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25/09/2018 | FRANCE | N°18DA00078

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4e chambre - formation à 3, 25 septembre 2018, 18DA00078


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 12 avril 2017 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un certificat de résidence, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office, d'autre part, de faire injonction à la préfète de la Seine-Maritime de lui délivrer un certificat de résidence. r>
Par un jugement n° 1702006 du 3 octobre 2017, le tribunal administratif de Rouen ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 12 avril 2017 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un certificat de résidence, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office, d'autre part, de faire injonction à la préfète de la Seine-Maritime de lui délivrer un certificat de résidence.

Par un jugement n° 1702006 du 3 octobre 2017, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 janvier 2018, M.A..., représenté par Me Abdel Alouani, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 3 octobre 2017 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté de la préfète de la Seine-Maritime du 12 avril 2017 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime de lui délivrer, dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, un certificat de résidence valable un an et portant la mention " vie privée et familiale " ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M.A..., ressortissant algérien né le 8 avril 1990, est entré sur le territoire français le 5 septembre 2015 sous le couvert d'un visa de court séjour. Confronté à de sérieuses difficultés de santé, il a sollicité de la préfète de la Seine-Maritime la délivrance du certificat de résidence d'un an prévu par le 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien. Toutefois, par un arrêté du 12 avril 2017, la préfète a refusé de faire droit à cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai d'un mois et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office. M. A...relève appel du jugement du 3 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cet arrêté, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à la préfète de la Seine-Maritime de lui délivrer le certificat de résidence sollicité.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " (...) / Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : / (...) / 7. Au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays. / (...) ".

3. Il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des stipulations précitées du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien, de vérifier, au vu de l'avis émis par le médecin mentionné à l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge médicale risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

4. Si l'autorité préfectorale n'est pas liée par l'avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé, il lui appartient néanmoins, lorsque ce médecin a estimé que l'état de santé du ressortissant étranger concerné nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il n'existe pas de traitement approprié dans le pays dont il est originaire, de justifier devant le juge de l'excès de pouvoir des éléments qui l'ont conduite à s'écarter de cet avis médical.

5. Il ressort des pièces du dossier, notamment d'un certificat médical établi le 8 novembre 2016 par le docteur Pellenc, médecin agréé, que M. A...est atteint d'une sclérose en plaques récurrente, rémittente et très active, qui lui a occasionné une perte de l'acuité visuelle au niveau de l'oeil droit, ainsi qu'une paresthésie hémicorporelle gauche et qui a rendu nécessaire la prescription d'un traitement médical régulier à base de Natalizumab, molécule indiquée pour le traitement des formes de sclérose en plaques récurrente et rémittente particulièrement évolutives, qui lui est administrée par voie intraveineuse, à raison d'une perfusion par mois. Ce même document précise que M. A...présente d'autres troubles associés à sa pathologie, tels une difficulté à la marche, même si celle-ci demeure possible sans aide, de même que des troubles mnésiques persistants. Par un certificat médical émis le 9 avril 2016, le docteur Chaney-Chaudhry, médecin généraliste, précise que l'état de santé de M. A...rend nécessaire l'assistance d'une tierce personne pour l'accomplissement des actes de la vie courante. Enfin, par un certificat médical établi le 29 septembre 2016, puis confirmé et précisé le 30 octobre 2017, le docteur Zarea, neurologue exerçant au centre hospitalier universitaire de Rouen, indique que le traitement médical par perfusion mensuelle de Natalizumab administré à M. A...se poursuit, qu'il n'existe pas d'autre alternative thérapeutique pour l'instant et que ce traitement est associé, d'une part, à une surveillance médicale effectuée tous les six mois selon un protocole spécifique, associant des prélèvements sanguins et des examens par imagerie à résonnance magnétique, d'autre part, à une évaluation neurologique mensuelle réalisée avant chaque perfusion. Ce praticien hospitalier relève que M. A...présente des troubles mnésiques importants et une altération notable des capacités de raisonnement. Il confirme la nécessité de l'assistance d'une tierce personne, afin de l'accompagner à ses rendez-vous médicaux, compte tenu de ses difficultés de déplacement liées à des troubles moteurs, et pour l'aider dans ses démarches administratives. Enfin, par le second de ces certificats, ce médecin ajoute que, lors des poussées de sclérose en plaque, une prise en charge rapide par perfusion de Solumedrol par voie intraveineuse est nécessaire.

6. Le 17 novembre 2016, le médecin de l'agence régionale de santé de Normandie a émis un avis confirmant que l'état de santé de M. A... rendait nécessaire une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et énonçant en outre qu'il n'existait pas de traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé pour sa prise en charge médicale. Pour refuser néanmoins, par l'arrêté du 12 avril 2017 en litige, la délivrance d'un certificat de résidence pour raison médicale à M. A..., la préfète de la Seine-Maritime, en s'écartant de cet avis, a estimé que la pathologie dont souffre l'intéressé pourrait être prise en charge médicalement en Algérie, où existerait une offre de soins adaptée à la nature de celle-ci et où des traitements appropriés seraient disponibles.

7. Pour justifier du bien-fondé de sa décision, la préfète de la Seine-Maritime se réfère, d'une part, aux éléments d'information contenus dans des courriers électroniques échangés par les services de plusieurs préfectures avec le conseiller santé placé auprès du directeur général des étrangers en France du ministère de l'intérieur, selon lesquels la sclérose en plaques est prise en charge en Algérie, les principes actifs nécessaires tant au traitement préventif qu'à la prise en charge des poussées figurant sur la liste des médicaments disponibles dans ce pays. La préfète se prévaut, d'autre part, des éléments issus de la banque mondiale de données médicales dénommée MEDCOI (medical country of origin information), qui indiquent que des moyens techniques existent dans des établissements hospitaliers d'Alger, permettant la prise en charge des malades de la sclérose en plaques dans un service de neurologie, ainsi que la surveillance médicale que requiert leur état, au moyen d'analyses sanguines et de matériels d'imagerie médicale. Ces données indiquent, en outre, que le Natalizumab, molécule administrée à M. A... par perfusions mensuelles, est délivré uniquement par la pharmacie du centre hospitalier universitaire Mustapha Bacha d'Alger, mais que des principes actifs permettant la prise en charge des poussées sont disponibles dans d'autres pharmacies d'Alger.

8. M. A...expose, en l'espèce, qu'il ne pourrait bénéficier, dans son pays d'origine, d'aucune aide de personnes suffisamment proches, afin de l'assister au quotidien pour l'accomplissement des actes de la vie courante et de l'accompagner dans ses démarches, dans son parcours de soins, ainsi que dans ses déplacements, rendus difficiles par les troubles moteurs et mnésiques dont il est atteint, alors qu'en France, il bénéficie de l'aide de sa soeur, régulièrement établie sur le territoire français. Dans ces conditions, à défaut de pouvoir compter sur l'assistance d'un proche, et quel que soit son lieu de résidence dans son pays d'origine, il se trouverait exposé à un risque vital lors de la survenance des poussées récurrentes dont il souffre, lesquelles imposent une prise en charge dans des délais appropriés, alors que, livré à lui-même ses troubles mnésiques et ses insuffisances mentales ne lui permettraient pas d'organiser sa prise en charge en urgence. Ainsi, et alors même qu'existe en Algérie un système d'assurance sociale accessible à l'ensemble de la population et permettant la prise en charge des dépenses de santé, il doit être tenu pour établi que des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de la situation personnelle du requérant ne permettent pas d'assurer qu'il pourrait avoir effectivement accès dans ce pays à une prise en charge médicale appropriée à la pathologie dont il souffre. Par suite, pour refuser, par l'arrêté du 12 avril 2017 en litige, de délivrer un certificat de résidence pour raison de santé à M. A..., la préfète de la Seine-Maritime doit être regardée comme ayant méconnu les stipulations, citées au point 2, du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. A...est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation du refus de séjour prononcé par cet arrêté, de même, par voie de conséquence, que celle de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 3 octobre 2017, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Le présent arrêt, qui annule, pour excès de pouvoir, l'arrêté de la préfète de la Seine-Maritime du 12 avril 2017 refusant de délivrer un certificat de résidence à M. A..., lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office, au motif que l'intéressé était en situation de prétendre de plein droit à la délivrance d'un certificat de résidence d'un an sur le fondement du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien, implique nécessairement que la préfète de la Seine-Maritime lui délivre ce titre. Il y a lieu d'impartir, pour ce faire, à cette autorité, un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

11. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Abdel Alouani, son avocat, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 3 octobre 2017 du tribunal administratif de Rouen et l'arrêté susvisé de la préfète de la Seine-Maritime en date du 12 avril 2017 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Seine-Maritime de délivrer à M. A... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Abdel Alouani, avocat de M. A..., la somme de 1 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., au ministre de l'intérieur, à la préfète de la Seine-Maritime et à Me Abdel Alouani.

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N°18DA00078


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18DA00078
Date de la décision : 25/09/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme Grand d'Esnon
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Riou
Avocat(s) : SELARL PASQUIER PICCHIOTTINO ALOUANI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-09-25;18da00078 ?
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