10-11;16da01339 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award