Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F...E...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 juin 2012 par laquelle le président du conseil général du Nord l'a placé en disponibilité sans traitement pour convenance personnelle pour une durée de trois ans, de condamner le département du Nord à lui verser une indemnité de 135 000 euros avec intérêt au 2 décembre 2012 en réparation du préjudice subi du fait des conditions de traitement de son dossier depuis son arrêt de travail du 8 juillet 2011 et d'enjoindre sous astreinte à cette collectivité de reconnaître sa maladie professionnelle ;
Par un jugement n° 1302945 du 30 juin 2015 le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 26 août 2015 et régularisée par un mémoire le 10 septembre 2015, M. E..., représenté par Me A...B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 18 juin 2012 par laquelle le président du conseil général du Nord l'a placé en disponibilité sans traitement pour convenance personnelle pour une durée de trois ans ;
3°) d'enjoindre au département Nord de procéder à la régularisation de sa situation administrative en reconnaissant, sous astreinte, sa maladie professionnelle ;
4°) de condamner le département du Nord à lui verser une indemnité de 135 000 eurros avec intérêt au taux légal au 2 décembre 2012 en réparation des préjudices subis ;
5°) de mettre à la charge du département du Nord la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 86-68 du 13 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public ;
- et les observations de Me A...B..., représentant M. F...E..., et de Me C...D..., représentant le département du Nord.
Une note en délibéré présentée par le département du Nord a été enregistrée le 21 septembre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. M. F...E...a exercé des fonctions de technicien principal de 1ère classe au sein de l'unité territoriale de Douai de la direction opérationnelle des travaux (DOT) du département du Nord. Il a été chargé, à partir de janvier 2011, de l'opération de rénovation des locaux de l'ancien institut universitaire de formation des maitres (IUFM) destinés à accueillir des services du département. Une grande quantité d'amiante friable a été découverte lors de ces travaux. M. E...relève appel du jugement du 30 juin 2015 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 juin 2012 le plaçant en disponibilité sans traitement pour convenance personnelle pour une durée de trois ans, à la condamnation du département du Nord à lui verser une indemnité totale de 135 000 euros avec intérêt au 2 décembre 2012 en réparation du préjudice subi du fait des conditions de traitement de son dossier depuis son arrêt de travail du 8 juillet 2011 et à ce qu'il soit enjoint sous astreinte à cette collectivité de reconnaître sa maladie professionnelle.
Sur la régularité du jugement :
2. Le juge, auquel il incombe de veiller à la bonne administration de la justice, n'a aucune obligation, hormis le cas où des motifs exceptionnels tirés des exigences du débat contradictoire l'imposeraient, de faire droit à une demande de report de l'audience formulée par une partie. En l'espèce, il résulte de l'instruction que M. E...a demandé par un mémoire enregistré le 8 juin 2015 le renvoi de l'audience du tribunal administratif de Lille prévue le 16 juin 2015 au motif que, par un avis du 21 mai 2015 transmis le 4 juin 2015, la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) avait formulé un avis favorable à sa demande de communication de documents. Ceux-ci concernaient le dossier technique relatif à l'amiante depuis 2001 au sein du bâtiment U de l'ancien IUFM de Douai, au rapport de l'enquête initiale de l'inspection générale des services du département du Nord à l'origine du courrier du 29 décembre 2011 du président du conseil général, au rapport de la seconde enquête de ce service effectuée entre le 13 janvier 2012 et le mois de juillet 2012, aux décisions prises à l'égard du directeur de la direction opérationnelle des travaux, ainsi qu'au dossier administratif et au dossier médical du demandeur depuis janvier 2011. La CADA relevait en outre l'intention du président du conseil départemental du Nord de procéder prochainement à la communication de ces documents à M.E.... Dans les circonstances très particulières de l'espèce, la demande de renvoi de l'audience constituait, d'une part, un motif exceptionnel tiré des exigences du débat contradictoire qui imposait, de faire droit à cette demande de report de l'audience. D'autre part, le tribunal administratif, qui a visé le mémoire du 8 juin 2015 de M.E..., a omis de se prononcer sur ses conclusions à fin de renvoi. Le jugement est irrégulier et doit, dès lors, être annulé.
3. Dès lors, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les parties tant devant le tribunal administratif de Lille que devant la cour.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
4. Aux termes de l'article 21 du décret n° 86-68 du 13 janvier 1986 relatif aux positions de détachement, hors cadres, de disponibilité, de congé parental des fonctionnaires territoriaux et à l'intégration : " La mise en disponibilité sur demande de l'intéressé peut être accordée, sous réserve des nécessités du service, dans les cas suivants : (...) b) Pour convenances personnelles : la durée de la disponibilité ne peut dans ce cas excéder trois années ; elle est renouvelable, mais la durée de la disponibilité ne peut excéder au total dix années pour l'ensemble de la carrière ". Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa version alors en vigueur : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) "
5. La décision du 18 juin 2012 plaçant M. E...en position de disponibilité à sa demande pour une durée du trois années, notifiée le 20 juin 2012, comportait la mention des voies et délais de recours. Le département du Nord est dès lors fondé à lui opposer la tardiveté de sa requête en annulation de cette décision, déposée le 14 mai 2013 devant le tribunal administratif de Lille. M.E..., qui a demandé dans son mémoire introductif d'instance l'annulation de cette décision ne peut, en outre, modifier le sens de ses conclusions sur ce point en cours d'instance, afin de répondre à cette fin de non-recevoir.
6. Dans un rapport du 8 juillet 2011, le médecin de prévention du département du Nord, a évoqué, à propos de l'amiante présent dans le bâtiment en travaux, " un risque professionnel que je découvre aujourd'hui ". M.E..., qui n'a saisi l'administration d'aucune demande de reconnaissance de maladie professionnelle imputable au service, ne peut sérieusement soutenir que les termes de ce rapport révèleraient une décision concernant une telle reconnaissance. Le département du Nord est, par suite, fondé à soutenir que le contentieux n'est pas lié en ce qui concerne la demande de reconnaissance de maladie professionnelle de M.E..., qui au demeurant, ne produit aucun document médical en dehors d'un certificat médical du 2 mars 2015 faisant état d'un symptôme dépressif sévère. Ses conclusions à fin d'annulation du refus de reconnaissance d'une maladie professionnelle due à l'amiante, pour laquelle, au demeurant, il ne produit aucun document médical, doivent être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires :
7. Aux termes de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligation des fonctionnaires, dans sa version alors en vigueur : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire (...). La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ".
8. Par une demande préalable du 30 octobre 2012, rejetée par une décision explicite du 5 février 2013 du département du Nord, laquelle ne comportait aucune mention des voies et délais de recours, M. E...a explicitement demandé à son employeur le bénéfice des dispositions précitées, au motif que la loi imposait à la personne publique au bénéfice de son agent une double obligation consistant à un devoir d'assistance et à un devoir de réparation. Le devoir de réparation suppose une protection fonctionnelle, qui n'a pas pour seul effet de faire cesser les attaques subies auquel l'agent est exposé, mais aussi de lui assurer une réparation adéquate des torts qu'il a subis.
9. En cause d'appel, M. E...produit le rapport établi le 6 septembre 2012 par les services de l'inspection générale des services, communiqué suite à l'avis de la CADA du 21 mai 2015 cité au point 2. Il ressort de ce document que ce fonctionnaire territorial a été mis à l'écart du fait de ses mises en garde lors du chantier de travaux de l'ancien IUFM. Il soutenait que le désamiantage des bâtiments U et Q, destinés à accueillir les services de la direction territoriale de prévention et d'action sociale du département du Nord, était nécessaire, du fait de la présence d'amiante friable en grande quantité. Ces mises en garde répétées ont été à l'origine d'une situation conflictuelle avec sa hiérarchie. Toutefois, il résulte de l'instruction que " pour l'inspection, les mises en garde opérées par M. E...étaient justifiées en sa qualité de responsable du chantier et au regard du contexte, le risque sanitaire et une hiérarchie défaillante ". En outre, après un congé maladie du 8 juillet 2011 au 11 janvier 2012, M. E...a voulu retrouver son poste à l'unité territoriale de Douai. Le 12 janvier 2011, il découvrait son bureau occupé par quelqu'un d'autre et il était informé, le lendemain, que l'unité territoriale de Douai refusait sa réintégration. Ce rapport précise aussi que l'un de ses supérieurs a écrit à son sujet : " J'exige qu'une sanction disciplinaire soit demandée compte tenu de ses accusations diffamatoires ". M. E...a alors été muté, dans différentes affectations provisoires, entre mi-janvier et mai 2012, non en raison de sa personnalité affirmée, ainsi que le soutient en défense le département du Nord, mais afin de l'écarter de son poste, ainsi que l'établit le rapport de l'inspection générale des services du département. Son rapport, qui signale " la pression morale subie avant l'été 2011 " par M.E..., conclut que " ces éléments véhiculés à la DOT de Douai ont conduit à une mise au ban de cet agent par l'ensemble des chefs d'unités territoriales solidaires de leur directeur et de leurs trois collègues concernés (...). Le changement d'affectation de M. E...est intervenu sans prise en considération des conditions réglementaires et jurisprudentielles entourant la mutation interne d'un agent territorial. La légalité de la décision pose problème a tout le moins, elle aurait probablement dû être soumise à l'avis de la commission administrative paritaire ". Le rapport, dans ses préconisations finales, conclut que " M. F...E...doit être réhabilité. Il a alerté à bon escient sa hiérarchie et ses interventions sont à l'origine du désamiantage ". Le département du Nord, dans ses écritures en défense, se borne à affirmer que l'attitude de M. E...a été " génératrice de tension ". M. E...est, depuis ces faits, maintenu en position de disponibilité sur sa demande, et souffre d'un syndrome dépressif sévère, ainsi qu'il résulte du certificat médical précité du 2 mars 2015.
10. En l'absence de service fait, M. E...ne peut prétendre au paiement des traitements et indemnités dont il a été privé du fait de sa mise en disponibilité. Ses conclusions à fin de paiement des traitements et indemnité ne peuvent qu'être rejetées.
11. Fonctionnaire titulaire ainsi qu'il est dit au point 1, M. E...ne peut non plus prétendre à une indemnité au titre de la rupture de son contrat de travail, les fonctionnaires étant dans une situation statutaire et réglementaire.
12. M. E...a toutefois droit à la réparation intégrale des préjudices que lui a causés le défaut de protection fonctionnelle de son employeur. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles de toute nature dans ses conditions d'existence en relation avec la situation décrite aux points 8 et 9 par l'allocation d'une indemnité de 25 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal au 2 décembre 2012, date de la réception de la demande de M. E...par le département du Nord.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. E...est seulement fondé à demander à être indemnisé du préjudice résultant défaut de protection fonctionnelle de son employeur dans les conditions fixées au point 13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département du Nord le versement à M. E...d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions du département, partie perdante, tendant à l'application de ces dispositions doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 30 juin 2015 est annulé.
Article 2 : Le département du Nord est condamné à verser à M. E...une indemnité de 25 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 2 décembre 2012.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. E...est rejeté.
Article 4 : Le département du Nord versera à M. E...une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F...E...et au président du conseil départemental du Nord.
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