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18/09/2018 | FRANCE | N°18DA00615

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3, 18 septembre 2018, 18DA00615


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme L...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 8 janvier 2018 par lequel le préfet du Nord a prononcé son transfert vers l'Italie et l'a assignée à résidence, d'enjoindre au préfet du Nord de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Par un jugement n° 1800185

du 20 février 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administrati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme L...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 8 janvier 2018 par lequel le préfet du Nord a prononcé son transfert vers l'Italie et l'a assignée à résidence, d'enjoindre au préfet du Nord de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Par un jugement n° 1800185 du 20 février 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, après avoir admis Mme K..., à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle, a annulé cet arrêté et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 21 mars 2018, le préfet du Nord, représenté par Me A...D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il prononce l'annulation de son arrêté du 8 janvier 2018 ;

2°) de rejeter les conclusions à fin d'annulation de la demande de première instance.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003

- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. MmeK..., ressortissante somalienne née le 23 avril 1982, a demandé l'asile en préfecture. Par un arrêté du 8 janvier 2018, le préfet du Nord a prononcé son transfert vers l'Italie et l'a assignée à résidence. Il relève appel du jugement du 20 février 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté.

Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné :

2. Par un arrêté du 14 décembre 2017, régulièrement publié le 18 décembre suivant au recueil des actes n° 282 de la préfecture, le préfet du Nord a donné à M. I... F..., directeur de l'immigration et de l'intégration, délégation pour signer, en particulier, les " décisions de transfert d'un étranger en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ", ainsi que les " décisions d'assignation à résidence, en application des articles L. 561-1 à L. 561-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ", mentionnées respectivement aux paragraphes 7 et 17 de l'article 1er de cet arrêté. L'article 11 du même arrêté prévoit : " Délégation de signature est donnée à Mme B...H..., attachée principale d'administration de l'État, cheffe du bureau de l'asile, pour les décisions mentionnées aux articles (...) 6 à 26 (...). / En cas d'absence ou d'empêchement de Mme B...H..., la délégation de signature qui lui est conférée par l'article 11 du présent arrêté sera exercée par Mme C...J..., attachée d'administration de l'État, adjointe au chef du bureau de l'asile. (...) ". Il en résulte clairement, alors même que cet article 11 de l'arrêté de délégation aurait dû viser les paragraphes ou les points 6 à 26 de l'article 1er, et non les articles 6 à 26 du même arrêté, lequel n'en compte d'ailleurs que dix-neuf, que Mme C... J...disposait d'une délégation consentie par le préfet du Nord à l'effet de signer, notamment, les décisions contenues dans l'arrêté contesté du 8 janvier 2018. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme B... H...n'aurait été ni absente, ni empêchée lorsque l'arrêté du 8 janvier 2018 a été signé. Par suite, c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondé sur l'incompétence de la signataire de ce dernier arrêté pour en prononcer l'annulation.

3. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur l'ensemble des moyens présentés par Mme K...tant en appel qu'en première instance.

Sur les autres moyens invoqués par MmeK... :

En ce qui concerne la décision de transfert :

S'agissant de la légalité externe :

4. En premier lieu, l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride prévoit, en son premier paragraphe, qu'afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. Le même article prévoit, en son paragraphe 5, que l'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. Enfin, aux termes du paragraphe 6 du même article, l'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé.

5. Il ressort des pièces du dossier que l'entretien du 16 octobre 2017 s'est déroulé dans les locaux de la préfecture du Nord et il n'est pas sérieusement contesté que Mme K...a bien été reçue lors de cet entretien par un agent de la préfecture du Nord, lequel doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien. Aucune disposition n'impose que le compte-rendu de l'entretien individuel comporte la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien, ni la signature de celui-ci. Par suite, le moyen tiré de ce que l'entretien individuel n'a pas été conforme aux dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.

6. En second lieu, l'arrêté contesté comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet du Nord s'est fondé pour prononcer le transfert de Mme K... vers l'Italie. En particulier, il précise que l'intéressée a présenté une demande d'asile le 16 octobre 2017 et qu'elle était titulaire d'un titre de séjour italien valable du 5 juin au 5 novembre 2017. La décision de transfert est, ainsi, suffisamment motivée, conformément aux exigences de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que Mme K... n'est pas fondée à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de la décision de transfert.

S'agissant de la légalité interne :

8. Aux termes de l'article 21 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut (...) requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. / (...) / 3. Dans les cas visés aux paragraphes 1 et 2, la requête aux fins de prise en charge par un autre État membre est présentée à l'aide d'un formulaire type et comprend les éléments de preuve ou indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, et/ou les autres éléments pertinents tirés de la déclaration du demandeur qui permettent aux autorités de l'État membre requis de vérifier s'il est responsable au regard des critères définis dans le présent règlement ". Aux termes de l'article 22 du même règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête. / (...) / 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d'un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ". Enfin, le paragraphe 1 de l'article 26 du règlement précise : " Lorsque l'État membre requis accepte la prise (...) en charge d'un demandeur (...), l'État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale ". Pour pouvoir procéder au transfert d'un demandeur d'asile vers un autre Etat membre en mettant en oeuvre ces dispositions du règlement, et en l'absence de dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile organisant une procédure différente, l'autorité administrative doit obtenir l'accord de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile avant de pouvoir prendre une décision de transfert du demandeur d'asile vers cet Etat. Une telle décision de transfert ne peut donc être prise, et a fortiori être notifiée à l'intéressé, qu'après l'acceptation de la prise en charge par l'Etat requis.

9. D'une part, l'article 2 du règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 prévoit : " Une requête aux fins de reprise en charge est présentée à l'aide du formulaire type dont le modèle figure à l'annexe III, exposant la nature et les motifs de la requête et les dispositions du règlement (CE) no 343/2003 sur lesquelles elle se fonde ".

10. Il ressort des pièces du dossier que la demande de prise en charge adressée par le préfet du Nord aux autorités italiennes comportait un formulaire établi en langue italienne, sur lequel figuraient en substance les éléments du formulaire-type annexé au règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 du 30 janvier 2014, modifiant le règlement (CE) n° 1560/2003 portant modalités d'application du règlement n°343/2003, ainsi que le résultat de la consultation du système " Visabio " révélant la délivrance d'un visa à l'intéressée par ces autorités italiennes. Dans ces conditions, l'Etat italien a été saisi d'une demande de prise en charge comportant les éléments pertinents nécessaires à la détermination de l'Etat responsable de sa demande d'asile.

11. D'autre part, aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 : " (...) 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ". Aux termes de l'article 18 du même règlement : " 1. Les moyens de transmission électroniques sécurisés, visés à l'article 22, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 343/2003, sont dénommés "DubliNet". (...) ". Aux termes de l'article 19 de ce règlement : " 1. Chaque État membre dispose d'un unique point d'accès national identifié. / 2. Les points d'accès nationaux sont responsables du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes. / 3. Les points d'accès nationaux sont responsables de l'émission d'un accusé de réception pour toute transmission entrante. / 4. Les formulaires dont le modèle figure aux annexes I et III ainsi que le formulaire de demande d'information figurant à l'annexe V sont transmis entre les points d'accès nationaux dans le format fourni par la Commission. La Commission informe les États membres des normes techniques requises. / 4. Les formulaires dont le modèle figure aux annexes I et III ainsi que les formulaires de demande d'informations figurant aux annexes V, VI, VII, VIII et IX sont transmis entre les points d'accès nationaux dans le format fourni par la Commission. (...) ".

12. Le préfet du Nord produit l'accusé de réception électronique de sa demande de prise en charge, qui lui a été adressé, le 30 octobre 2017, par le réseau de communication électronique " DubliNet " et comporte, en objet, le numéro d'identification attribué par les autorités françaises à la demande d'asile de Mme K... ainsi que la désignation de l'Italie en tant qu'Etat requis. Cet accusé de réception doit être regardé comme établissant la réalité de la saisine des autorités italiennes, alors même qu'il a été émis à partir de l'adresse électronique du point national d'accès français du système, et non de celle du point d'accès des autorités italiennes responsables de l'émission de l'accusé de réception de la requête, dès lors qu'il s'agit d'un accusé de réception édité automatiquement par " DubliNet ".

13. Il résulte de ce qui a été dit aux quatre points précédents que la requête à fin de prise en charge adressée par le préfet du Nord aux autorités italiennes a donné naissance à une décision implicite d'acceptation intervenue, en vertu des dispositions du paragraphe 1 de l'article 22 du règlement du 26 juin 2013, deux mois après la réception de la demande, soit le 30 décembre 2017. Mme K... n'est, ainsi, pas fondée à soutenir que la décision du 8 janvier 2018 prononçant son transfert vers l'Italie serait intervenue sans l'accord préalable des autorités de cet Etat, en méconnaissance des dispositions de l'article 26 du règlement du 26 juin 2013.

14. Par ailleurs, compte tenu en particulier de l'absence d'attaches de Mme K... en France et de la brièveté de son séjour sur le territoire français, le préfet du Nord n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire, prévue par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, pour lui permettre de bénéficier en France de l'examen de sa demande d'asile.

En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :

15. En premier lieu, l'arrêté du 8 janvier 2018 comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet du Nord s'est fondé pour prononcer l'assignation à résidence de Mme K.... Cette décision est, ainsi, suffisamment motivée au regard des exigences des dispositions de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, auxquelles renvoient celles de l'article L. 561-2 de ce code.

16. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 14, que Mme K... n'est pas fondée à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de la décision de transfert.

17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 8 janvier 2018. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par Mme K... en appel sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1800185 du 20 février 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il prononce l'annulation de l'arrêté du 8 janvier 2018 du préfet du Nord.

Article 2 : Les conclusions à fin d'annulation de la demande présentée par Mme K...devant le tribunal administratif de Lille et celles présentées en appel sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme K...et à Me G...E....

Copie en sera adressée au préfet du Nord.

6

N°18DA00615


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18DA00615
Date de la décision : 18/09/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095


Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: Mme Dominique Bureau
Rapporteur public ?: Mme Leguin
Avocat(s) : CLAISSE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 25/09/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-09-18;18da00615 ?
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