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25/09/2018 | FRANCE | N°18DA00915

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4e chambre - formation à 3, 25 septembre 2018, 18DA00915


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...et Mme F...B...néeC..., son épouse, ont demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, les arrêtés du 21 novembre 2017 par lesquels le préfet de l'Aisne leur a refusé à chacun la délivrance d'un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et à fixé le pays à destination duquel ils pourraient être reconduits d'office, d'autre part, de faire injonction au préfet de l'Aisne de leur déliv

rer un titre de séjour.

Par un jugement nos 1703539, 1703540 du 23 janvier 2018...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...et Mme F...B...néeC..., son épouse, ont demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, les arrêtés du 21 novembre 2017 par lesquels le préfet de l'Aisne leur a refusé à chacun la délivrance d'un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et à fixé le pays à destination duquel ils pourraient être reconduits d'office, d'autre part, de faire injonction au préfet de l'Aisne de leur délivrer un titre de séjour.

Par un jugement nos 1703539, 1703540 du 23 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 mai 2018, M. et MmeB..., représentés par Me E...D..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens du 23 janvier 2018 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les arrêtés du préfet de l'Aisne du 21 novembre 2017 ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Aisne de leur délivrer, dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ".

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A...B..., ressortissant kosovar né le 30 septembre 1979, et Mme F...B...néeC..., son épouse, une compatriote née le 6 août 1983, ont déclaré être tous deux entrés sur le territoire français le 9 février 2015 afin d'y solliciter l'asile. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté leurs demandes le 8 décembre 2015, par des décisions qui ont été confirmées le 7 mars 2017 par la Cour nationale du droit d'asile. Toutefois, Mme B...ayant rencontré de graves problèmes de santé, elle a sollicité du préfet de l'Aisne la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et M. B...a demandé à la même autorité de lui permettre de se maintenir régulièrement sur le territoire français afin d'accompagner son épouse. Cependant, par deux arrêtés du 21 novembre 2017, le préfet de l'Aisne leur a refusé la délivrance d'un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils pourraient être reconduits d'office. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 23 janvier 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens, après avoir joint l'examen de leurs demandes, les a rejetées.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Les dispositions des articles R. 776-14 et suivants du code de justice administrative prévoient notamment que, lorsqu'un ressortissant étranger, qui a saisi le tribunal administratif territorialement compétent pour connaître de sa situation d'un recours dirigé contre le refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet, est placé en rétention ou est assigné à résidence dans le ressort de ce tribunal, le jugement des conclusions que l'intéressé a présentées à l'encontre de la mesure d'éloignement, de la décision fixant le pays de destination et, le cas échéant, de la mesure de privation de liberté intervient à l'issue de la procédure organisée par ces dispositions. En vertu de celles-ci, il est statué sur ces conclusions par un magistrat statuant seul, désigné par le président du tribunal, sans conclusions de rapporteur public. En revanche, cette procédure spécifique ne trouve pas à s'appliquer lorsque le requérant ne fait l'objet d'aucune mesure privative de liberté. Enfin il ne peut, dans tous les cas, être statué valablement sur la légalité de la décision de refus de séjour que par une formation collégiale du tribunal.

3. Par le jugement attaqué du 23 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens a statué seul sur la légalité des arrêtés du préfet de l'Aisne du 21 novembre 2017 faisant obligation à M. et Mme B...de quitter le territoire français, alors pourtant que le préfet n'avait prescrit, à l'égard des intéressés, aucune mesure privative de liberté qui aurait justifié que la demande des intéressés soit jugée selon la procédure prévue aux articles R. 776-14 et suivants du code de justice administrative, et qu'il s'est, en outre, également prononcé sur la légalité des refus de séjour opposés, par les mêmes arrêtés, aux intéressés. Or, de telles demandes ne pouvaient, comme il a été dit au point précédent, être examinées que par une formation collégiale de ce tribunal. Il suit de là que ce jugement a été rendu par une formation de jugement irrégulièrement composée. Il y a, dès lors, lieu de l'annuler, et, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions ainsi présentées par M. et Mme B...devant le tribunal administratif d'Amiens.

Sur la légalité des arrêtés en litige :

En ce qui concerne l'état de santé de MmeB... :

4. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) " et aux termes de l'article L. 511-4 de ce code : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) / 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; / (...) ".

5. Pour refuser, par l'arrêté du 21 novembre 2017 pris à l'égard de MmeB..., de délivrer à celle-ci un titre de séjour pour raison de santé, le préfet de l'Aisne a estimé, au vu notamment d'un avis émis le 13 novembre 2017 par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), versé au dossier, que, si l'état de santé de Mme B... rendait nécessaire une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle pourrait, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé existant dans le pays dont elle est originaire, y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.

6. Il ressort des pièces du dossier que Mme B...a présenté un carcinome au niveau du sein droit, diagnostiqué le 31 décembre 2015, qui a rendu nécessaire la mise en oeuvre d'une chimiothérapie néoadjuvante, puis la réalisation d'une tumorectomie avec curage axillaire droit, enfin, d'une radiothérapie locorégionale. Par un avis médical établi le 17 mars 2017 et porté à la connaissance du collège médical de l'OFII, le docteur Jouannaud, médecin oncologue exerçant à l'institut de cancérologie Jean Godinot de Reims, a précisé qu'au terme de ce parcours de soins, Mme B...devrait désormais faire l'objet d'une surveillance clinique tous les quatre mois et d'une surveillance radiologique par mammo-échographie tous les ans. Il ressort, en outre, des pièces du dossier que Mme B...présente un état dépressif sévère pour partie liée à la pathologie cancéreuse dont elle a été atteinte et à la prise en charge médicale lourde qu'elle a subie.

7. Cependant, Mme B...soutient que cet état de santé a connu, depuis la date du 13 novembre 2017 à laquelle le collège médical de l'OFII a émis son avis, une aggravation liée à une récidive de sa pathologie cancéreuse, ce que les pièces du dossier, notamment un certificat médical, rédigé le 1er décembre 2017 par le docteur Delbende, médecin généraliste, confirment, en précisant que Mme B...a dû subir une mastectomie complète le 22 novembre 2017. Toutefois, si ce certificat médical précise qu'à la suite de cette nouvelle intervention, un suivi médical rapproché et très spécialisé en oncologie devra être mis en place et une mastectomie gauche à visée prophylactique sera nécessaire, ce document n'est pas, à lui seul, de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le préfet de l'Aisne selon laquelle Mme B...pourrait, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé existant dans le pays dont elle est originaire, y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Le préfet de l'Aisne a d'ailleurs produit, pour justifier du bien-fondé de cette appréciation, des éléments d'information issus, d'une part, d'un rapport publié le 6 juin 2016 par le service fédéral intérieur du Royaume de Belgique, d'autre part, de la banque mondiale de données médicales dénommée MEDCOI (medical country of origin information), selon lesquels une prise en charge complète des pathologies cancéreuses, incluant notamment la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie, est disponible gratuitement au Kosovo et les pathologies dépressives et psychiatriques y font l'objet d'une prise en charge complète, à titre gratuit ou à moindre coût. Enfin, alors que, comme il a été dit au point 1, les demandes d'asile formées par les intéressés ont été rejetées par des décisions définitives, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile ayant estimé que les craintes qu'ils exprimaient, par un récit peu personnalisé et peu convaincant, n'étaient pas fondées, il n'est pas établi que les troubles dépressifs dont souffre Mme B...seraient liés à des événements vécus par elle dans son pays d'origine. Il suit de là que le moyen tiré de ce que Mme B...aurait figuré, à la date à laquelle l'arrêté du 21 novembre 2017 en litige a été pris à son égard, parmi les ressortissants étrangers visés par les dispositions précitées de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui ne peuvent faire légalement l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, doit être écarté. Pour le même motif et à supposer que Mme B...ait entendu soulever le moyen tiré de ce que le refus de séjour prononcé par cet arrêté aurait été pris en méconnaissance des dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 de ce code, un tel moyen ne pourrait qu'être écarté.

En ce qui concerne l'atteinte portée à la vie privée et familiale des intéressés :

8. Il est constant que M. et MmeB..., qui, comme il a été dit au point 1, seraient entrés en France le 9 février 2015, sont tous deux en situation irrégulière de séjour sur le territoire français. Eu égard à ce qui a été dit aux points 5 à 7, le maintien de Mme B...sur ce territoire ne se justifie pas pour des raisons médicales. En outre, les requérants ne soutiennent pas avoir noué des liens particuliers en France, tandis qu'ils n'établissent, ni d'ailleurs n'allèguent, être dépourvus d'attaches familiales proches dans leur pays d'origine, où résident notamment la mère, ainsi que trois frères et une soeur de M.B.... Dans ces circonstances, eu égard notamment à la faible ancienneté et aux conditions irrégulières du séjour des intéressés, qui n'ont fait valoir aucun effort notable d'intégration ni aucune perspective d'insertion professionnelle, les décisions par lesquelles le préfet de l'Aisne a refusé de leur délivrer un titre de séjour et leur a fait obligation de quitter le territoire français n'ont pas porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ces décisions ont été prises. Ces décisions ne méconnaissent, dès lors, pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne les risques encourus en cas de retour dans le pays d'origine :

9. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

10. La Cour européenne des droits de l'homme a rappelé qu'il appartenait, en principe, au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 37201/06, paragraphes 129-131 et 15 janvier 2015, AA. c. France, n° 18039/11).

11. M. et Mme B...se bornent à reprendre devant la cour leurs assertions selon lesquelles ils ne sauraient, sans mettre leur vie en danger, retourner dans leur pays d'origine, où ils auraient subi des mauvais traitements en raison du refus de M. B...de rejoindre une organisation terroriste. Toutefois, ils ne produisent aucune pièce au soutien de ces allégations. Dans ces conditions, ils ne sauraient être regardés comme établissant de manière probante qu'ils pourraient être actuellement et personnellement exposés à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour au Kosovo. Au demeurant, comme il a été dit aux points 1 et 7, les demandes d'asile que M. et Mme B...ont chacun formées ont été rejetées par des décisions définitives, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile ayant relevé que les craintes qu'ils exprimaient ne pouvaient être regardées comme fondées. Par suite, le moyen tiré de ce que, pour désigner le Kosovo comme le pays à destination duquel les intéressés pourraient être reconduits d'office, le préfet de l'Aisne aurait méconnu les stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B...ne sont pas fondés à demander l'annulation des arrêtés en litige du 21 novembre 2017. Les conclusions à fin d'injonction qu'ils présentent doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 23 janvier 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. et Mme B...devant le tribunal administratif d'Amiens et le surplus des conclusions de leur requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B..., à Mme F...B...née C...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet de l'Aisne.

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N°18DA00915


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18DA00915
Date de la décision : 25/09/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme Grand d'Esnon
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Riou
Avocat(s) : SCP CARON-DAQUO-AMOUEL-PEREIRA

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-09-25;18da00915 ?
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