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25/09/2018 | FRANCE | N°18DA00726

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4e chambre - formation à 3, 25 septembre 2018, 18DA00726


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...A...a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 29 décembre 2017 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français et lui a fait interdiction de retour sur ce territoire durant deux ans, d'autre part, de faire injonction, sous astreinte, au préfet du Nord de lui remettre ses effets personnels et de procéder à un nouvel examen de sa situation après l'avoir mis en possession d'une autorisation

provisoire de séjour.

Par un jugement n° 1800040 du 9 janvier 2018, le m...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...A...a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 29 décembre 2017 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français et lui a fait interdiction de retour sur ce territoire durant deux ans, d'autre part, de faire injonction, sous astreinte, au préfet du Nord de lui remettre ses effets personnels et de procéder à un nouvel examen de sa situation après l'avoir mis en possession d'une autorisation provisoire de séjour.

Par un jugement n° 1800040 du 9 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a prononcé l'annulation demandée et a rejeté le surplus des conclusions de cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 avril 2018, le préfet du Nord, représenté par la SELARL Claisse et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Lille du 9 janvier 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant ce tribunal.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu, au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M.A..., ressortissant ivoirien né le 28 janvier 1978, a déclaré être entré sur le territoire français au cours de l'année 1984, alors qu'il était âgé de six ans, en compagnie de ses parents, qui se sont au demeurant mariés à Paris le 23 juin de la même année. L'intéressé, qui a déclaré avoir résidé, depuis lors, habituellement en France, où il a indiqué avoir été scolarisé, s'est toutefois rendu coupable de nombreux faits de vol aggravé qui ont justifié plusieurs condamnations par le juge pénal et son incarcération à compter de l'année 2014. A l'issue de cette période de détention, le préfet du Nord après avoir procédé à un examen de la situation de M.A..., lui a fait obligation, par un arrêté du 29 décembre 2017, de quitter sans délai le territoire français. Par le même arrêté, le préfet du Nord a placé l'intéressé en rétention administrative et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français durant deux ans. Saisi d'un recours de M. A... tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cet arrêté, en tant qu'il lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a, par un jugement du 9 janvier 2018, prononcé l'annulation des décisions contestées. Le préfet du Nord relève appel de ce jugement.

2. Pour annuler, par le jugement du 9 janvier 2018, la décision faisant obligation à M. A... de quitter le territoire français et, par voie de conséquence, celles refusant de lui accorder un délai de départ volontaire et lui faisant interdiction de retour durant deux ans, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a considéré qu'il ressortait suffisamment des éléments versés au dossier que M. A...avait résidé habituellement et de façon continue sur le territoire français depuis 1984, soit durant l'essentiel de son existence, et qu'il disposait sur ce territoire d'attaches familiales proches, puisqu'y résidaient notamment sa mère, de nationalité française, auprès de laquelle il vivait jusqu'à son incarcération et qui a attesté vouloir l'héberger. Le premier juge a tiré de ces constats que cette mesure d'éloignement portait au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte excessive, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

3. Toutefois, s'il n'est pas contesté que M. A...a été scolarisé en France de 1988 à 1995, il n'a produit, hormis quelques éléments se rapportant aux années 1997 et 2000, aucun document de nature à lui permettre de justifier d'une présence effective, depuis lors, sur le territoire français, en particulier au cours des années 2005 à 2013. S'il a fait état de la possession d'une carte de résident dont la durée de validité serait expirée, il n'a pas été en mesure de produire ce document, dont l'existence est expressément contestée par le préfet du Nord, lequel lui fait grief de n'avoir effectué aucune démarche pour régulariser sa situation administrative depuis sa majorité. En outre, s'il est constant que les parents de M. A...sont installés, de même que sa soeur, depuis plus de trente ans sur le territoire français et qu'ils ont acquis la nationalité française, l'intéressé, qui est majeur, n'a versé au dossier aucun élément de nature à lui permettre de justifier des liens qu'il aurait pu entretenir avec ceux-ci, en particulier au cours de sa détention, durant laquelle il a admis n'avoir reçu aucune visite. Il n'a pas davantage fait état de circonstances particulières rendant nécessaire sa présence auprès d'eux. Par ailleurs, M. A...n'établit pas, par ses seules allégations devant le premier juge, qu'il serait dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, où, selon ses propres déclarations à l'administration, résident des oncles et tantes. Enfin, alors que son parcours pénal ne révèle pas une volonté notable d'intégration à la société française, il n'a fait état d'aucune perspective d'insertion professionnelle. Dans ces conditions, eu égard notamment aux conditions du séjour de M.A..., constamment irrégulières depuis sa majorité, et à la circonstance que l'ancienneté alléguée de ce séjour ne peut être tenue par établie par les seules pièces du dossier, la décision faisant obligation à l'intéressé de quitter le territoire français n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Le préfet du Nord est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler l'obligation de quitter le territoire français, ainsi, par voie de conséquence, que les autres décisions en litige.

4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...devant le tribunal administratif de Lille.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

5. Par un arrêté du 14 décembre 2017, publié le 18 décembre suivant au n° 282 du recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Nord a donné délégation à M. D... C..., attaché d'administration de l'Etat, chargé de mission auprès du chef de section de l'éloignement, à l'effet de signer notamment, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme F...B..., chef de section, laquelle situation n'est pas contestée, les " décisions portant obligation de quitter le territoire français, en application du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ". Ainsi, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'obligation de quitter le territoire français en litige manque en fait.

6. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de 1'Union européenne (C 166/13 du 5 novembre 2014) rendue sur renvoi préjudiciel d'une juridiction administrative française, le droit d'être entendu dans toute procédure, tel qu'il s'applique dans le cadre de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et, notamment, de l'article 6 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce qu'une autorité nationale n'entende pas le ressortissant d'un pays tiers spécifiquement au sujet d'une décision de retour lorsque, après avoir constaté le caractère irrégulier de son séjour sur le territoire national à l'issue d'une procédure ayant pleinement respecté son droit d'être entendu, elle envisage de prendre à son égard une telle décision, que cette décision de retour soit consécutive ou non à un refus de titre de séjour. Il ressort, en l'espèce, des pièces du dossier, notamment du procès-verbal d'audition signé par M.A..., qu'il a été entendu par les services de police le 29 décembre 2017, en particulier en ce qui concerne son âge, sa nationalité, sa situation de famille, ses attaches dans son pays d'origine, les raisons et conditions de son entrée en France, ainsi que sur sa situation professionnelle et les ressources à sa disposition. M. A...a eu, ainsi, la possibilité, au cours de cet entretien, de faire connaître des observations utiles et pertinentes de nature à influer sur la décision prise à son encontre, ce que l'agent qui l'a entendu l'a d'ailleurs expressément invité à faire. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé disposait d'informations tenant à sa situation personnelle qu'il a été empêché de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise à son encontre la mesure qu'il conteste et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à l'édiction de cette décision. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision faisant obligation à M. A...de quitter le territoire français méconnaîtrait le principe général du droit d'être entendu, qui est au nombre des principes fondamentaux du droit de l'Union européenne et qui est notamment énoncé à l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être écarté.

7. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) / 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans. / (...) ". Comme il a été dit au point 3, M. A...n'a pu établir l'ancienneté alléguée de son séjour sur le territoire français, ni, en particulier, qu'il y résiderait habituellement depuis qu'il a atteint l'âge de treize ans. Dès lors, il n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été, à la date de l'arrêté du 29 décembre 2017 en litige, au nombre des ressortissants étrangers visés par les dispositions précitées de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui ne peuvent légalement faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.

Sur la légalité de l'interdiction de retour :

8. En vertu du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français dont elle détermine la durée, en tenant compte de la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français.

9. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères que ces dispositions énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. En outre, la décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse, à sa seule lecture, en connaître les motifs.

10. En l'espèce, après avoir relevé que M. A...n'avait effectué aucune démarche, depuis son entrée sur le territoire français, dans le but de régulariser sa situation administrative, le préfet du Nord, a également pris en compte tant l'ancienneté alléguée du séjour de l'intéressé que son comportement passé, notamment le fait que M.A..., quoique n'ayant jamais fait auparavant l'objet d'une mesure d'éloignement, est défavorablement connu par les services de police pour des faits de vol aggravé. Le préfet a, en outre, tenu compte de la menace que la présence de l'intéressé représentait, à raison de la commission de ces faits, pour l'ordre public. Les motifs de l'arrêté en litige révèlent que cette autorité a, enfin, pris en compte le fait que M. A..., célibataire, n'établissait pas entretenir des liens effectifs avec ses proches installés en France. Par suite, le préfet du Nord, qui a examiné l'ensemble des critères prévus par les dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a suffisamment motivé sa décision en fait et en droit.

11. Comme il a été dit au point 3, M. A...n'a pu justifier de l'ancienneté alléguée de son séjour sur le territoire français, sur lequel il s'est maintenu irrégulièrement sans avoir entrepris aucune démarche dans le but d'obtenir la régularisation de sa situation administrative. Il ne démontre pas davantage y avoir tissé des liens anciens et stables, peu important à cet égard la présence en France de ses parents et sa soeur, dès lors qu'il n'établit ni même n'allègue entretenir des relations régulières avec eux, tandis qu'il n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. Enfin, il est constant que M. A...a fait l'objet de plusieurs condamnations pénales à compter de 2014 pour des faits de vol aggravé, ce qui a pu à bon droit conduire le préfet du Nord à estimer que sa présence continuait de représenter, à la date de l'arrêté en litige, une menace grave et immédiate pour l'ordre public. Dans ces conditions, le préfet du Nord ne s'est pas mépris dans l'appréciation de sa situation au regard des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors, au demeurant que le dernier alinéa de ce III donne à l'intéressé la faculté de solliciter l'abrogation de la décision d'interdiction de retour dès son arrivée dans son pays d'origine.

12. Enfin, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 3, la décision faisant à M. A... interdiction de retour sur le territoire français durant deux années n'a pas été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 9 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 29 décembre 2017 en tant qu'il fait obligation à M. A... de quitter sans délai le territoire français et qu'il lui fait interdiction de retour sur ce territoire durant deux années.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 9 janvier 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, en tant qu'il prononce l'annulation de l'arrêté du 29 décembre 2017 du préfet du Nord faisant obligation à M. A... de quitter sans délai le territoire français et lui faisant interdiction de retour sur ce territoire durant deux années, est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... A....

Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Nord.

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N°18DA00726


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18DA00726
Date de la décision : 25/09/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme Grand d'Esnon
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Riou
Avocat(s) : CLAISSE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-09-25;18da00726 ?
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